Montréal est-elle encore une grande ville de sport ? L’équipe des sports de La Presse s’est penchée sur la question et vous propose une série de reportages publiés aujourd’hui et demain.

L’arrivée à Montréal de franchises professionnelles majeures de basketball ou de baseball est tout sauf imminente. Comment la métropole peut-elle changer la donne ? La Presse en a discuté avec Michael Fortier, vice-président du conseil de RBC Marchés des capitaux, Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitaine, et Philip Merrigan, professeur au département des sciences économiques de l’UQAM.

Où en sont les dossiers de franchises des Ligues majeures de baseball ou de la NBA ?

« À l’arrêt. » C’est ainsi que Michel Leblanc a qualifié la situation dans une entrevue publiée samedi dans La Presse. Tous les signes convergent vers une expansion à Seattle et à Las Vegas pour la NBA. Quant aux Ligues majeures de baseball, rien n’est annoncé. Or, dans une récente entrevue, le commissaire du circuit, Rob Manfred, a semblé enthousiaste à l’idée d’une potentielle expansion… mais n’a jamais prononcé le nom de Montréal.

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Michael Fortier : Le commissaire a parlé de Nashville, mais pas de Montréal. Ça m’a frappé et déçu.

Philip Merrigan : Dans le cas du baseball, une fois que Montréal a perdu sa franchise, il n’y avait presque plus aucune chance que ça revienne. Les coûts liés à la construction d’un stade et à l’achat d’une équipe sont devenus démesurés.

De quelles sommes parle-t-on ?

Dans les deux cas, le chiffre le plus souvent évoqué est 2 milliards pour l’acquisition d’une franchise. Au baseball, on peut spéculer que la construction d’un stade dernier cri coûterait jusqu’à 1 milliard supplémentaire. Une équipe de basketball pourrait, quant à elle, s’installer au Centre Bell.

Où et comment trouver cet argent ?

C’est, sans surprise, un défi majeur. Bien que les projets passés aient suscité l’enthousiasme du milieu des affaires, aucune fortune québécoise n’est suffisamment importante pour acquérir seule une nouvelle franchise. Le groupe mené par Stephen Bronfman visait une garde partagée avec Tampa. Une équipe de la NBA demanderait, quant à elle, un investissement étranger.

Philip Merrigan : Disons qu’une franchise coûte 2 milliards. Quand on fait ce genre d’investissement, c’est qu’on s’attend à des profits de plus de 100 millions chaque année. C’est énorme. Et il y a un risque associé à ça. […] Je ne pense pas forcément qu’[un investisseur majeur] perdrait de l’argent, car il y a beaucoup de sources de revenus, avec la télé et tout. Ça irait. Mais il faut davantage qu’être rentable, à moins que des gens veuillent tellement avoir une franchise qu’ils seront prêts à avoir des rendements inférieurs.

Michel Leblanc : Dans le cas du basketball, très rapidement, on est arrivés à la conclusion que ça prendrait un joueur multimilliardaire international. On ne le trouvera pas à Montréal. Il y a donc eu des démarches avec Michael Fortier et Kevin Gilmore [gestionnaire sportif bien connu qui a notamment été président du CF Montréal], on est allés à la rencontre d’investisseurs potentiels. On parle d’immenses fortunes.

Qu’en est-il du marché montréalais lui-même ?

Cette question-là n’est pas simple non plus. Car peu importe le sport à implanter, il faudra des spectateurs, particuliers et corporatifs. Or, il est difficile d’avoir un portrait réel de la situation.

Philip Merrigan : Quand on regarde la situation relative de Montréal en termes de consommateur moyen, ça reste assez bas dans la hiérarchie nord-américaine. Au Canada, le revenu disponible moyen à Montréal n’est pas tellement différent de celui de Winnipeg, par exemple. […] Depuis cinq ou six ans, il y a une certaine stagnation du revenu moyen au Canada. Aux États-Unis, ça augmente à un rythme beaucoup plus rapide. Notre situation relative ne s’améliore pas par rapport aux grands marchés américains. […] Je pense qu’on serait capables de vendre des billets. Mais pour justifier des investissements de cet ordre, à combien s’élèverait le prix des billets ? Ce serait probablement supérieur aux prix du hockey.

