Les planchistes à roulettes sont de drôles de pistolets. Depuis leur plus jeune âge, ils tombent. Se relèvent, puis tombent encore. Ils se hissent à nouveau sur leur planche, se retroussent les manches, affichant peut-être au passage quelques nouvelles ecchymoses, et réessaient. Et ce, jusqu’à maîtriser leurs manœuvres.

« Et quand tu la réussis, c’est le meilleur sentiment au monde », lance à La Presse le planchiste Cordano Russell.

À seulement 19 ans, Russell est le skater canadien masculin le mieux classé au monde dans la catégorie « de rue ». Il occupe le 13e rang du classement de World Skate, l’organisation qui chapeaute tous les sports à roulettes.

Ce rendement lui permet aussi d’espérer participer aux Jeux olympiques de Paris, l’été prochain. Mais pour l’instant, l’athlète né à London, en Ontario, a ses yeux sur les championnats nationaux de skateboarding de rue, qui auront lieu ce jeudi au Taz de Montréal.

C’est justement là que nous rencontrons le sympathique gaillard. Russell a beau n’avoir émergé sur la scène de la planche à roulettes que dans la dernière année, il a beau n’avoir que 19 ans, des histoires, il en a à raconter. Comme celle où il explique être tombé amoureux de ce sport à 4 ans, après avoir trouvé une planche… dans un buisson.

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Cordano Russell

« J’ai mis le pied dessus, je me suis heurté la tête, et j’étais comme : let’s go ! », raconte-t-il en s’esclaffant.

C’était à St. Louis, au Missouri, où ses parents ont déménagé alors qu’il était en bas âge. Mais à 8 ans – oui, déjà –, le jeune Cordano demande à ses parents de déménager à San Diego, en Californie. Soit la Mecque du skateboard.

Et ils ont dit oui !

Au fil de son parcours, Russell a pratiqué d’autres sports, comme le football américain, notamment au secondaire. Mais il n’y avait aucun doute chez lui : sa passion, c’était la planche à roulettes. Et lorsqu’il a appris en même temps que tout le monde que sa discipline serait ajoutée au programme olympique, une autre certitude s’est inscrite dans son esprit.

Je veux représenter le Canada. La mère patrie ! J’ai cette fierté, parce que c’est ici que je suis né. Même si j’avais pratiqué un sport différent, je me suis toujours promis que je le pratiquerais pour le Canada.

Cordano Russell

Devoir et volonté d’inclusion

Avec sa carrure, son physique d’athlète et son style vestimentaire – il énumère lui-même ces caractéristiques –, Cordano Russell veut « inspirer » les gens qui lui « ressemblent ».

Ça tombe bien, c’est exactement la mission de Skateboarding Canada, et c’est surtout le mandat que se donne tout naturellement sa présidente, l’ex-athlète olympique Annie Guglia.

« Quand j’ai commencé à faire du skate, ce n’était pas pour les Olympiques, dit celle qui occupe ce poste depuis avril 2023. Ça n’existait même pas. Je comprends l’importance de la diversité, de l’accessibilité au skate. C’est ma passion. Je veux faire grandir le skate le plus possible. »

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L’ex-athlète olympique Annie Guglia

Samantha Secours, « la meilleure planchiste au Québec », dixit Guglia, l’en remercie.

« Annie a ouvert la voie, souligne l’athlète de 22 ans. Toute l’ancienne génération, ils l’ont eu dur. Et grâce à eux, moi, je peux l’avoir plus facilement. Je suis tellement reconnaissante. »

Par le passé, bien avant que le skateboarding fasse ses débuts aux Jeux olympiques de Tokyo, le talent féminin était concentré aux États-Unis, et en Californie plus précisément. Ce qui empêchait les aspirantes à l’international de vraiment se développer et d’évoluer auprès des meilleures, explique Secours.

« La première fois que j’ai vraiment vu des filles skater, c’était à des évènements qu’Annie organisait avec les Vagabonnes [un groupe de filles pratiquant des sports extrêmes]. Elle apportait des commanditaires. »

Annie Guglia n’a pas arrêté d’organiser des initiatives de ce genre. Mercredi après-midi, peu après nos entretiens, se mettait en branle la journée communautaire de Skateboarding Canada. Des jeunes de programmes sport-études, ainsi que des gens de la communauté LGBTQ+, sont venus rencontrer certains des athlètes canadiens participant à la compétition du lendemain et s’entraîner avec eux.

