La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Valérie*, fin trentaine.

Valérie préfère la monogamie. Elle est néanmoins dans un couple ouvert, même polyamoureux, un peu malgré elle et surtout par accommodement. Récit en dents de scie d’une vie riche en drames, en mal de calme.

« Non, je ne peux pas dire que je suis super bien », confie notre interlocutrice, attablée dans un petit café de son quartier, au bout de près de deux heures de confidences chargées. C’est qu’elle vient de traverser une sacrée tourmente.

Elle se raconte sans se faire prier, dans un récit truffé de réflexions, d’introspections et d’autres digressions. Ainsi, la mère de famille trentenaire a découvert la sexualité tôt, débute-t-elle, en troisième secondaire. Si ses souvenirs sont flous, elle se souvient qu’elle a « aimé ça ». Avec un deuxième amoureux au cégep, elle apprécie toujours la chose, sans plus. « Je pense que j’ai toujours aimé le sexe, mais je sais que je n’ai pas eu beaucoup d’orgasmes avant l’université. »

C’est avec la découverte des pouvoirs d’un précieux « vibro » qu’elle en fait ses premières expériences. Et là encore, ça n’est pas une révélation. Plutôt une constatation : « OK, c’est comme ça que je peux avoir des sensations. » À ce jour, son jouet demeure ici son meilleur allié.

Valérie poursuit en racontant diverses fréquentations, avant de finalement revenir sur ses propos. « Je me suis rendu compte que je pensais que j’aimais beaucoup le sexe, se corrige-t-elle. Mais inconsciemment, c’était pour garder les gars accrochés à moi. Ou les convaincre de m’aimer ? »

Oui, j’aimais ça, mais je pense que j’aurais voulu autre chose : de l’affection, de la tendresse, un engagement, qu’on fasse des activités ensemble. C’était vraiment inconscient à ce moment-là.

Valérie

Toujours est-il que, fin vingtaine, elle fait la rencontre de son conjoint actuel, le père de ses enfants. C’était il y a 10 ans. Au lit ? « Bien, un peu comme avec les autres, mon jouet a été introduit assez vite. [...] Je n’ai jamais été transportée par mes histoires sexuelles. Mais c’est bon. »

Tout baigne jusqu’à ce que, sans crier gare, monsieur lui demande, lors d’un de ses congés de maternité (« j’allaitais ! »), d’être en couple polyamoureux. Il vient de revoir une ancienne flamme et, visiblement, il est troublé.

« Ç’a été horrible, confirme Valérie, dont le regard se voile tout à coup. La pire année de ma vie. Dans les mois qui ont suivi, j’ai failli me séparer. » Elle éclate en sanglots.

C’est là que le couple décide de consulter. Et Valérie ne s’en cache pas : la démarche vise d’abord à préserver sa (jeune) famille. La thérapie s’étire sur des années, et leur permet finalement de « se parler, se connaître, se comprendre ». D’un côté, monsieur s’ouvre sur son passé, Valérie sur le sien. Résultat ? « On a compris nos blessures, nos sensibilités, et on a changé nos comportements [...] pour mieux se parler. »

Étrangement, à cette époque, elle a la libido dans le tapis. « Je ne sais pas si c’est un mécanisme de défense, mais je me suis mise à avoir une sexualité plus active. Je suis gênée de dire ça, mais : je mouillais plus ! »

L’évolution

À noter que tout le long du cheminement, il n’est pas trop question d’ouverture de couple. Plutôt d’évolution. Ce qu’elle ne sait pas, mais que monsieur va finir par révéler, c’est que de son côté, il a multiplié les infidélités dans le passé...

« C’est sûr que ça m’a mise tout à l’envers, confirme Valérie. Mais après toutes nos séances [de thérapie], je comprenais... » D’ailleurs, le jour où il s’est confié, le couple est allé marcher dans la nature. « Et on a fait l’amour dans le bois. Je pense que souvent, j’utilise le sexe pour prouver quelque chose... »

Elle comprenait, mais elle était détruite. « Et on est repartis pour une année de drame. [...] Ma confiance était brisée. »

Cela dit, la thérapie poursuit son cours et, avec le temps, le couple fait des pas de géant. À preuve : « On a compris que c’était normal d’être attiré par d’autres, et on a commencé à s’en parler, poursuit Valérie. Pour lui, c’était libérateur de pouvoir exprimer ses désirs pour d’autres, et pour moi, en les entrant dans mes fantasmes, ça les rendait moins menaçants. » En théorie, du moins.

En pratique, disons que leur première expérience échangiste a plutôt « crissement mal viré ». Parce que oui, inévitablement, expériences échangistes il y a eu. C’était avec des amis. Si, en théorie toujours, l’aventure devait permettre à Valérie d’explorer avec une femme, au bout du compte, cette dernière s’est montrée drôlement plus intéressée par son chum. En fait, ils étaient « trop » attirés l’un envers l’autre, résume Valérie, qui a fini par mettre un terme à l’affaire. Mais pas au projet. Pour cause : « C’est clair pour mon chum que la monogamie ne fonctionne pas, dit-elle. Il a un trop grand besoin d’être aimé. Admiré. » Et elle ?

Je pense que la monogamie convient mieux à ma personnalité, parce que j’ai besoin de sécurité, de ne pas me sentir abandonnée. Mais je suis très consciente que je peux être abandonnée même si je suis monogame. Et peut-être que j’ai plus de chances avec mon chum si on a une ouverture…

Valérie

Pendant ce temps, le projet « ouverture » n’est pas mis sur la glace, au contraire. Ils multiplient les démarches pour trouver des partenaires, et finissent par vivre quelques expériences « satisfaisantes », notamment dans un club échangiste. « Mais clairement, c’est beaucoup d’efforts, pour peu de satisfaction », glisse Valérie.

Jusqu’au jour où elle propose carrément à son chum de coucher avec une voisine. « Vas-y, dit-elle. Comme je ne trouvais pas ce que je voulais dans un trip à quatre, peut-être que ce serait plus le fun [...] chacun de notre bord ? » Ce qu’elle n’a pas vu venir, c’est que monsieur a développé des sentiments. Et l’aventure, toute récente, s’est transformée en « relation amoureuse ».

Cela dit, Valérie n’est pas en reste. De son côté, elle a aussi eu une aventure avec un autre homme, carrément pris son pied (oui, sans son jouet !), et sa sexualité a évolué. Mais elle est blessée. Ça se voit. Et elle le dit : « Ce qui est difficile dans un couple ouvert polyamoureux, en tout cas pour moi, c’est que je suis blessée facilement. [...] Ça décuple ta vulnérabilité. [...] On n’a plus de moments de calme ou de paix. Il y a toujours quelque chose qui va se passer qui va me blesser... »

Quelques heures après notre rencontre, Valérie nous a écrit ceci : « Je ne me rappelle pas si vous m’avez demandé pourquoi je reste dans une relation polyamoureuse si ça ne semble pas me convenir. [...] J’ai des pistes. [...] J’aime mon conjoint, [...] je vois des changements chez lui, [...] et je lui en suis très reconnaissante. [...] L’ouverture [...], c’est souvent difficile, mais aussi excitant et nourrissant. [...] Alors je me dis que ça vaut la peine d’essayer un peu plus longtemps pour voir ce que l’avenir me réserve. »

Une semaine plus tard, Valérie nous a de nouveau écrit pour nous annoncer qu’ils se séparaient. « On en est venus à la conclusion que mon chum en voudrait toujours plus et que moi ça me blessait, le polyamour ne fonctionne pas entre nous. »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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