La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

Noël* est échangiste. Mais surtout amoureux. Et l’affaire, qui vient de lui tomber dessus, le bouleverse. « Ce n’est pas ça le but de l’exercice du tout ! » Entretien émotif avec un homme à fleur de peau.

Ah oui : et il est bisexuel, aussi. C’est d’ailleurs la première raison pour laquelle il nous a écrit. « Mais présentement, c’est futile, ma bisexualité. Complètement futile. » Pourquoi ? « Parce que je suis tombé en amour, pour la première fois de ma vie depuis 17 ans. Depuis que je suis avec ma conjointe, mon amour, ma complice. » Amoureux d’une autre femme, donc, et tout cela le chavire complètement.

Il arrive d’ailleurs à notre rendez-vous, dans un parc en Montérégie, les yeux bleus rougis. Et surtout désorganisé. C’est qu’il est « intoxiqué », s’excuse-t-il. « J’ai bu. J’ai eu une fin de semaine très chargée émotionnellement. » Et il s’en remet difficilement. « Je suis émotif, désolé… »

Bref, on ne saura pas grand-chose de cette bisexualité, parce que le vrai sujet est ailleurs. Tout frais. Et il se passe maintenant. « Méchant hasard », répète-t-il, avant de se plonger dans les confidences, ses yeux s’emplissant d’eau à plusieurs reprises.

Il passe rapidement sur son passé pour arriver à sa rencontre, début vingtaine, avec sa conjointe, sa « complice », comme il le répète tout au long de l’entretien. « Je suis complètement tombé en amour. Et je le suis encore ! »

Au lit ? « On avait 22 ans, se souvient-il. Très bien. Tout allait bien ! » Et tout est toujours « magnifique » à ce jour.

Sauf qu’à travers les années et leurs nombreux enfants, madame a d’abord trompé Noël une première fois. « Pour moi, c’était fini. Elle m’a trahi, tout le tralala… » On comprend qu’il a cheminé depuis. C’est que sa douce a insisté, s’est excusée, elle avait « gaffé » : « je veux être avec toi ».

Alors ils ont poursuivi. Mais plus ou moins consciemment, Noël a gardé une « carte », sorte de joker, au cas où, quoique « sans aucune intention de rencontrer » quelqu’un.

Des années plus tard, il a finalement une aventure avec une voisine (une expérience « bof »), et apprend par la bande que sa douce l’a trompé une deuxième fois. Il ne s’épanche pas sur le sujet, mais confirme que l’affaire les secoue (« très émouvant »). Mais à nouveau, le couple se ressoude.

On se le répète chaque fois : on veut être ensemble.

Noël, 39 ans

Et puis le temps a fait son travail, et les deux amoureux se sont mis de plus en plus à envisager une certaine forme d’ouverture. Laquelle ? Ce n’est pas clair : « on se le disait souvent : on pourrait le faire, on pourrait partager… »

Et voilà qu’au début de la pandémie, sa douce s’« amourache » d’un voisin. Noël tombe par hasard sur des échanges de textos et il flippe. Littéralement. « Ça m’a pris dans le cœur, j’étais jaloux ! Tellement jaloux ! » Mais surprise : Noël a surtout honte de cette jalousie. « J’ai trouvé ça dégueulasse. […] Je ne m’aime pas comme ça. »

« Je n’aime pas la jalousie »

Alors il ose : « T’as le goût ? Vas-y ! » Il donne son accord à sa douce. Et, croyez-le ou non : « Ça m’a libéré, dit-il en souriant. Ouais, ouais, définitivement. Ça m’a fait un grand bien pour vrai. »

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : « Je lui ai proposé de baiser les trois… »

On comprend que leur couple a évolué dans cette direction à partir de là.

En effet, confirme-t-il. Chacun de leur côté, Noël et sa douce vivent ensuite une aventure, pour réaliser qu’ils aiment mieux l’idée de faire ça « ensemble ». Ils s’inscrivent alors sur un site (« mais ça n’a pas fonctionné ») avant de se rendre dans un club. Et là, tout déboule. « C’était incroyable, sourit Noël de plus belle. Comme une autre planète. Tu te rends compte qu’il y a des gens comme toi ! »

Et c’est aussi là-bas, dans ce fameux club, quelques semaines avant notre rendez-vous, donc, qu’ils rencontrent un autre couple. Sur le coup, Noël et l’autre femme en question « connectent », sans plus. « Du bon sexe, that’s it. » Sauf que non. Il y a plus.

Ça m’a pris deux jours pour m’en remettre. Qu’est-ce qui vient de se passer ? Je ne sais pas. Je ne sais pas encore…

Noël, 39 ans

En résumé, ils finissent par se revoir, à quatre (quoiqu’avec un autre homme, la femme s’étant séparée de son conjoint entre-temps). Quand ? Ce fameux week-end ayant précédé notre entrevue. Et que s’est-il passé de si bouleversant ? Noël ne le sait pas trop lui-même. « Mon corps a shut down, résume-t-il, en se prenant la tête. Je n’ai jamais été capable de performer : je n’ai pas bandé… »

Nouvelle surprise : c’est qu’au lieu de « performer », donc, Noël a vécu un intime moment de « tendresse » avec elle, l’autre, cette femme qu’il n’arrive plus à se sortir de la tête. « Ce que tu viens de me donner là vaut 100 pénétrations », lui a-t-elle dit. Et Noël ne s’en remet pas depuis.

« J’ai réalisé ça : on a oublié la tendresse, effectivement. On a oublié ça… »

Ça se bouscule dans sa tête : ce coup de (foudre ?) tendresse pour cette autre femme, et son amour présent pour sa « complice ». « Je ne contrôle pas comment je me sens, dit-il. J’ai 39 ans, une femme que j’aime, des enfants, une sexualité libérée, et je me suis levé amoureux. […] Ça me sort par les pores de la peau… »

Non, il n’a rien caché : après le choc initial (« on ne la revoit plus »), sa femme comprend, croit-il. D’ailleurs, il croit que ça les a « rapprochés » : « On avait oublié la sensualité, peut-être, c’est ce que je retiens. […] Alors je vais essayer de revivre en tendresse avec ma femme. »

Noël ne sait pas du tout où tout cela va le mener. Mais il sait une chose. C’est que ce qu’il vit aujourd’hui est tabou. Architabou. « On partage des pénis, des vagins, mais on ne peut pas partager des esprits ? […] J’ai le cœur brisé. »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat