Est-ce que ça fait mal ? C’est quoi, le 69 ? Et le pénis, est-ce qu’il est plus long, après la première relation ? Non, ces questions n’ont pas été posées dans une classe ni à l’heure du souper, mais bien sur TikTok. Portrait d’une incursion improbable, analyse et réflexions.

« Voici pourquoi l’orgasme vaginal n’existe pas », « Savais-tu qu’il existe trois types d’érections ? » et « Connais-tu le clitoris ? ». Dans des capsules de moins de 60 secondes, sur un ton direct, concis et complice, Anne-Marie Ménard, diplômée en sexologie, s’évertue depuis plus d’un an maintenant à « déconstruire des mythes ». Place à l’éducation.

Tous les sujets y passent : de l’orgasme aux pets de « noune » en passant par la porno (d’ailleurs, oui, beaucoup de femmes hétéros apprécient la porno lesbienne, « j’t’explique pourquoi ! », dit-elle dans une capsule sur le sujet). Exit les tabous.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Anne-Marie Ménard, diplômée en sexologie

Salut, aujourd’hui, je déconstruis un mythe sexuel !

Citation tirée du compte TikTok @aulitavecannemarie

Tout a commencé avec la pandémie. Ou juste avant, en fait. Après quelques ateliers dans des écoles, Anne-Marie Ménard constate l’ampleur de l’ignorance des jeunes. « À la fin du cours, les élèves me retenaient pour me poser des questions : est-ce que c’est normal si... », raconte-t-elle dans une entrevue enflammée accordée récemment. C’est que la sexologie est sa « passion », et ça paraît. « Je suis en mission ! », dit-elle en riant.

Consultez le compte TikTok d’Anne-Marie Ménard

Il faut dire que d’ordinaire, ou traditionnellement, peut-être, la sexualité a été exposée par la négative : la première fois (fait mal), il faut se protéger (des maladies), on « perd » sa virginité (au fait : « l’hymen qui déchire, c’est un mythe ! Il n’y a rien qui déchire ! », ne peut-elle s’empêcher de nous rappeler). De son côté, l’approche, on l’aura compris, est tout autre : « J’essaye d’enlever cette peur-là, résume-t-elle, pour normaliser, expliquer les étapes et décomplexer. »

Rejoindre le plus grand nombre

D’où l’idée des capsules sur le web, laquelle s’est imposée avec la pandémie et la fermeture des écoles. C’est une amie qui lui a d’abord conseillée TikTok. « Je n’y avais jamais été de ma vie ! » Et le succès a été immédiat. En deux capsules sur le clitoris et à peine plus d’une heure, elle avait 70 000 vues. Aujourd’hui, son compte possède plus de 111 000 abonnés. « Le plus que je peux joindre de monde, le mieux, parce qu’il y a un message à passer ! »

En plus dudit « message », Anne-Marie Ménard a quelques clips promotionnels (peu nombreux et dûment identifiés), gracieuseté de la boutique érotique Éros et Compagnie, notamment. On la voit donc promouvoir ici un jouet sexuel, là une huile. Éthiquement, la communicatrice n’y voit pas grand souci. « Oui, je suis à l’aise, tranche-t-elle. Si personne n’explique ces produits-là, qui va le faire ? Et moi, je ne parle pas de produits auxquels je ne crois pas. »

C’est une réflexion semblable qui a amené Maude Painchaud Major, fondatrice de Sexplicite (une boîte de services en matière d’éducation à la sexualité), sur TikTok au tout début de la pandémie. Elle non plus ne connaissait pas grand-chose au réseau social avant d’y plonger.

Il faut rejoindre les jeunes là où ils sont.