Michel Leblanc (réagissant à la comparaison avec Winnipeg) : En réalité, on n’a pas besoin de toute la population pour remplir un stade de 35 000 personnes. Ce dont on a besoin, dans notre base démographique, c’est de suffisamment de personnes qui ont les moyens d’y aller. Là, à mon avis, on s’en tire. […] Collectivement, on est en train de gagner avec de nouveaux secteurs d’activité. On est au cœur d’une lutte de positionnement dans des secteurs de force où les salaires sont bons. Il y a tout un segment de la population où l’augmentation [de revenus] est réelle.

Michael Fortier : En Amérique du Nord, Montréal se retrouve dans le deuxième tiers des grandes métropoles, et c’est l’une des seules qui n’ont qu’une seule équipe professionnelle majeure [LNH, NBA, NFL ou MLB]. Milwaukee a du basketball et du baseball. Les Packers de Green Bay ne sont pas loin. Beaucoup de villes de taille plus modeste que Montréal ont plus d’une équipe. […] La capacité des citoyens [de s’acheter des billets] ou celle des entreprises de se payer des abonnements de saison ou des loges n’est pas un problème.

Si les obstacles financiers sont surmontables, où est donc le principal frein ?

Nos intervenants parlent de « circonstances » et d’un « réseautage » à poursuivre. La ville, dans certains cercles, n’est pas suffisamment connue. De vieilles perceptions doivent encore être changées.

Michel Leblanc : On rencontrait des gens qui avaient la perception d’un Montréal des années 1990 et 2000, sur le déclin. On leur a présenté les nouveaux secteurs d’activité de la ville, comme l’intelligence artificielle, et on repartait avec l’impression d’avoir permis de faire redécouvrir un Montréal plus dynamique. Pour moi, c’est un bon investissement. […] C’est un long processus de renverser une impression de décroissance relative.

Michael Fortier : Il faut présenter Montréal au-delà de sa capacité économique. Il faut des appuis auprès d’intervenants qui n’ont rien à voir avec Montréal. Des propriétaires, des agents, des diffuseurs, des annonceurs et aussi des joueurs. Le basketball est probablement la ligue où les joueurs ont la plus grande influence. Les joueurs étoiles sont hyper suivis sur les réseaux sociaux. Plusieurs d’entre eux sont d’excellents hommes d’affaires. […] On a rencontré des joueurs, certains actifs, certains à la retraite. Personne n’avait rien de mal à dire sur Montréal, mais on sentait qu’il y avait peut-être d’autres endroits plus attirants en ce moment. C’est ça, la vérité. […] Il faut faire un meilleur travail auprès de toute cette faune autour du sport professionnel pour que Montréal devienne aussi important que Seattle aux yeux des ligues majeures. Il faut continuer de développer nos réseaux.

Comment présente-t-on Montréal auprès de cette « faune » ?

Michael Fortier : La question de la qualité de vie revient tout le temps. Certains joueurs ont évoqué la possibilité de jouer au Mexique, où la sécurité, c’est plus compliqué. Ici, ce n’est pas le cas. C’est une ville très sécuritaire, une ville multiculturelle où les joueurs sont à l’aise, où ils peuvent se sentir chez eux. Il y a évidemment la question de la langue, mais à Montréal, les gens peuvent avoir une conversation en anglais. Notre ville est connue pour sa joie de vivre, ses festivals, ses restaurants, sa sécurité… On n’a jamais senti de gens réfractaires. Mais la ville est encore méconnue.

Michel Leblanc : Notre économie, au Québec et à Montréal, est sur une trajectoire très forte. Si on s’était dit, il y a 15 ans, qu’on réussirait à approcher des fortunes planétaires avec le nom Montréal, on n’aurait pas été crédibles. On est entrés dans les salles de discussion. Avant, ce ne serait pas arrivé. […] Notre métier, c’est d’alerter le reste de l’univers que Montréal a changé.

Note : les entrevues ont été réalisées individuellement. Quelques réponses ont été légèrement éditées pour faciliter la lecture.