La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Aujourd’hui : Nathalie*, 60 ans

C’est un truc qui n’arrive pas souvent dans une vie. Une connexion d’une intensité rare, profonde, qui dépasse l’entendement. Et sans doute la raison. Nathalie le sait. Elle le vit. Confidences.

« C’est une histoire teintée d’érotisme, de littérature et d’intuition qui s’étire sur plus d’un quart de siècle », nous a-t-elle écrit, un brin énigmatique, vers la fin de l’été. Pour cause : elle ne s’est jamais confiée à qui que ce soit encore sur le sujet. Alors on se rencontre au début de l’automne autour d’un thé, quelque part dans Westmount, pour l’entendre, visiblement énervée, se révéler.

Très stylée, notre interlocutrice, qui a travaillé dans l’industrie de la beauté toute sa vie, éclate de rire en nous signalant son âge. « 60 ! J’aime ça, ça surprend les gens ! On pense que j’en ai 20 de moins ! », dit-elle.

Elle passe rapidement sur ses premières amours, parce que l’histoire n’est pas là. Après un premier flirt à 18 ans (« je veux que ce soit fait ! »), un copain à l’université, Nathalie passe 10 ans avec un troisième homme, rencontré vers la fin de son bac.

« Je n’étais pas très active sexuellement à cette époque, se souvient-elle. Me donner à quelqu’un, c’est quelque chose que je fais avec discernement. »

Ça me prend une connexion avant tout, une profondeur. Je ne peux pas vraiment juste baiser avec quelqu’un, ça n’est pas mon genre.

Nathalie, 60 ans

Avec ce copain en question, un type mignon, drôle, avec qui elle achète même une maison, l’intensité s’éteint rapidement au bout de quelques années. C’est justement alors qu’ils sont encore ensemble qu’elle rencontre sa fameuse passion, cette connexion ultime, unique, plus forte que nature. Appelons-le « Monsieur Lettres », suggère-t-elle, puisque monsieur lit beaucoup et que c’est entre autres ce qui la séduit.

Ils se rencontrent via son copain, donc, dans un festival. « Et j’ai cette intuition, se rappelle-t-elle : ne me laisse pas seule avec ce gars-là, je ne sais pas ce qui va arriver. […] Je savais qu’il allait se passer quelque chose. […] Je ne peux pas l’expliquer. »

On cherche à comprendre malgré tout. « C’est sûr, c’est un bel homme, analyse-t-elle, je suis attirée par la beauté, il est super intelligent, extrêmement cultivé. Et puis, j’ai toujours aimé les discussions intellectuelles avec mon père. […] Il était comme ça. Quelqu’un de très profond. »

Bref : il lui fait un effet béton. « Je ne couche pas à droite à gauche, rappelle-t-elle, mais cet homme-là, il fallait que je m’organise pour le revoir. Alors j’ai couru après lui. »

Son histoire avec son copain du moment (avec qui, parenthèse, la sexualité est désormais « ordinaire ») prend fin, quelque part mi-trentaine. Et elle s’« immisce » rapidement dans la vie de M. Lettres. « J’aimais ça chez lui, il y avait plein de livres, se souvient-elle. J’étais attirée par la poésie, et cette rencontre a été un catalyseur. Il m’a fait découvrir plein d’auteurs que je ne connaissais pas », les Bukowski, Sollers et autres, énumère-t-elle.

Et au lit ? Justement, au lit : « je fais des trucs avec lui que je n’ai jamais faits auparavant », sourit-elle ici, en nous regardant droit dans les yeux. Exemple ? Elle lui envoie des vidéos coquines d’elle (tout un projet dans les années 1990, faut-il le rappeler), fait un moulage de ses seins, de son sexe, essaye même la sodomie. « On avait de super beaux moments, des après-midis nus dans son appartement… »

Mais ? « Mais il n’était pas bien », finit-elle par confier, sans s’épancher sur le sujet. Alors leur pseudo-relation, une histoire « tiraillée » qui s’étire ici sur quelques années, ne se concrétise jamais pour de bon. Elle va même tomber enceinte de lui, mais refuse de garder le bébé, par peur du « rejet » et parce qu’elle le sait : « Ça n’aurait pas été bien… » N’empêche :

Il m’inspirait beaucoup pour l’écriture de nouvelles érotiques.

Nathalie, 60 ans

Toujours est-il qu’au tournant de la quarantaine, M. Lettres disparaît tranquillement du portrait et Nathalie rencontre un énième homme, son compagnon actuel. C’était il y a 20 ans. On devine que la relation n’a rien à voir, ni dans la forme, ni dans le fond, ni surtout dans l’intensité. « C’est une relation très pragmatique, et je dirais pratique », confirme-t-elle. « Et c’est vraiment quelqu’un de très gentil, généreux, et quelqu’un de très intelligent aussi. Il est bon pour moi. Je l’aime beaucoup », répète-t-elle.

Sexuellement, cela dit, c’est une autre histoire : « extrêmement conservateur, toujours la même chose, aucune créativité ». Et non, si vous vous posez la question, il n’est pas au courant de son passé. « Rien », insiste-t-elle.

Mais est-ce qu’on peut tout avoir avec une personne ? […] Est-ce que ça ne serait trop demander à quelqu’un de combler tous nos besoins ?

Nathalie, 60 ans

Qu’est-ce qui n’est pas « comblé », ose-t-on ? « Mes besoins littéraires, intellectuels, et sexuels aussi. La recherche du raffinement. Pour lui, ça n’est pas important. Moi, c’est la quête de ma vie ! […] Je ne peux pas dire que je sois malheureuse, mais c’est tellement fort avec l’autre ! Unavoidable…. », intellectualise-t-elle.

On l’aura deviné, ce qui devait arriver est effectivement arrivé.

Sans crier gare, toutes ces années plus tard, M. Lettres a ressurgi, il y a un peu plus d’un an maintenant. « Je n’ai jamais cherché à le revoir, précise ici Nathalie. Je ne voulais pas ouvrir cette boîte de Pandore. C’est lui qui m’a retrouvée. »

Ils ont échangé quelques mots, et très rapidement, « c’est devenu très sexuel », sourit-elle. Si ça l’allume ? « C’est sûr ! », confirme notre interlocutrice, soulignant au passage que l’épanouissement sexuel n’a pas d’âge. « Pourquoi le sexe ne serait pas meilleur à mon âge ? Vous allez voir ! », déclare-t-elle, d’un grand éclat de rire.

Parce qu’« évidemment », ils se sont revus, et « évidemment », ils ont refait l’amour. « C’était inévitable. C’est une connexion tellement forte et incroyable. Même 20 ans plus tard, je l’ai trouvé aussi beau. Je me sentais exactement de la même façon. […] C’est la même connexion ! »

Non, elle ne se sent pas coupable. « Je ne dis pas que c’est facile, précise-t-elle. Je suis quelqu’un d’intègre, mais c’est plus fort que moi ! […] Ce n’est pas déterminé par la volonté ! »

On comprend que Nathalie ne sait pas exactement où elle en est, ni surtout ce qui va arriver. Elle ne voudrait jamais faire de mal à son conjoint, encore moins passer à côté de ce qu’elle vit. « C’est irrésistible ! », résume-t-elle.

« Peut-être qu’il y a des choses qu’on doit accepter sans nécessairement chercher à les comprendre. Juste les vivre… », conclut-elle, sans préciser s’il s’agit ici d’une question ou d’une affirmation. L’avenir le dira ?

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

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