La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Christopher*, 60 ans

Christopher aime les femmes d’ailleurs. Ça ne fait pas de lui un raciste, mais un ethnophile, croit-il. Sauf que le clou de son histoire n’est pas là. Mais dans son parcours sinueux pour arriver à ce constat. Ou plutôt le déchiffrer. Se déchiffrer. Explications.

Ça a l’air compliqué comme ça, mais c’est tout simple. C’est que Christopher nous a écrit au printemps en réaction au témoignage d’une certaine Laurence, une trentenaire féministe au fantasme inavouable, croyait-elle : les Noirs. « Ce n’est pas du racisme ! », s’enflamme, mi-amusé, mi-choqué, notre interlocuteur, attablé devant une bière, au début de l’été. Le racisme, pour moi, c’est quelque chose de négatif. Être attiré, je n’appelle pas ça être raciste, mais ethnophile, ou ethnosexuel ! »

Notre homme sait de quoi il parle : il vit, et depuis trois ans, un véritable « coup de foudre » pour une femme venue d’Afrique. Sauf qu’en l’écoutant se raconter, on constate que son histoire est ailleurs. Disons que ce coup de foudre a peut-être été alimenté par un passé sinon trouble, du moins peu heureux. Mais lisez plutôt.

Christopher a eu un éveil à la sexualité « comme tout le monde », pouffe-t-il d’un grand rire franc, « aussi maladroit qu’un ado normal ». De 15 à 25 ans, il vit quelques aventures, avant de rencontrer une femme avec qui il passe plus de 20 ans. Jusqu’ici, rien de particulier à signaler. Et effectivement, à ce moment-ci de l’entretien, notre interlocuteur ne semble pas trop vouloir en dire davantage.

Au lit ? « Très bon des années, mais comme plusieurs, à un moment donné, on a fait le tour », se borne-t-il à répondre. Mais encore ? « Fulgurant au début, poursuit-il, et ça s’est compliqué ensuite. »

Compliqué comment ? Il nous faudra le cuisiner longtemps. Par pudeur, ou peut-être pour brouiller les pistes, et protéger son anonymat, Christopher va rapidement sauter à sa conjointe actuelle, pour revenir sur le thème du « racisme » ou, pardon, de l’ethnophilie :

La qualité de la sexualité n’a rien à voir avec la couleur de la peau, mais avec la chimie.

Christopher

Certes, mais revenons à sa relation précédente, se permet-on d’insister.

Alors voilà, finit-il par confier (« et je pourrais alimenter trois de vos chroniques ! ») : c’est qu’au bout de quelques années, et après avoir fondé une famille, madame a voulu explorer du côté de l’échangisme. L’affaire a duré, tenez-vous bien, plus de 10 ans, avec un couple d’amis choisis. Au début, Christopher n’est pas contre, quoiqu’il semble peu chaud à l’idée du couple en question. Pour cause : « Je pense qu’elle était probablement amoureuse du gars, et moi, la fille ne m’attirait pas beaucoup. D’autant plus que c’étaient des amis... »

N’empêche que leurs premières explorations sont plutôt « drôles », « on ne se prenait pas au sérieux », et oui, il a « trippé ». « Tant que ce n’est pas sérieux, tu trippes. »

Ils partent carrément en voyage à quatre, ou à deux. « Chacun de son bord. » Parce qu’ils n’étaient pas « mélangistes », mais « échangistes » à proprement parler, comprend-on.

Mais ? Nous y voilà. C’est ici que la langue de Christopher se délie. « Les émotions se sont mêlées là-dedans. [...] C’est déjà compliqué à deux, là, à quatre, c’est quatre fois plus compliqué. [...] Et à un moment donné, l’autre a pris plus de place. Dans sa tête à elle, il a pris trop de place. [...] Ce n’était plus juste un jeu. Et là, ce n’était plus drôle. »

En gros, décode-t-on, la relation entre madame et (l’autre) monsieur est devenue archi-« compliquée », « il y avait des chicanes, de la jalousie, de la marde ». « Je n’avais pas le goût de vivre ça ! » Tandis que de son côté à lui, et avec (l’autre) dame, avec le temps et vu les circonstances, il avait « une meilleure chimie ».

Non, il n’est pas « tombé » amoureux d’elle, mais est « monté » en amour, nuance-t-il. « Est-ce que c’était de l’amour ? C’est surtout devenu plus simple d’être avec l’autre. »

En fait, les relations entre les quatre sont devenues si « lourdes » que notre homme a carrément pris une pause de tout ce beau monde quelques mois. « Et je ne suis jamais revenu. »

Fin de l’histoire ? Sans hésitation. « J’ai tourné la page », confirme Christopher. D’ailleurs, il n’en parle jamais. À personne. Sa conjointe actuelle n’est même pas au courant de ses explorations. Pourquoi donc ? « Ça dérange les gens », craint-il.

[L’échangisme], ça crée du jugement et ça ne me tente pas. Et puis, ça n’intéresse personne !

Christopher

S’il en parle aujourd’hui, et ici, « c’est peut-être pour aider des gens qui vivent des choses semblables », dit-il. « Moi, c’est quelque chose que j’ai vécu et que je n’ai pas le goût de revivre. [...] Je savais que ça pouvait déraper, et ça a dérapé. [...] Parce que tu perds le contrôle. Je me pliais au jeu, mais de l’autre côté, ça n’était pas un jeu. Quand des gens vivent ça, ça doit se faire avec beaucoup de transparence et d’honnêteté. Et je pense que nous, dans notre quatuor, il y avait un point faible. Mais ça, c’est mon opinion ! »

Et le rapport avec sa conjointe actuelle ? Quand il l’a rencontrée, tout à fait par hasard, après sa séparation (« j’étais bien seul et je pensais rester seul ! »), il en est arrivé à ce constat. « Je vais me faire obstiner par les féministes, mais les femmes africaines ont une conception plus traditionnelle des rôles des hommes et des femmes, avance-t-il. L’homme est traditionnellement pourvoyeur, et la femme accomplit les tâches domestiques. Ce n’est pas ce que je cherchais, mais ce n’est pas compliqué. » Et on l’aura compris, dans le domaine de la complication, Christopher a donné.

« Si tu ne te chicanes pas sur des choses au quotidien, au lit, tu ne traînes pas de frustration », se félicite-t-il.

Mais ce n’est pas tout. Ce côté « traditionnel », comme il dit, va plus loin. « Elle est investie et fidèle, et je le sais. Elle ne m’annoncera pas demain matin qu’elle veut faire un trip à trois ou à quatre. Et moi, j’ai tourné la page, répète-t-il. Je ne suis pas très ouvert aux couples ouverts. [...] Pour l’avoir vécu et avoir touché le fond, ça ne m’intéresse pas de le revivre. C’est peut-être pour ça que le fait de me retrouver dans un couple monogame et stable, ça a quelque chose de rassurant... »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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