« Je pense que ça fait partie de la sous-culture de ce sport d’être très communautaire, souligne Guglia. Tu vas à un skatepark, quelqu’un va essayer de t’apprendre un truc, tu vas devenir ami, il y aura un partage de connaissances. Plus tu connais de gens, plus c’est l’fun. »

Une compétition « vraiment impressionnante »

Les amateurs de planche qui viendront assister aux compétitions ce jeudi – l’entrée est gratuite au Taz – pourront apprécier les meilleurs talents canadiens de 10 h à 21 h.

À quel genre de spectacle pourront-ils s’attendre ?

« C’est le format olympique, explique Guglia. Ils font deux parcours de 45 secondes. On les voit faire une dizaine de manœuvres consécutives, c’est comme une routine. »

Ensuite, il y a ce qu’on appelle les « cinq meilleurs trucs ». Les planchistes ont cinq chances de réussir leurs meilleures manœuvres, et leurs deux tentatives les mieux réussies sont comptabilisées.

« Ça, c’est vraiment impressionnant, avoue-t-elle. Même pour moi qui suis allée à Tokyo. »

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Ismail Di Palma, 13 ans

Pour le Néo-Écossais Johnny Purcell, le niveau de compétition sera relevé et « intéressant ».

« Toute l’équipe nationale est ici, relève celui qui a vécu à Montréal pendant sept ans. Il y a des gars extrêmement expérimentés. Matt [Berger] et Micky [Papa] sont des vétérans qui sont allés aux Olympiques. Mais ensuite, tu as cette nouvelle cohorte de jeunes loups, pour qui ce sera la plus grosse compétition jusqu’à présent. Le niveau de talent sera très élevé. »

Cordano Russell fait partie de cette nouvelle vague. Philosophe, il cite le grand Kobe Bryant lorsqu’on l’interroge sur ses ambitions ce jeudi.

« Il disait : “Si tu as la peur de perdre et la pression de gagner, alors que vas-tu vraiment en retirer ?”, lance-t-il de sa voix passionnée. Il disait de constamment avoir la mentalité d’apprendre. »

Russell dit néanmoins vouloir « se présenter et impressionner (show up and show out) ». « Mon espoir est de gagner, mais parfois, tu peux en ressortir quelque chose même en ne gagnant pas. »

Samantha Secours a elle aussi l’ambition de remporter la compétition.

Je suis première au Canada, donc dans ma tête, je me dis que si je ne gagne pas, c’est un peu bizarre. Je sais que je suis capable. Je croise les doigts.

Samantha Secours

Les nationaux de ce jeudi n’auront pas d’impact sur le classement du World Skate. Donc n’influenceront pas le parcours des athlètes aspirant à prendre un avion vers Paris en juillet prochain.

Quoique. « Si je gagne ici, ça va me donner un petit boost [de confiance] », indique Secours, qui aimerait bien remporter la cagnotte de 3000 $ remise aux champions.

C’est que la Québécoise se dirigera à ses frais à Dubaï, la semaine prochaine, pour un évènement de World Skate. Celui-là comptera pour les qualifications olympiques. Théoriquement, les top 20 masculin et féminin se rendront aux Jeux. Mais avec les quotas par pays, le bassin d’invités va inévitablement s’élargir à ceux occupant des positions hors des 20 premiers. Secours détient actuellement le 39e rang, un classement qu’elle justifie notamment en raison de blessures dans la dernière année.

Malgré le boom des inscriptions et de la popularité de la planche à roulettes ces dernières années, attribuable à son arrivée dans le mouvement olympique, les moyens demeurent limités pour les athlètes canadiens de cette discipline.

« Je vais être vraiment fière si je me rends aux Olympiques avec le peu de ressources [que j’ai] ! »

Et les juges ?

Quels sont les critères pour juger ce type de compétition ? Demandons à un de ses juges !

« Le niveau de difficulté [de la manœuvre] et le fait de bien la réussir », souligne Pierre-Yves Frappier, surnommé PIF dans le milieu.

« Surtout en compétition, ça donne des points quand c’est vraiment très propre, quand c’est exécuté parfaitement. Ça donne plus de points que si, par exemple, le pied sort un peu à l’atterrissage ou que tu as mis deux mains au sol. »

Est-ce que la réaction de la foule peut influencer un juge ?

« On est vraiment concentrés, affirme PIF. On se fie au premier participant pour ensuite juger les autres. S’il est vraiment bon, il faut lui donner un bon score, mais en même temps, pas trop haut. »

Ça peut désavantager le premier qui s’élance, donc ? Pas nécessairement. Et de toute façon, « ils mettent habituellement les meilleurs à la fin ».

« Si tu es le premier sur la liste et que tu skates super bien, tu vas juste avoir les meilleurs des meilleurs en haut de toi. »