Tadej Pogačar s’est fracturé le scaphoïde à Liège-Bastogne-Liège, dimanche, le même jour où Pier-André Côté a remporté la course sur route des Championnats panaméricains à Panamá.

Quel rapport ? Moins de deux mois plus tôt, le cycliste de Lévis s’était lui aussi brisé le scaphoïde du poignet droit sur une chute à l’Omloop Het Nieuwsblad, épreuve belge qui ouvre la saison des classiques printanières, conclue à Liège par un autre écrasant triomphe solo du champion mondial Remco Evenepoel.

Au téléphone, lundi soir, Côté s’amusait de la coïncidence : « On faisait des blagues justement hier. On disait que je lui enverrais un message pour lui proposer mon protocole s’il voulait redevenir un champion… Mais je pense que je n’ai rien à apprendre à Tadej… »

Après un début de saison prometteur au Saudi Tour – quatre étapes sur cinq parmi les 15 premiers –, Côté avait très hâte de tester son excellente condition sur les pavés belges, son terrain de prédilection.

Or, après une centaine de kilomètres à l’Omloop, le champion canadien a visité le bitume. Il s’est accroché jusqu’aux premières sections pavées, qu’il a franchies d’une seule main avant de bifurquer vers l’autocar de son équipe américaine, Human Powered Health (HPH).

Il a d’abord espéré une foulure, jusqu’à ce que l’élancement le convainque de passer une radiographie en soirée : « Ça s’est mis à faire mal juste à exister, sans bouger ni mettre de pression. »

Un orthopédiste lui a inséré une vis de titane, à l’instar de Pogačar, pendant l’opération à l’hôpital universitaire de Gand. Cette procédure favorise la fusion entre les deux morceaux d’os dans cette zone mal vascularisée. Elle accélère donc le retour en selle.

« J’ai tellement eu un beau service, c’était incroyable. Ils connaissent ça, le vélo, en Belgique. Ils m’ont remis sur pied, ça n’a vraiment pas été long. Ils m’ont fait faire une attelle spéciale. Le lendemain de ma chute, j’ai roulé sur le trainer. »

De retour à Gérone, où il vit, le Québécois de 26 ans a révisé ses plans printaniers et fait contre mauvaise fortune bon cœur.

« Quand on voyage et court beaucoup, il y a beaucoup d’éléments incontrôlables. Tu bâtis la forme à la maison et tu essaies de surfer dessus une fois aux courses. On n’a pas souvent la chance d’avoir un mois et demi à la maison, où on contrôle tout : sommeil, entraînement, nutrition. On a donc vraiment essayé de voir ça comme une occasion pour bien s’entraîner. »

Sous la tente

Tant qu’à être privé de courses et confiné au simulateur de route pendant quelques semaines, il s’est joint aux grimpeurs de sa formation qui amorçaient justement un protocole d’altitude… en tente hypoxique.

Côté a donc glissé son matelas dans une tente reliée par un long tube à un compresseur qu’il avait placé dans le salon. Cette installation permet de simuler l’altitude en contrôlant la concentration d’oxygène dans l’air et de stimuler la production de globules rouges dans le sang. Pour un résultat concluant, il devait y passer 12 heures par jour pendant trois semaines.

« On ne s’en rend pas compte, mais c’est une grosse partie de la journée. Tu as déjà la ride de six heures qui t’en prend sept, en étant réaliste. Le temps de se lever, de se préparer, c’est un autre deux heures. Il ne t’en reste pas beaucoup pour se faire à manger, la lessive, les tâches quotidiennes. Ça n’a pas été facile. »

Ce le fut encore moins quand sa blonde, Lily Plante, cycliste professionnelle comme lui, est revenue à la maison entre un stage d’entraînement au Canada et une compétition sur piste en Égypte.

« Elle n’a pas trouvé ça facile, mais elle a vraiment été d’un grand soutien. Elle a dormi dans un petit lit à une place à côté du nôtre. J’ai fait tous les efforts pour être le plus présent possible quand je n’étais pas dans la tente. J’avais une règle d’or : ne rien faire à l’extérieur de la tente que je pouvais faire à l’intérieur. J’ai donc fait tout mon travail de bureau, les impôts, les courriels, les études, dans la tente. Quand j’étais à l’extérieur, je profitais du temps avec Lily. »

Heureusement, ils pouvaient rouler ensemble quand le type d’entraînement le permettait. « On a fait au mieux avec la situation. On pouvait écouter des films. Elle plaçait l’ordi de son côté et j’étais capable d’entendre. »

Champion panaméricain

Trois semaines après son opération, Côté a pu recommencer à rouler à l’extérieur avec son orthèse. Il a repris la compétition le 11 avril, en Italie, avant de mettre le cap sur le Panamá pour représenter le Canada avec son coéquipier de HPH Charles-Étienne Chrétien, ainsi que Francis Juneau et Jordan Cheyne.

