Omar Hany ne connaissait pas ce joueur du Canadien de Montréal dont on lui parlait. L’entraîneur du programme junior féminin du club de natation CAMO savait seulement que sa petite sœur de 14 ans se joindrait à son groupe pour la semaine.

« Je ne suis pas un fan de hockey, alors je ne sais pas si son frère est vraiment connu », a expliqué le coach, rencontré samedi matin au complexe sportif Claude-Robillard. « C’est un bon joueur de hockey ? Il vit au Québec ? »

On pardonnera à Omar Hany d’ignorer qui est Juraj Slafkovsky, le tout premier choix du repêchage de la LNH en 2022, maintenant membre du trio le plus productif du CH. C’était aussi avant qu’il réussisse son tour du chapeau contre les Flyers de Philadelphie.

Originaire de l’Égypte, où il a vécu avant de s’établir à Montréal au début de la vingtaine, l’ingénieur civil de formation a appris le français, mais il ne s’est pas encore familiarisé avec le sport national au Québec.

En revanche, ses 30 nageuses, âgées de 14 à 19 ans, étaient parfaitement au courant de qui les accompagnerait entre les câbles de la piscine la semaine dernière. « Elles voulaient savoir qui était son frère et elles le connaissaient toutes ! »

Sans être une Summer McIntosh, quatrième aux Jeux olympiques de Tokyo au même âge, Lucia Slafkovská se débrouille très bien dans l’eau chlorée. Assez, en tout cas, pour ne pas rater d’entraînement à l’occasion d’une visite à Montréal de son célèbre frère, avec ses parents.

L’affaire a même été organisée des mois à l’avance. Gabriela Slafkovská, mère de Lucia et de Juraj, a contacté Jana Salat, une bonne connaissance, membre de l’équipe canadienne de water-polo aux Jeux de Sydney en 2000 et native comme elle de Košice, en Slovaquie. Celle-ci l’a mise en lien avec Greg Arkhurst, son ex-conjoint, entraîneur-chef de CAMO.

Lucia a donc débarqué à Claude-Robillard la semaine dernière. Omar Hany avait lui-même découvert le Québec un peu de la même façon une dizaine d’années plus tôt. En visite chez sa sœur, qui nageait à Montréal, il avait été accueilli à CAMO par Greg Arkhurst, qui occupait alors son poste.

Assidue

En temps normal, le coach aime commencer l’entraînement à l’heure, mais comme la piscine n’était pas encore prête ce jour-là, il a accédé à la demande de ses nageuses d’introduire la petite nouvelle auprès du groupe. « Je l’ai présentée en anglais : “Voici Lucia, la sœur d’un joueur de hockey du Canadien, dont j’ignore le nom”, et j’ai ensuite expliqué la façon dont on fonctionnait. Je leur ai dit : “Soyez gentilles avec elle, elle ne comprend pas le français.” »

Chacune s’est donc présentée en anglais avant de plonger. Bien qu’elle ait été parmi les plus jeunes, Lucia Slafkovská s’est très bien débrouillée, au dire de l’entraîneur.

On a fait deux entraînements par jour, environ 6000 mètres chaque fois. Elle était vraiment à l’aise, elle n’avait pas de misère à suivre, comme c’est souvent le cas quand quelqu’un nous rend visite. Elle était même meilleure que certaines filles déjà dans le groupe.

Omar Hany, entraîneur du programme junior féminin du club de natation CAMO

Son grand frère Juraj a été le premier témoin de son assiduité. « Elle se levait à 4 h 45 et mon père la reconduisait [à Claude-Robillard] », a raconté le numéro 20, mardi matin au Centre Bell, quelques heures avant le match contre les Flyers. « C’est fou, je ne sais pas comment elle fait ça ! C’est comme ça tous les jours. En Slovaquie, elle nage à 6 h, donc elle se lève à 5 h 30 et elle tente de garder le même horaire ici. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Juraj Slafkovsky

La médaille de bronze de la Slovaquie en hockey sur glace aux Jeux de Pékin, où Juraj a été choisi le joueur le plus utile, a inspiré Lucia, qui compte bien suivre ses traces.

