Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Luc*, début soixantaine

Luc a joui d’une belle vie sexuelle toute sa vie. Puis, mi-cinquantaine, le verdict est tombé : cancer de la prostate. Une opération plus tard, et contre toute attente (et combien de fausses croyances), la maladie n’a pas mis à mort sa sexualité. Entretien plein d’espoir, pour démystifier et surtout dédramatiser une maladie honnie.

« Si je vous écris, c’est que j’aimerais, par mon témoignage, démystifier la croyance, voire la peur, chez de nombreux hommes dans ma situation, selon laquelle la vie sexuelle s’arrête à la suite d’un cancer de la prostate, nous a-t-il écrit l’automne dernier. Après avoir subi une prostatectomie, je suis maintenant en rémission complète. Bien sûr, ça a changé passablement ma vie sexuelle, pour le mieux, je dirais aujourd’hui. » Pour le mieux ?

À la caméra, quelques mois plus tard, le souriant sexagénaire se confie sans se faire prier, dans la bonne humeur et la légèreté. On comprend que la tempête est derrière lui. Et que, de manière générale, on a ici affaire à un homme plutôt bon vivant, bienveillant et volontairement optimiste.

J’essaye de rester positif là-dedans…

Luc

« Là-dedans » comme ailleurs, d’ailleurs. Prenez sa première petite amie. Quelque part autour de ses 16 ans, elle n’a jamais voulu coucher avec lui. Elle avait apparemment trop peur des réprimandes. « C’était un peu frustrant pour un garçon, confie-t-il doucement. Mais j’ai respecté ça ! » C’est finalement au début de la vingtaine, avec une fille rencontrée dans un bar, que Luc fait l’« amour » pour la toute première fois de sa vie. « Ç’a été mon baptême, je ne peux pas dire mieux ! », dit-il en souriant. Il s’en souvient encore. C’est que la fille en question était très « chaleureuse », limite « nymphomane ». Elle le réveillait la nuit. Toutes les nuits. C’en était presque trop !

L’histoire dure quatre ans, à la suite de laquelle Luc fait la rencontre de celle qui allait devenir la mère de ses enfants. Au lit, cette fois-ci, c’est l’autre « extrême », rit-il. « Elle était gênée ! Pour faire l’amour, il fallait fermer les lumières ! [...]. Je lui ai montré à ne pas avoir honte de son corps. » Mais il la « comprend », précise-t-il. Ayant vite mis la « machine » en mode « famille », ça n’a pas dû être évident : « allaiter, retomber enceinte, etc. […] Ça ne lui tentait jamais, mais je comprends… »

Toujours est-il qu’au tournant de la quarantaine, Luc se sépare et fait alors la rencontre de sa « fontaine de Jouvence : une femme « équilibrée », de 15 ans de moins que lui, « vraiment à son top, vraiment belle ». En bref : un vrai de vrai « coup de foudre », rattrapé toutefois par la réalité de la vie. C’est qu’il a de jeunes enfants de son côté, elle du sien, et malgré la passion, les frictions en matière d’éducation ont raison de leur idylle, qui dure tout de même 10 ans.

Nous voici au tournant de la cinquantaine. Luc se retrouve célibataire. Il fait quelques rencontres ici et là, avant de finalement trouver « sur les réseaux » la femme avec qui il partage toujours sa vie. « Je n’y croyais pas ! » lls filent en effet à ce jour le parfait bonheur, après la moyenne tempête que l’on sait.

Le « choc »

Nous y venons enfin. C’était il y a un peu plus de cinq ans. Luc devait avoir 55 ans et, jusqu’ici, on l’a dit, tout allait pour le mieux pour lui. Sa vie sexuelle avec sa conjointe était on ne peut plus « normale » – « ça a toujours bien marché », glisse-t-il, d’un air entendu – jusqu’à ce que son médecin décèle quelque chose d’anormal, justement. Quelques tests plus tard, et le fatidique verdict tombait : cancer. Pas n’importe lequel : un cancer de la prostate, assez invasif merci, dans ce cas-ci. « Ta vie s’écroule », résume-t-il. Sans parler de toutes les questions qui l’assaillent d’un coup : combien de temps lui reste-t-il à vivre ? Quelle opération choisir ? Surtout : à quel prix ? « C’est comme une partie de poker. Tu perds ici, tu gagnes ailleurs… »

De son côté, vu l’état de la maladie, Luc opte pour la prostatectomie. Un choix « déchirant », confirme-t-il. En effet, qui dit ablation de la prostate dit risque de récidive clairement moins élevé. Un énorme plus, comprend-on. Du côté des moins, enchaîne-t-il : « En coupant des canaux, je n’aurais plus de sperme, et […] des chances d’être incontinent ! » C’est arrivé à son voisin, et Luc en sait quelque chose :

Porter une couche pour le reste de tes jours ? Ta sexualité en prend un coup !

Luc

Autre option : la radiothérapie, certes moins raide sur la vie sexuelle : « Mais il y a des risques de récidives… » D’où le pari de Luc : « vivre ». Et oser le risque…

Et savez-vous quoi ? « Bonne nouvelle, dit-il, pas peu fier, aujourd’hui, je n’ai plus rien ! » Si vous voulez tout savoir (et Luc est ici pour tout raconter), tout fonctionne quasi « normalement », à un menu détail près : « Je ne sécrète plus de sperme. J’ai des éjaculations vides. Ou sèches », confie-t-il, en cherchant le mot juste. Bien sûr, concède-t-il, les érections ne sont plus exactement ce qu’elles étaient. Mais Luc y trouve son compte. « J’ai besoin d’une petite pilule bleue, dit-il en riant. Je n’ai plus les érections d’avant, mais cela me permet d’avoir des relations sexuelles ! »

D’où sa grande, immense fierté, qu’il tenait ici à faire partager : « C’est une grande victoire ! Je pensais que je serais incontinent ! Et que je n’aurais plus de vie sexuelle, s’exclame-t-il. C’est pour cela que je voulais témoigner. Il faut que les hommes aient confiance. Qu’ils gardent courage. Il y a de la lumière au bout du tunnel ! »

Et la lumière a un je-ne-sais-quoi de plus doux, mais aussi de plus intense, croyez-le ou non. « C’est sûr que ce ne sera plus jamais comme avant. C’est différent. » Différent parce que la spontanéité a pris le bord (pilule bleue oblige), et la performance n’est plus exactement « au rendez-vous ». N’empêche : avec la complicité de sa conjointe (un élément clé dans l’apprivoisement de ce « cancer du couple », comme on dit aussi), des samedis soir désormais « sacrés », leur intimité est plus sensuelle, et surtout – et c’est le clou : « La jouissance est plus forte ! C’est moins facile, mais plus intense ! Donc j’ai gagné, dans le fond ! dit Luc en souriant de plus belle. Est-ce que j’ai pris la bonne décision ? Peut-être que non. Mais je pense bien que oui… »

Conclusion ? Il y a une vie après 60 ans, et même une vie après le cancer de la prostate, répète-t-il, pour être sûr que son message soit bien entendu. « C’est un message d’espoir, la vie sexuelle n’est pas terminée. […] Je ne serais plus l’homme que j’ai été, il a fallu que je fasse mon deuil de ça, mais c’est une belle victoire. Avec les éjaculations en moins ! Mais qu’est-ce que ça change, finalement ? J’ai encore mes jouissances ! »

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* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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