En dépit d’une saison difficile, Katerine Savard vise toujours sa quatrième participation aux Jeux olympiques l’été prochain à Paris. Pour y arriver, la nageuse de 30 ans a choisi de quitter Montréal pour retrouver les siens à Québec. Une décision « émouvante » qui n’est pas simple à expliquer.

Une certaine fragilité s’entend dans le grain de sa voix. Elle semble un peu nerveuse de devoir expliquer une décision qu’elle-même tente encore de mettre en mots. Le sourire est toujours là, son esprit compétitif pas bien loin non plus.

À la mi-février, Katerine Savard est revenue du Qatar après des Championnats du monde pénibles. La tête n’y était plus, pas plus que les performances dans l’eau.

Comme d’habitude, elle a atterri à l’aéroport Jean-Lesage, à Québec, même si elle vivait à Montréal depuis 10 ans. Pour chaque voyage, elle s’envolait toujours de sa ville natale, pour y laisser son auto et faire garder ses chats. En théorie, elle devait rejoindre un peu plus tard ses coéquipiers du club CAMO, déjà en camp d’entraînement en Floride. Elle n’avait cependant pas envie de leur imposer ses états d’âme et « d’exposer une espèce de vulnérabilité ». Elle n’est donc jamais repartie.

L’athlète de 30 ans a plutôt replongé avec le club de natation région de Québec (CNQ) au PEPS de l’Université Laval. Replongé parce qu’elle y a nagé pendant une demi-douzaine d’années, à l’époque où le club, principalement établi dans Limoilou, s’appelait CSQ. Ce qui n’a pas changé est l’identité de l’entraîneur-chef, Marc-André Pelletier, qui avait mené la jeune femme à la cinquième place aux Championnats du monde de 2013.

« De petits deuils »

Dix ans plus tard, Katerine Savard fait donc le chemin inverse, non sans un énorme pincement pour ce qu’elle laisse derrière et ce qu’elle décrit comme « de petits deuils », reprenant exactement les mots de son personnage dans le film Nadia, Butterfly.

« J’ai vécu beaucoup d’émotions quand j’ai pris cette décision-là », a expliqué la médaillée olympique de 2016, jeudi après-midi, à l’occasion de sa première entrevue depuis ce déménagement surprise.

Une part de moi avait l’impression d’abandonner une certaine partie de ma vie. Ça m’a rendue très anxieuse, déjà que je suis une fille comme ça à la base.

Katerine Savard

Pourquoi un tel transfert à 12 semaines des sélections olympiques, relocalisées à Toronto du 13 au 19 mai après un incendie au Stade olympique ?

« C’est une accumulation de choses qui ont fait en sorte que je ne me sentais plus bien là où j’étais. […] Mes performances n’étaient pas nécessairement à la hauteur de ce à quoi je m’attendais non plus. Tant qu’à être malheureuse par rapport à mes performances, j’ai tenté de changer certaines choses. D’abord pour aller mieux sur le plan personnel, puis dans l’espoir de réaliser mes objectifs dans la piscine aussi. »

Parce que ceux-ci sont toujours les mêmes. Même durant la période douloureuse des derniers mois, la native de Pont-Rouge n’a jamais oublié ce qui nourrissait ses ambitions pour ce cycle olympique exceptionnellement court : prendre part à de quatrièmes JO, ce qu’aucune nageuse canadienne n’a accompli jusqu’ici.

Même si j’allais moins bien, ce rêve n’est jamais disparu.

Katerine Savard

« En fin de compte, il arrivera ce qui arrivera, mais c’est encore ce rêve-là que j’ai. C’était de chercher ailleurs. Ce n’était pas parce que je n’aimais pas la natation. J’adore ce que je fais en ce moment. Je pense que ça allait plus loin que ça. »

La bachelière en enseignement préscolaire et primaire évoque « des émotions peut-être négatives », un « mal-être » et une « fragilité » qu’elle traîne depuis plusieurs mois, ce qui plombait son élan dans l’eau.

