La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Jonathan*, fin quarantaine.

Jonathan est séropositif. Les pratiques à risque, il connaît. Il a donné. À fond. Il a même touché le fond. Récit d’un virage à 180 degrés. Parce que oui, s’en sortir, ça se peut.

La preuve : aujourd’hui, le souriant quadragénaire aux yeux clairs est intervenant dans un organisme en santé sexuelle. Il a d’ailleurs tenu à nous rencontrer alors que la 22e conférence internationale sur le sida bat son plein au Palais des congrès, jusqu’au 2 août.

Son cheval de bataille : le VIH et « l’utilisation de drogues stimulantes dans un contexte sexuel », dit « chemsex », souvent sans protection. Pourquoi ? « Parce que les deux sont intimement liés, dans mon cas. »

Rencontré dans un petit café de la rue Ontario, à une table un peu à l’écart, l’homme porte ici tantôt le chapeau de confident, tantôt celui d’intervenant. Ou un heureux mélange des deux.

C’est un sujet dont on ne parle pas assez. Il manque beaucoup d’éducation, et qui en souffre le plus ? Les personnes séropositives elles-mêmes…

Jonathan

Alors, parlons-en : de son côté, Jonathan a fait son coming out vers 18 ans, « aux débuts des années 1990, à l’époque où l’on parlait encore du sida. [...] C’était vraiment intense. Beaucoup de personnes en mouraient, principalement dans la communauté gaie, mais pas que. Il y avait des messages de prévention partout dans les toilettes des bars. » Et dans le contexte, « bien sûr, ça me préoccupait ».

Ç’a d’ailleurs été la première réaction de sa mère : « OK, mais j’espère que tu vas te protéger. »

Il vit aussi sa première expérience avec un ami, avant de vivre une « belle histoire d’amour », au tournant de la vingtaine. « Je cherchais mon prince charmant. J’étais très romantique. »

L’histoire dure trois ans. « J’avais fait le tour. [...] Le prince, c’est pas ça. » Jonathan se donne alors, et pour la première fois de sa vie, le « droit » d’explorer, comme il dit, et ose les « one nights » et autres « sexe, sans attaches ». Mais attention : « à l’époque, j’étais vraiment sérieux, la prise de risque est venue plus tard... ». Bref, oui, il se protège.

Mi-vingtaine, nouveau « prince charmant », une histoire qui dure quelques années et qui finit plutôt mal. Très mal, même. Pensez : demande en mariage, puis annulation. « Ça a fait tomber toutes mes illusions. »

C’est alors que notre « grand romantique » sombre. Pas à moitié. Il commence à « explorer la drogue ». Quoi, exactement ? « Crystal meth, MDMA, GHB — mais à l’époque, on n’appelait pas ça la drogue du viol ! — et, bien sûr, Viagra. [...] Des façons de se désinhiber et tripper plus, résume-t-il. Le mot n’existait pas, pourtant, c’était ça : du chemsex. »

En gros, Jonathan se retrouve à des soirées, seulement avec des hommes gais, et ça se passe. L’intérêt ? « L’oubli, l’abandon total, répond-il, en toute sincérité. Et puis, beaucoup de plaisir. »

Ça décuple ton plaisir. De trois à 10 fois plus fort, plus intense, plus long. Tu peux prolonger le trip à une nuit, deux nuits, trois nuits sans dormir…

Jonathan

Et oui, il a « trippé ». Fort. Vécu des hauts. Puis des bas. D’ailleurs, « ce serait la nouvelle crise, après le sida, signale notre interlocuteur, en reprenant ici son chapeau d’intervenant. Parce que ça peut occasionner des suicides. On n’en parle pas, mais les gens se rendent loin. Ils peuvent aller jusqu’à perdre leur job, leur famille, leur argent. Ça accentue un état dépressif. [...] Ce n’est pas long que tu voies le fond du baril... »

Et lui ? On devine que c’est à ce moment que le condom prend le bord. « Dans ce contexte où tout le monde est désinhibé, t’as pas le goût d’argumenter... », confirme-t-il. Parfois, oui, il se protège. Mais parfois, non. Une fois de trop, comprend-on. Mi-trentaine, très exactement, le fatidique verdict tombe. « J’ai pensé à ma mère. J’avais le sentiment de l’avoir déçue... »

Heureusement, à l’époque, les traitements antiviraux ont déjà fait leur apparition. La maladie n’est plus mortelle. « Si j’avais eu mon diagnostic en 1990, je ne serais pas ici pour en parler... »

Parenthèse : non seulement ce n’est plus fatal, mais en plus sa charge virale est aujourd’hui « indétectable ». En gros, si Jonathan prend son médicament religieusement, il ne peut pas transmettre la maladie. Fin de la parenthèse.

Toujours est-il qu’à l’époque, la nouvelle l’assomme. Littéralement. Bilan : « Je suis tombé encore plus désillusionné que je l’étais. Et j’ai plongé encore plus dans la drogue. Ça aurait dû faire l’inverse, hein ? »

Cette fois, c’est toutes les fins de semaine que ça se passe. À répétition. « Et pas des petits trips de trois heures... » Et oui, sa vie, sa job, sa santé et ses (autres) amis commencent à en souffrir.

Et non, il ne se protège plus vraiment. Parce que « tout le monde est déjà séropositif » dans le groupe, lui dit-on. « Et c’est vrai, confirme-t-il, il y a une grande prévalence de VIH dans cette communauté d’usagers de drogue, mais pas tout le monde. »

Il aurait pu y rester, et il le sait. Mais là où Jonathan a eu un « tilt », c’est quand il a vu des gens s’injecter. « J’ai fait ouf. [...] Ça allait trop loin... »

Et oui, ça a suffi. Certes, « ça ne s’est pas fait du jour au lendemain ». Il a eu une rechute. Même une relation tampon avec un cocaïnomane (« dans ma tête, c’était moins pire, et presque aussi le fun ! »). N’empêche qu’au tournant de la quarantaine, Jonathan a carrément décidé de changer de vie. Changement de carrière, en prime.

Le signal d’alarme avait sonné. Je l’avais fait, mon trip

Jonathan

Il est retourné à l’université, a décroché un diplôme et trouvé un emploi dans un monde à la fois connexe et opposé : l’intervention. « J’ai réinvesti ma libido dans mes études. [...] Je veux faire du bien ! »

Mieux : il a aussi rencontré un nouvel homme, un type qui ne consomme pas, n’a pas le VIH (« une belle surprise »), avec qui il vit aujourd’hui une sexualité « enrichissante ».

Enrichissante ? Si vous voulez tout savoir, non, ça n’est pas exactement aussi « intense » que ce qu’il a connu dans le passé. Jonathan est formel. « Ce n’est pas aussi hot. [...] On est moins dans l’intensité, plus dans l’intimité. [...] Sauf que là, avoir un chum le dimanche matin qui me fait des crêpes, ça a plus de valeur que l’intensité à tout prix, plus de valeur que les feux d’artifice qui ne durent pas si longtemps, finalement... »

* Nom fictif, pour protéger son anonymat

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