Lorsque Meriwether Lewis et William Clark sont partis en expédition pour découvrir l’Ouest américain, en 1804, ils savaient qu’ils s’embarquaient dans une aventure exigeante. Les premiers mois furent d’ailleurs difficiles. Un sergent est mort. Des hommes ont souffert de dysenterie. Puis l’équipage a survécu au froid, à un manque de nourriture, au chavirement d’une pirogue et à une attaque de grizzlys.

Aujourd’hui, c’est au tour du Canadien de partir à la conquête de l’Ouest. Il affrontera en demi-finale le gagnant de la série entre l’Avalanche du Colorado et les Golden Knights de Vegas.

Il y a des parallèles intéressants à faire avec l’expédition de Lewis et Clark. Évidemment, les conditions sont moins dramatiques. Le Canadien atteindra les Rocheuses en quatre heures, plutôt qu’en 377 jours. Personne ne mourra. Ni ne criera famine. Et les joueurs ne se feront pas attaquer par des bêtes sauvages.

Quoique ces jours-ci, dans la LNH, ce n’est pas impossible…

Alors, qu’est-ce qui unit les deux odyssées ?

L’adversité et la résilience.

Le parcours du Canadien cette saison fut lui aussi parsemé d’embûches. Dès les premières semaines, le Tricolore a perdu trois chefs (Claude Julien, Kirk Muller, Stéphane Waite). Puis son meilleur passeur, Jonathan Drouin. Puis un virus a forcé l’arrêt des activités pendant une semaine. Puis l’infirmerie s’est remplie : Carey Price, Brendan Gallagher, Shea Weber, Ben Chiarot, Tomas Tatar…

Résultat ?

Le Canadien a perdu confiance.

Il s’est mis à perdre.

Souvent.

Très, très souvent.

Entre le 7 avril et la fin de la saison, le Tricolore a perdu les deux tiers de ses matchs. Il tirait de l’arrière 1-3 dans sa série contre les Maple Leafs de Toronto. C’est à ce moment que les joueurs, confrontés à une fin prématurée de leur saison, ont relevé leurs manches et se sont regroupés. Depuis, ils foncent. Tous ensemble. La tête haute. Le torse bombé. Les rangs serrés.

Avec confiance.

On a beaucoup parlé ces derniers jours de leurs exploits. Avec raison. Ce sont les joueurs qui, sur la patinoire, dominent l’adversaire et se sacrifient. Mais ce matin, il est de circonstance de souligner le travail accompli par les deux maîtres de l’aventure.

Les Lewis et Clark du Canadien.

Dominique Ducharme et Marc Bergevin.

Commençons par Ducharme. Il y a deux semaines, toute la ville voulait le couvrir de plumes et de goudron, puis l’envoyer au bûcher. Pour reprendre sa formule, il avait alors « huit millions d’adjoints ». Toutes, toutes, toutes ses décisions étaient critiquées.

Dans la tempête, Ducharme a su conserver son calme. Et ses deux mains sur le gouvernail. Un entraîneur, a déjà expliqué Arsène Wenger, légendaire coach du club de soccer anglais Arsenal, « c’est un guide. Incroyablement résistant au stress et capable de nager contre le courant. Un bon leader, c’est aussi un réducteur de temps de crise. »

C’est exactement ce qu’a fait Dominique Ducharme en séries.

Les longues séquences de défaites, cette saison, l’ont préparé à l’adversité. Lorsqu’il a été poussé dans ses derniers retranchements, il n’a pas eu peur de prendre des décisions controversées. De nager à contre-courant.

Il a amorcé les séries sans Cole Caufield et Jesperi Kotkaniemi, puis s’est ravisé rapidement. Il a exclu de l’alignement Tomas Tatar, meilleur marqueur de l’équipe l’année dernière. Il a préféré Erik Gustafsson et Brett Kulak à Alexander Romanov. Des choix risqués, mais payants.

Mais surtout, Dominique Ducharme est parvenu à imposer son système de jeu. Les joueurs acceptent son plan et l’exécutent avec brio.

Le Canadien garde maintenant la rondelle beaucoup plus longtemps (67 % du temps lors du quatrième match). Il remporte plus de batailles importantes le long des rampes. Ce fut d’ailleurs le cas sur l’action qui a mené au but gagnant de Tyler Toffoli, lundi soir. Les défenseurs dégagent mieux l’enclave devant Carey Price. Les replis des attaquants sont constants. Et lorsque le Tricolore prend l’avance, ses joueurs limitent les jeux risqués pouvant causer un surnombre en contre-attaque.

* * *

Après la victoire, lundi soir, Marc Bergevin est descendu près de la patinoire pour féliciter ses joueurs. Le directeur général du Canadien était rayonnant. Jubilant. Exultant. Lorsqu’il s’est retrouvé face à Cole Caufield, auteur d’une superbe passe sur le but gagnant, Bergevin était excité comme s’il retrouvait son meilleur ami de l’école secondaire, après l’avoir perdu de vue pendant 40 ans.

Franchement, c’était beau à voir.

Bergevin semblait être un homme libre. Délivré de la pression qui l’accablait depuis une fin de saison misérable, marquée par une profonde léthargie, une gestion difficile du plafond salarial et des acquisitions critiquées. Aujourd’hui, il passe pour un prospecteur génial, qui a réussi à transformer des pépites de pyrite en lingots d’or.

Ses récentes acquisitions et embauches sont au cœur des succès du Canadien.

– Tyler Toffoli, un plan B sur le marché des joueurs autonomes, est le meilleur marqueur de l’équipe en séries avec 10 points ;

– Corey Perry, ignoré de tous l’été dernier, a inscrit cinq points lors des six dernières parties ;

– Eric Staal mène l’équipe avec 7 points à forces égales ;

– Joel Edmundson a joué plus de 22 minutes lors de chaque match contre les Jets ;

– Erik Gustafsson a été sur la glace pour huit buts du Canadien en séries, contre un de l’adversaire.

Mais sa décision la plus importante, Bergevin l’a prise à l’été 2017, lorsqu’il a octroyé un contrat monstre de 84 millions à Carey Price, ce qui faisait de lui à l’époque le gardien le mieux payé de la LNH. Un contrat ô combien critiqué. Combien de fois a-t-on lu et entendu que c’était de la folie d’investir autant d’argent sur un gardien de but ?

Quatre ans plus tard, il faut reconnaître que c’était un bon coup. Sans Price, le Canadien n’aurait pas gagné sa série contre les Penguins de Pittsburgh l’été dernier. Ni celle contre les Maple Leafs, la semaine dernière. Et il n’aurait pas balayé les Jets de Winnipeg aussi facilement. Ce printemps, Price a arrêté 93,5 % des tirs dirigés vers lui. Il est présentement le meilleur gardien de la LNH.

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Avec toutes ces félicitations, on a un peu oublié nos aventuriers du début.

Meriwether Lewis et William Clark.

Que leur est-il arrivé lorsqu’ils ont finalement atteint les Rocheuses ?

Ils ont frappé un mur. En fait, pas vraiment un mur, mais des chutes. Leur parcours aurait pu s’arrêter là. Sauf qu’ils ont persévéré. Après une semaine de travail acharné, leur équipage est parvenu à franchir l’obstacle. Cette victoire leur a ouvert toute grande la route vers l’objectif final, l’océan Pacifique, qu’ils ont atteint quelques mois plus tard.

L’aventure du Canadien dans les Rocheuses américaines, ce printemps, sera-t-elle aussi glorieuse ?

Réponse la semaine prochaine. À Denver ou Vegas.