« Ces émotions ne venaient pas seulement de la piscine, a-t-elle précisé. Dans ma vie personnelle, il y a eu des moments plus difficiles. Il y a eu des hauts et des bas dans mon environnement d’entraînement aussi. Je n’étais plus nécessairement heureuse, mais il n’y a pas de raisons spécifiques. C’est une accumulation de choses qui ont fait que moi, je n’étais plus bien dans ça. »

Changement de vie

Les Mondiaux de Doha, où elle s’est arrêtée en demi-finale (12e), ont représenté un catalyseur. « J’avais besoin de changer de vie, en fait. Ça a été un tournant pour me dire : il ne reste plus assez de temps [avant les essais], ça ne changera pas tout seul. J’ai espéré ce changement pendant plusieurs mois. Je me suis même posé beaucoup de questions sur moi-même : “Qu’est-ce qui ne va pas ?” »

Annoncer sa décision à son entraîneur Greg Arkhurst et aux gens qu’elle côtoyait à CAMO a été difficile. Aux récents Championnats de l’Est, à Québec, elle a pleuré quand elle est tombée dans les bras de son ex-coach Claude St-Jean, une « figure paternelle » qui l’a menée à sa médaille de bronze au relais à Rio en 2016.

J’ai eu des retours positifs de tout le monde et ils m’ont accompagnée dans cette décision-là aussi.

Katerine Savard

Arkhurst, qui l’a aidée à se « redécouvrir en tant qu’athlète », se dit « honoré » d’avoir entraîné celle qu’il considère comme « la meilleure nageuse québécoise de l’histoire ».

« Elle a choisi l’option la plus santé pour elle et c’est ce qui est le plus important, a-t-il indiqué la semaine dernière. Je lui ai dit que notre porte serait toujours ouverte. Je souhaite de tout mon cœur qu’elle réussisse son pari et surtout qu’elle se sente bien. »

Chose certaine, Katerine Savard trouve énormément de réconfort dans son retour auprès de sa famille élargie, sa mère, chez qui elle s’est installée, son père, ses beaux-parents, sa sœur, ses trois frères et ses deux petites nièces, qu’elle apprend à connaître. « À part à Noël, je ne les avais pratiquement jamais vues. »

D’anciens athlètes lui ont écrit pour souligner son courage. « Je ne sais pas si c’est du courage, mais il y en a qui n’ont peut-être pas eu les ressources nécessaires pour changer d’environnement comme ça. »

À CNQ, elle est entourée de jeunes et de vétérans, un contexte qui lui plaît. « Je m’entraîne avec certains des meilleurs paralympiens que le Canada ait connus, comme Aurélie Rivard et Nicolas-Guy Turbide. Juste le fait d’avoir des personnes qui vivent un peu les mêmes choses que moi, qui rêvent des Jeux aussi, c’est vraiment chouette. »

En Pelletier, elle renoue avec un « mentor » qui dit « les vraies affaires » et l’a aidée à se requinquer. « Sur le plan émotionnel, il est parfois capable de me cerner avant même que je le fasse moi-même. »

Le coach de CNQ est très satisfait de sa progression jusqu’à maintenant. « C’est une bonne athlète, en forme, a-t-il souligné. Elle ne part pas de zéro. Je voulais travailler sur de petites choses, au papillon en particulier. On essaie de la remettre au même niveau qu’elle a déjà été. L’engagement est là, c’est une question de temps. »

Pelletier estime que sa protégée a « beaucoup d’outils dans son coffre » et « le désir de performer » pour se rapprocher de son meilleur chrono au 100 m papillon, qui date de 2014. Le principal objectif du technicien est d’améliorer sa deuxième longueur sur cette spécialité.

En cette période glorieuse pour la natation féminine canadienne, Savard se réjouit de pouvoir compter sur deux autres épreuves – les relais 100 et 200 m libre – pour tenter de se qualifier pour ses quatrièmes JO.

Y parviendra-t-elle ? « Ma confiance a peut-être été ébranlée dans les derniers mois, les dernières années, par différents évènements, commentaires, personnes, peu importe, a d’abord répondu Savard. Je la rebâtis tranquillement. Je sais que mon corps est capable, j’ai une bonne mémoire musculaire. Le côté physique, ce n’est pas ce qui me stresse. C’est plus de contrôler mon côté mental, mais je sais que j’ai le potentiel pour le faire. »