La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Catherine*, 34 ans

Catherine vient d’avoir un cancer. Pas n’importe lequel : un cancer gynécologique. Depuis, difficile pour elle d’oublier la douleur ou d’évacuer la peur. Surtout pour tout ce qui touche de près ou de loin à son intimité. Entretien avec une survivante, à la recherche de sa vitalité perdue.

« J’ai beaucoup souffert. Et là, à 34 ans, ma vie sexuelle est... anéantie », nous a-t-elle écrit, tout juste avant Noël. Non seulement elle n’a plus de libido, mais sa jeunesse s’est aussi envolée, avec une ménopause « radicale » imposée (nous y viendrons). Et tous les coups durs qui s’y rattachent, comprend-on, à la voir grimacer.

Pourtant, à vue de nez, rien n’y paraît. La belle rousse à la moue pulpeuse nous accueille chez elle un petit matin d’hiver, dans la vaste cuisine ensoleillée de sa maison dans le Nord, pour se raconter. Pendant une grosse heure, elle se révèle comme un livre ouvert : ses premières amours à l’adolescence (et ces « fréquentations » qui « pouf », du jour au lendemain, ne donnent plus de nouvelles), sa sexualité « correcte » (« je suis assez conventionnelle, mettons, je n’écoute pas de porn, je n’utilise pas de jouets... »), puis la rencontre de son mari, quelque part dans la mi-vingtaine.

Au lit ? « Super, répond-elle, il était doux, il ne me demandait pas des choses que je n’avais pas envie de faire, encore là, je suis assez classique, répète-t-elle, et il était respectueux. »

Avec les enfants, c’est devenu évidemment « plus compliqué » : « Ça chamboule », résume-t-elle, d’un air entendu. Mais là n’est pas exactement le sujet. En fait, c’est plutôt avec une énième grossesse que les soucis ont commencé. Il y a trois ans, très exactement.

Le cancer

Elle s’en souvient encore. Elle venait de faire un examen de routine et un médecin a appelé. On voulait la voir. Rapidement. Le plus vite possible, en fait. « J’ai compris : c’est évident. Et j’ai pleuré deux jours. »

Elle le savait : c’était un cancer. Et pas de n’importe quel stade. Relativement avancé. Catherine, aux deux tiers de sa grossesse, a dû commencer la chimio. Et vivre au passage plusieurs deuils. « J’avais les cheveux aux fesses, glisse-t-elle, avec une pointe de nostalgie. Je voulais accoucher à la maison, et j’ai fini avec un cancer et une césarienne... »

Ce n’est pas tout. Côté intimité, l’oncologue a aussi été catégorique : « Plus de relations. » Un autre sale coup pour le couple, qui a encaissé comme il l’a pu. « On s’est fermés les deux de notre bord... » De toute façon, pour Catherine, cela allait de soi.

Moi, je ne voulais pas être touchée non plus. On ne touche pas en bas. Parce que. Non.

Catherine

Cela a duré comme ça un an. Étonnamment, Catherine a traversé cette grossesse couplée d’une chimio et d’une disette sexuelle assez sereinement. « C’était l’été. J’étais toujours arrangée avec des foulards, en robe d’été, avec ma bedaine. J’étais bien, dit-elle. Sans nécessairement le savoir, je pense que les hormones de grossesse m’ont aidée à être zen. »

Et son conjoint ? « Mon conjoint, c’est un mâle alpha, répond-elle sobrement. Les sentiments, ça ne sort pas souvent. Je pense qu’il n’avait pas les outils émotionnels pour m’aider là-dedans... »

En gros, finira-t-on par comprendre, s’il a certes été « très respectueux » au lit, il ne l’a pas accompagnée une seule fois en chimio. « Il travaille, précise-t-elle, en haussant les épaules. Mais je ne suis jamais allée toute seule. J’ai un très bon cercle. »

La ménopause

Toujours est-il qu’à ses yeux, le pire n’est pas là. « Le cancer a été facile, contrairement à ce que je vis aujourd’hui... », laisse-t-elle ici tomber, ses yeux se remplissant d’eau, à différents moments à partir de maintenant.

C’est que depuis la naissance du bébé (un accouchement par ailleurs « super », « il avait plus de cheveux que moi ! La magie du placenta ! »), Catherine n’est plus la même. Mais plus du tout. Elle cherche ses mots. Peine à expliquer. Et puis ça sort : « Je me sens vieille femme. »

Vieille ? La chimio a « tué » ses ovaires, comme elle dit, ce qui, en plus de la rendre stérile, a déclenché de facto sa ménopause. « Et c’est radical. [...] Pour l’estime de soi, ç’a été très difficile. J’avais 32 ans. Et j’étais ménopausée. [...] Une vieille femme », répète-t-elle.

Pendant mon cancer, pas une fois je me suis dit : pourquoi moi ? Mais la ménopause ? Là, j’ai vécu des frustrations…

Catherine

Parce que qui dit ménopause dit aussi « sècheresse vaginale, perte de libido, chaleurs, peau vieillie, corps qui change, toutes ces affaires-là », poursuit-elle. « Et dans ta tête, tu associes ménopause à vieille femme... »

Alors quand ils ont enfin eu le « OK » de l’oncologue (un an plus tard, donc) pour recommencer à avoir des relations, ça n’a pas été exactement évident. En plus de tous ces soucis, Catherine vit une forme de « choc post-traumatique », croit-elle, de nouveau les yeux embués. « Je pense juste à ça. » À quoi ? « J’ai peur. » Une peur maladive d’une récidive, en quelque sorte. Peur d’avoir mal, aussi. Et elle est incapable d’en démordre. Ni vraiment d’en parler... « Si je l’exprime, lui, il trouve ça lourd : reviens-en, de ton cancer... »

Mais elle n’en revient pas, justement. Ou difficilement. « Si je bois du vin, dit-elle, je suis capable de déconnecter, de couper mes pensées, c’est arrivé. J’ai été capable d’avoir une relation, j’étais dedans, je participais. » Mais pas souvent. « J’ai trois enfants, le lendemain, il faut que je me lève. [...] Et à jeun, je suis envahie par mes pensées... »

Et en prime, elle culpabilise...

Oui, elle aimerait voir un psychologue. Et son oncologue lui a suggéré un sexologue. Elle est sur diverses listes d’attente, avec tous les délais que l’on sait.

« Alors je vous ai écrit parce que là, j’ai vraiment un problème, dit-elle. On dirait que j’associe la sexualité au cancer. Est-ce que c’est parce que je me suis fait examiner là trop souvent ? Parce qu’il est là, pointe-t-elle vers son entrejambe, à la même place ? [...] Je veux me sortir de ça. Ce n’est pas normal. Je suis trop jeune. [...] C’est un méchant gros problème... »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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