La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Faute de succès auprès des femmes, il s’est tourné vers les hommes. Et même si c’est « définitivement » meilleur avec les premières, il se considère néanmoins comme bi. Entretien avec un bi par dépit.

Guillaume*, sexagénaire aux airs d’intello, derrière sa barbe et ses lunettes, nous a donné rendez-vous un petit midi frisquet dans une bibliothèque, après de longues semaines de canicule, pour nous confier toute la complexité de sa réalité.

Cela nous prend d’ailleurs une bonne heure pour le cerner. Il faut dire qu’il parle peu de son ou plutôt ses orientations. « Est-ce que le monde a besoin de le savoir ? […] Ce n’est pas un sujet de conversation. C’est ma vie intime. » La bisexualité lui est d’ailleurs venue plutôt « tardivement » (« assez tardivement »), insiste-t-il, en livrant ici ce qu’il appelle joliment son « portrait d’une autre couleur dans le spectre ».

« J’ai eu une adolescence très normale, avec une première rencontre, des premiers émois, avec une jeune femme, vers 16 ans. » Non, il n’a pas de relation sexuelle avec elle. « Je n’étais pas prêt. J’ai des principes moraux, je viens d’une famille traditionnelle », justifie notre homme d’une voix douce, par moments carrément chuchotée, malgré la discrétion de notre salle de réunion.

C’est quelques années plus tard, au cégep, qu’il vit ses premières expériences, avec une autre amoureuse du moment.

Dans mon schème de pensée, à cette époque, il faut que je sois amoureux. Je ne me serais pas amusé à explorer sexuellement avec une personne.

Guillaume, début soixantaine

Si la relation est « très correcte » et dure un an, il y met un terme pour poursuivre ses études universitaires dans une autre ville. Là-bas ? « J’étais un étudiant qui étudiait ! », résume-t-il en riant. En un mot, oui, « un peu niaiseux, le gars, c’est clair, réalise-t-il. J’aurais dû profiter. Mais je n’étais pas là-dedans. »

Fraîchement arrivé sur le marché du travail, ça le frappe : « Oups, où sont les filles ? Au travail, ce sont des madames mariées ! » Il sort un peu, « mais ça ne [lui] ressemble pas », essaye de rencontrer, mais il est « un gars introverti », bref « ça ne marche pas ». Jusqu’au jour où, début trentaine, Guillaume décide de « forcer le destin » et s’inscrit à des « dîners rencontres » (l’ancêtre du speed dating !).

Là, il rencontre effectivement quelques femmes, avec qui il a quelques aventures. Et ? « C’est bien ! Oui, oui, c’est bon mutuellement, je suis quelqu’un de patient. Le plaisir de la femme, c’est la moitié du mien. Je m’arrange pour que madame soit servie avant moi ! », illustre-t-il pudiquement.

Il finit ce faisant par tomber sur la mère de son enfant. Une histoire qui dure plus de dix ans, mais où l’épanouissement n’est pas exactement au rendez-vous, disons. « Les trois premières années, on dormait ensemble. Puis on a fait chambre à part… » Ça vous donne une idée du portrait.

On vous épargne la « fusion totale » de madame avec l’enfant, et le sentiment de monsieur d’être ici « tassé », pour en arriver à leur séparation. Guillaume a alors 50 ans.

Là, ma barrière morale a sauté. Ça commence à faire…

Guillaume, début soixantaine

Après près de dix ans d’abstinence (« tu peux te satisfaire personnellement, mais vient un moment où tu as besoin de stimuli ! »), il décide ici d’« explorer ». Comment ? « Je vais payer pour un service », se dit-il. Guillaume essaye d’abord du côté des escortes, mais l’expérience n’est pas concluante. « On n’a pas le droit d’embrasser, alors c’est juste de la génitalité. » Et ça ne lui convient pas. Non, Guillaume a besoin de plus de sensualité, alors il se tourne vers un salon de massage. « Je voulais qu’on me touche ! », répète-t-il, après des années de carence de ce côté.

Et c’est tout naturellement du côté d’un spa gai qu’il se tourne, question de proximité (ça ne s’invente pas) et de « sécurité », précise-t-il : « Il ne peut rien arriver d’autre qu’un massage, se dit-il. Je me sentais protégé. »

Parce que oui, il est nerveux. Archinerveux. « Je shakais ! » Mais tout se passe finalement pour le mieux. Et plus encore. « Ça s’est très bien passé », confirme Guillaume, d’un air entendu. La preuve : le « masseur » le revoit ensuite chez lui, pour un service gratuit, pendant près d’un an. « On avait une belle réciprocité. […] Et ça faisait mon affaire : j’ai du sexe, mais c’est clair que je ne vais pas tomber en amour. Pour moi, c’est clair dans ma tête. »

Mais il y a un hic. C’est que notre Guillaume a « besoin » de pénétration, confie-t-il, à ce moment précis de l’entretien. Cela relève du viscéral. Non négociable. Or, avec un homme, c’est « compliqué ». Cela nécessite une longue préparation, et c’est rarement pleinement satisfaisant. En tout cas, moins qu’avec une femme, comprend-on. Donc il « revire » comme il dit, dans sa quête d’une partenaire de vie, et s’inscrit sur un site de rencontres. L’aventure est peu concluante (« c’est compliqué, les relations ! »), et voilà que Guillaume « revire » à nouveau.

Vous voyez ? J’essaye d’un bord, ça ne marche pas, je vais de l’autre ! Là, au moins, je sais que je vais avoir du sexe !

Guillaume, début soixantaine

« C’est vraiment ce qui arrive. Du côté des gars, c’est simple, mais c’est de la baise. »

Il « baise » ainsi (précision : toujours ici sans pénétration) quantité d’hommes (« je ne suis pas capable de les compter ») jusqu’à ce qu’il rencontre son « régulier », qu’il voit ponctuellement depuis dix ans.

Depuis, Guillaume a fréquenté deux femmes. « Parce que je veux éventuellement être en relation amoureuse avec une femme ! insiste-t-il. J’aime définitivement mieux avec les femmes. […] J’aime la relation affective avec les femmes, alors qu’avec les hommes, ce sont des plaisirs ponctuels. […] Avec les hommes, le plaisir est très furtif. Avec les femmes, c’est agréable, ça dure. […] C’est beaucoup plus satisfaisant […]. La relation sexuelle peut durer des heures, il y a un plaisir partagé qui dure dans le temps. » Les hommes ? « C’est pour combler un vide… », conclut-il en lâchant : « si vraiment j’avais été comblé avec une femme, je ne serais pas là… »

* Prénom fictif, pour assurer son anonymat.