Maude Painchaud Major, fondatrice de Sexplicite

« Le 12 mars 2020, j’animais un atelier de questions et réponses dans un collège d’Ahuntsic en secondaire 2. Le lendemain, les écoles fermaient. Mais moi, il fallait que je continue de répondre aux questions des adolescents ! » Solution ? « Je pourrais répondre à une question par jour sur TikTok ! », s’est-elle dit. Et pourquoi TikTok ? « Dans l’optique de rejoindre le plus grand nombre. [...] Tout le monde est sur TikTok ! »

Consultez le compte TikTok de Maude Painchaud Major

Si cette diplômée en sexologie constate également que le besoin est « très, très, très présent » (« je me suis vite ramassée avec des milliers d’abonnés ! »), qu’elle pourrait répondre à une question chaque jour « pendant des années » (des relations amoureuses à l’orientation sexuelle en passant par le polyamour, les questions vont dans tous les sens, et toutes les directions), la formatrice a néanmoins arrêté après quelques mois (et surtout la réouverture des écoles), faute de temps (elle agissait bénévolement, faut-il le préciser).

N’empêche qu’elle continue de voir là un médium intéressant pour rejoindre un « grand bassin », dans un format « fun » et « léger », des jeunes qui ne sont peut-être pas exposés à ce contenu à l’école (où l’offre est inégale), encore moins à la maison. Ses limites ? « Comme tous les réseaux sociaux, il faut développer son esprit critique par rapport à ça. Il y a des gens très bien intentionnés, et d’autres qui vont juste dire n’importe quoi. Mais ça, c’est l’enjeu de tous les réseaux sociaux... »

Cultiver l’esprit critique

Distinguer le vrai du faux, c’est aussi l’enjeu souligné par tous les observateurs interrogés. Sara Mathieu-C., chargée de cours en éducation à la sexualité et administratrice du Club Sexu, voit ici trois types de contenu : le témoignage (offrant une « voix » et des « modèles », comblant un grand manque, notamment dans la communauté LGBTQ+), le contenu professionnel (des médecins s’affichant comme tel, un phénomène plus fréquent aux États-Unis, avec les gynécologues @drjenniferlincoln ou @drheatherirobundamd, notamment), et le contenu promotionnel.

« Il y a des personnes qui ont des intérêts lucratifs et qui utilisent le thème [de la sexualité] parce que ça marche, dénonce-t-elle, et qui veulent vendre soit du contenu, soit des produits. »

Quoi faire ? Pas de secret : « Il faut cultiver l’esprit critique des enfants et des adolescents. Qui sont ces personnes, quel est leur intérêt ? »

« Il faut accompagner les jeunes », renchérit Nina Duque, doctorante en communications à l’UQAM et spécialiste des pratiques numériques des adolescents.

Il ne faut pas leur dire quoi regarder, mais leur donner des outils pour avoir un esprit critique, leur laisser de l’espace pour aller chercher leur information et les outiller en amont pour savoir ce qui est bon ou pas.

Nina Duque, doctorante en communications à l’UQAM

Comment vérifier la source, la teneur des commentaires ? Est-ce que cela a l’air d’un site commercial ? Il faut pousser la réflexion, suggère la chercheuse.

En attendant, une chose est sûre, avance-t-elle : « Clairement, les jeunes se posent des questions. N’ayant pas les réponses, ils se tournent là où l’on en parle… »

L’avis de l’Ordre

L’Ordre des sexologues du Québec n’est pas surpris de voir les jeunes se tourner vers TikTok. « Et bien sûr que c’est une bonne chose, précise la présidente Joanie Heppell, lorsque [le contenu] est fait par des professionnels compétents. Là où le bât blesse, c’est qu’il est dur de distinguer le bon grain de l’ivraie. » Elle conseille aux principaux intéressés de clairement afficher leur titre professionnel (sexologue, travailleur social...), leur affiliation à un ordre, etc. « Le public québécois a intérêt à en connaître davantage en matière de sexualité. C’est un facteur de protection en matière de santé sexuelle », dit-elle. D’ailleurs, souligne-t-elle, « vous savez, on peut être très compétent en 15 secondes... »

En savoir plus
  • Les jeunes sur TikTok
    32,5 % : des usagers ont entre 10 et 19 ans (aux États-Unis)
    Source : Influencer Marketing Hub
    Le temps sur TikTok
    75 minutes : temps quotidien moyen des enfants de 4 à 15 ans
    Source : Influencer Marketing Hub