« Elle prend ça au sérieux et je pense qu’elle veut faire comme moi », a souligné Slafkovsky, qui l’en croit parfaitement capable.

« Elle doit travailler fort. Elle nage depuis seulement deux ans et demi et elle est déjà dans l’équipe nationale junior, donc c’est bien parti. Il y aura des obstacles, mais elle doit continuer à se forcer. Ma mère est une ancienne nageuse, donc on l’aide, on lui donne tous les trucs possibles. Elle est la petite dernière, on peut l’aider avec notre expérience. Pas vraiment moi, parce que j’ai 20 ans, mais mes parents ont de l’expérience. »

Une mère athlète

Comme son grand frère, parti faire ses classes en Finlande à l’adolescence, Lucia envisagerait de s’expatrier après son école primaire, qui dure neuf ans en Slovaquie.

« Elle pense faire comme moi et aller ailleurs pour son secondaire, dans un bon programme pour la natation. Elle veut aller dans un autre pays. La natation n’est pas à un très bon niveau en Slovaquie. Si tu veux percer, tu dois déménager. »

Leur mère, Gabriela Slafkovská, a fini 12e d’une épreuve aux Championnats d’Europe de 1995, peut-on lire sur la page de l’Elite Sport Centre de Košice, où elle est entraîneuse de natation et instructrice de Pilates. Elle fait aussi des triathlons.

En natation, elle était comme deuxième en Slovaquie. Mais ce n’était pas une période facile. Et ça coûtait cher. Elle a eu la chance d’aller à l’école, donc elle l’a prise. Mais on va tout faire pour donner la chance à ma sœur de vivre son rêve.

Juraj Slafkovsky

Gabriela s’occupe des entraînements de sa fille dans le gym, mais pas dans la piscine. « Je n’aimerais pas ça si ma mère m’entraînait au hockey ! a pouffé Juraj. Donc je comprends ça. »

Avec six ans d’écart et un océan de distance, comment se passe la relation frère-sœur ? « On est proches, mais là, elle vit sa puberté, donc elle ne veut pas parler de tout avec moi ! s’est exclamé le numéro 20. Quand elle vieillira, on parlera de tout. »

Une inspiration ?

Lucia a pris part à une demi-douzaine de séances avec CAMO avant de rentrer en Slovaquie. Elle s’illustre surtout en demi-fond, au crawl et au quatre nages. Omar Hany estime qu’elle pourrait être finaliste aux championnats provinciaux.

« [En Europe], tu commences à devenir meilleur vers 16, 17 ans, a noté l’entraîneur. Ici, ça commence plus vers 13, 14 ans. Mais la culture n’est pas la même. Là-bas, ils nagent plus longtemps, tandis qu’ici, plusieurs arrêtent au cégep. »

Le coach ne s’est pas gêné pour prodiguer des conseils techniques à la recrue slovaque. Il lui a rappelé de finir chaque longueur jusqu’au mur, une (mauvaise) habitude européenne qu’il a vite reconnue.

« Ma priorité est que tout le monde s’amuse. Que ce soit une visiteuse, la meilleure ou la plus lente, je donne l’impression à chacune qu’elle est ma préférée. »

Après son dernier entraînement, vendredi matin, Lucia s’est fait prendre en photo avec les entraîneurs, sa mère et son père Juraj senior, qui semble avoir la charpente de son fils. Avant de partir, elle a demandé un t-shirt et un casque de bain de CAMO Natation et s’est s’abonnée à la page Instagram du club. Les Slafkovsky ont donc raté le premier tour du chapeau de Juraj. Qui sait si sa petite sœur ne l’a pas inspiré à son tour ?

Avec Guillaume Lefrançois, La Presse