Le quatuor a parfaitement joué ses cartes durant la course de 204,8 km, un circuit de 15 tours déployé sur une autoroute. « Ça n’avait pas l’air de grand-chose, mais c’était quand même 3300 mètres de dénivelé positif. C’était comme de gros vallons, un peu comparables à ceux de la Beauce, je dirais. Des bosses dont tu vois le sommet, mais tu dois quand même appuyer pour te rendre en haut. »

Face à la principale puissance, la Colombie, avantagée numériquement avec six coureurs, le Canada misait sur une arrivée au sprint avec Côté.

Avec 20 km à faire, il a attaqué pour mesurer les forces restantes. « Les gens étaient un peu limites. Charles-Étienne est revenu sur moi après quelques minutes et on a formé un groupe de huit. Ça allait à reculons dans le peloton quand on est sortis. Assez rapidement, on a pris un écart de 30 secondes. Avec cinq kilomètres à faire, on savait qu’on pouvait se concentrer sur le finish. »

Sûr de lui, Côté a glissé à l’oreille de Chrétien : « On court pour un podium double. On peut se permettre d’être avares un peu. Pas besoin de me lancer pour assurer la victoire. »

De fait, Côté s’est imposé devant l’Argentin German Nicola Tivani. Troisième, Chrétien a lui aussi levé les bras pour célébrer le triomphe de son coéquipier.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM @PIERANDRE. COTE

Pier-André Côté

« Si on m’avait dit que je serais champion panaméricain à n’importe quel moment de ma carrière, je ne l’aurais pas cru », a souligné le premier Nord-Américain à réussir l’exploit depuis Martin Gilbert, en 2007. « Je n’y ai jamais rêvé parce que je considérais ça hors d’atteinte. En plus, c’est sur un retour de blessure. »

Pour Côté, qui a lui-même financé son voyage, comme tous ses coéquipiers, cette victoire l’assure d’une participation aux Championnats du monde de Glasgow, l’été prochain, où toutes les disciplines du cyclisme seront réunies pour la première fois.

Ce succès est également son premier depuis son titre canadien acquis à Edmonton, en juin 2022. Il l’avait dédié à sa mère, opérée pour un cancer du cerveau.

« En envergure, un championnat continental, c’est plus gros qu’un championnat national. Mais je pense que ma victoire aux championnats canadiens va rester spéciale. Ça a été la première et il y avait le contexte de ma maman. »

Le contexte est encore spécial, avec le retour de ma blessure. C’est encore une espèce de miniconte de fées.

Pier-André Côté

Ce n’est pas sans un petit pincement au cœur que le Gaspésien d’origine troquera son précieux maillot unifolié de champion national pour celui de champion panaméricain au Tro Bro Leon, en Bretagne, dès le 7 mai.

« La feuille d’érable a quand même un certain cachet. C’était une grande fierté de la porter. Le maillot est incroyable. Il va falloir que les gens chez Human Powered Health fassent un bon travail pour me faire un maillot aussi cool de champion panaméricain ! »

En ce qui concerne Tadej Pogačar, Côté n’a aucun doute quant à ses capacités de retrouver son meilleur niveau d’ici le départ du Tour de France, le 1er juillet, à Bilbao.

« Ça fait une semaine que je roule sur mon poignet et je pourrais facilement oublier que je l’ai déjà cassé. Je suis de retour à 100 % de ma force et de ma mobilité. [Dimanche], j’ai gagné un sprint et j’ai fait les mêmes chiffres que j’ai toujours faits, sinon mieux. Honnêtement, c’est vraiment surprenant ce que la médecine peut faire de nos jours. »

Coup double

Ce coup double est une véritable bénédiction pour l’équipe canadienne, qui chasse les points UCI en cette année d’allocation des quotas pour les épreuves sur route des Jeux olympiques de Paris, l’an prochain. Pier-André Côté en a empoché 250 et Charles-Étienne Chrétien, 150.

Le même jour, Michael Woods, 12e à Liège-Bastogne-Liège, a ajouté 95 points pour porter son total à 528 en 2023. Grâce à cette récolte, le Canada peut toujours espérer aligner deux hommes dans la Ville Lumière, l’été prochain.

Côté a souligné la contribution de Jordan Cheyne (27e) et Francis Juneau (48e) à sa victoire et à la médaille de bronze de Chrétien.

« Les gars ont eux aussi payé leurs billets. Ils avaient autant droit aux honneurs que Charles-Étienne et moi. À un certain moment, il a fallu ramener la course ensemble parce que la Colombie n’était plus capable de le faire. Francis et Jordan ont fait un travail irréprochable. »

Simon Drouin, La Presse