La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Béatrice*, fin vingtaine.

Béatrice ne sait pas trop ce qu’elle est. Elle se cherche. Faute de mieux, elle se dit queer. Queer « par défaut ».

« J’y vais avec queer par défaut. À défaut d’un meilleur terme pour comprendre mon rapport à ma sexualité. »

La jeune femme, fin vingtaine, nous a donné rendez-vous en banlieue de Montréal pour se raconter. « Il y a un gros flou artistique, résume-t-elle. Je ne suis définitivement pas hétéro, mais je suis quoi ? Il y a un flou. »

Il faut savoir que la question est doublement importante à ses yeux, puisqu’elle est par ailleurs « passionnée des mots ». « J’ai fait un bac, une maîtrise et un début de doctorat dans le domaine des langues, poursuit-elle, donc il y a un problème de définition pour moi qui est fondamental. Parce que les mots sont précis ! », lance-t-elle, dans un grand éclat de rire.

L’entretien d’une bonne heure autour de sa quête identitaire se fera aussi dans cette bonne humeur, ponctuée de quelques moments d’émotion. De larmes, aussi. Ainsi va la vie. « Je suis une émotive… » Et il faut dire que la vie n’a pas toujours été tendre avec elle. Nous y viendrons.

« J’ai tout de suite su que je n’étais pas complètement hétéro, c’était instinctif, très clair pour moi. » D’ailleurs, elle se souvient encore de son premier coup de foudre (à ce jour pas totalement résorbé) pour sa meilleure amie. Elle devait avoir 14 ans. Si elle le lui a dit ? « Non, jamais », pouffe-t-elle de plus belle.

C’est l’histoire de quelqu’un bien dans son placard. Dans un placard avec une porte grande ouverte. Pourtant, je n’aime pas les vêtements. Mais ce placard est très confortable !

Béatrice, fin vingtaine

Ça vous donne une idée du personnage. Coloré. Ou plutôt archi imagé.

Vers 16 ans, Béatrice se fait son premier chum et découvre ce faisant la sexualité. « Je n’étais pas à la meilleure période dans ma tête, mon secondaire a été difficile, laisse-t-elle tomber, et lui a été là à un moment où j’en avais besoin. » En clair, finit-on par comprendre, Béatrice a été victime d’intimidation. Longtemps. Beaucoup. Pour son look. Son style. Son attitude, aussi. Elle le sait et elle le dit. « Je n’ai jamais été petite, et je le sais. Et je suis socialement awkward. Parce que je suis autiste. J’ai eu un diagnostic sur le tard. » Tout dernièrement, en fait.

Toujours est-il qu’avec ce premier chum, les débuts sont par ailleurs plutôt « extraordinaires ». « On faisait beaucoup de préliminaires », enchaîne-t-elle, avant de se corriger. « Je préfère dire sexe non pénétratif. C’était tendre, doux, ça ne faisait pas mal. Je vais revenir sur la douleur plus tard… »

Après tout ce « sexe non pénétratif », Béatrice se croit « prête ». « Pourtant, j’ai réalisé après que je ne l’étais pas. » Comment ? « C’est comme si j’avais un lien avec l’enfance et ma virginité. Et ce lien s’est brisé. Ça m’a fait paniquer. » Et ainsi s’est terminée la relation. Ils ne se sont plus jamais revus.

Et puis ? « Et puis, j’étais correcte. Je n’ai rien eu pendant six ans. » Jusqu’à ce qu’elle se mette à fantasmer sur l’idée d’être en couple, en fait. « J’aime l’idée d’être en amour. Par contre, peut-être en raison de l’autisme, j’ai de la difficulté à me faire des amis… », déclare-t-elle, les yeux tout à coup pleins d’eau.

Grâce à une cousine, elle finit tout de même par se faire un deuxième amoureux. Un type « gentil ». Au lit ? « Correct, répond-elle. Correct, mais pas extraordinaire. C’était pas la pire chose ever, mais je me rappelle m’être demandé si je ne serais pas lesbienne… »

Je me demandais pourquoi je n’avais pas autant de plaisir que ce que j’imaginais que je devrais avoir…

Béatrice, fin vingtaine

Au bout de trois mois, lors d’un rare ébat plutôt agréable (où cela a « fait du bien, avant de faire mal », elle y viendra plus tard, promet-elle de nouveau), il a fallu que le préservatif « pète ». Et Béatrice a flippé. À cause de toutes les implications. Les éventualités. « Je n’étais pas prête, dit-elle de nouveau. Je veux m’enfuir, m’en aller le plus loin possible. » Et une fois de plus, elle est partie, et ils ne se sont plus ou moins jamais revus.

Mi-vingtaine, Béatrice part alors étudier à l’étranger. C’est là, lors d’une visite de sa mère, qu’elle ose un semblant de coming out. Un coming out interrogatoire : « Ça ne me dérange pas si je finis avec un homme ou une femme », résume-t-elle. « Et je me rappelle ma mère qui fond en larmes : “Tu ne me donneras pas de petits-enfants…” » Une réflexion qui ne l’a pas quittée.

Depuis ? Béatrice poursuit sa réflexion. Elle a pensé qu’elle serait peut-être sapiosexuelle (« attirée par l’intelligence »), ou plutôt demisexuelle (« j’ai besoin d’un lien émotif avant d’envisager une sexualité »). « Mais aujourd’hui encore, c’est plus compliqué que ça. »

En quoi ? « Parce que, à l’intérieur de tout ce questionnement, il y a aussi le fait que la sexualité me fait toujours mal… »

Nous y voilà. Elle en a glissé un mot plus tôt. Chaque fois, lors de chaque relation « pénétrative », Béatrice a mal. Des jours de temps. Même en solitaire, elle a mal. Pas plus tard que dernièrement, après s’être acheté des jouets (« parce que je suis une fille de 20 ans, et j’en veux une, sexualité »), elle a eu du mal à marcher pendant quatre jours.

Oui, si vous voulez tout savoir, elle a fini par avoir un diagnostic : endométriose et adénomyose (endométriose interne). Mais faute de traitement efficace, elle se questionne davantage. « Avec un homme, c’est compliqué, parce que j’ai mal. Je ne veux plus avoir ça comme problème. » Du coup, elle songe à se tourner franchement du côté des femmes. « Il faut que je le teste ! »

Mais jusqu’ici, « c’est la jachère »…

D’ailleurs, malgré ce qu’elle en dit, elle craint un peu les étiquettes. Une partie d’elle rêve toujours du scénario classique : un amoureux, une maison, et des enfants, surtout. D’où son fameux « placard » à moitié ouvert.

C’est précisément pourquoi elle a voulu ici témoigner. Pour s’assumer. Dans son indécision, finalement. « Peut-être pour aider des gens qui se reconnaîtront ? Faire bouger les choses ? Dire que c’est correct, de garder sa place dans le placard, mais la porte ouverte ? »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat