La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Julie*, 46 ans

Certains voient les sites de rencontre comme une vraie jungle, un monde sans pitié, ou même un enfer sur terre. D’autres, au contraire, s’y plongent pour oublier, s’étourdir, voire carrément guérir. Thérapeutiques, les sites ? Pourquoi pas ?

C’est du moins l’avis de Julie*, blonde quadragénaire de Gatineau, qui nous a envoyé un message différent récemment. Moins négatif et plus encourageant que d’ordinaire, disons. Jugez vous-même : « J’ai surutilisé toutes les applications de rencontre durant trois mois, a-t-elle écrit. Ces trois mois ont été très intenses et m’ont appris beaucoup sur moi, sur les hommes… »

Rencontrée virtuellement, distance oblige, elle se confie avec légèreté. On devine qu’elle a fait tout un bout de chemin.

« J’ai eu ma première relation sexuelle complète à 13 ans. Quand même… », glousse-t-elle à la caméra. Une bonne humeur qui ne la quittera pas de l’entretien. Avec ? « Le père de mes enfants ! »

Non, son histoire n’est pas linéaire (« on s’est séparés, puis retrouvés à l’âge adulte »), et encore moins à l’eau de rose. Car même si cette première fois, aussi précoce soit-elle, s’est déroulée « dans le respect », même si elle a retrouvé cette flamme de jeunesse (« j’avais énormément confiance en cet homme ») début vingtaine, après « quelques chums », il faut savoir que les 20 ans qui ont suivi ont été tout sauf harmonieux. Pire : « Il n’y a rien qu’on n’a pas vécu… » D’abord, sexuellement, « c’était très poche, grimace-t-elle, il était éjaculateur précoce ». Leur relation était en prime « conflictuelle », et leurs deux enfants ont eu de lourds soucis de santé. « Tout ça pour dire que ça n’était pas simple. » Oui, elle a pensé le quitter. « Mais les enfants étaient très jeunes, ils avaient besoin de beaucoup de soins. Je me voyais mal gérer ça toute seule… »

Alors, en contrepartie, et parce qu’elle avait « besoin de [se] faire connaître comme femme », Julie « flirtait ». « Je l’ai trompé à plusieurs reprises », dit-elle. Mais ce n’était pas tant le sexe qu’elle recherchait que le regard, l’approbation, la validation. « Je voulais qu’on me trouve séduisante. » Et qu’on la sauve, finit-on par comprendre.

Elle finit par tout lui dire, au tournant de la trentaine, mais ne trouve pas le « courage » de le quitter. Julie plonge alors dans une profonde dépression, qui dure un an. À la suite de quoi, la vie reprend, sans grand changement. Au lit ? « Je le faisais parce qu’il le fallait… », dit-elle en riant de nouveau. Il faut dire qu’elle a connu mieux depuis. Nous y viendrons.

« C’était rapide, je me sentais comme un objet, explique-t-elle. Ce n’était pas quelqu’un de tendre… » Se raconter semble tout à coup pénible. « C’est une période de ma vie que j’ai occultée. C’est un passé difficile », laisse-t-elle tomber.

Le divorce

Au bout de 21 ans, très exactement, Julie découvre, et dans des circonstances assez pénibles, que monsieur la trompe lui aussi. Depuis un an, en fait. Et avec une femme de 20 ans sa cadette. Celle-ci lui envoie d’ailleurs le détail de leur union, en photos. « J’ai complètement disjoncté… »

On vous épargne le divorce « catastrophique », mais on comprend que les mois qui ont suivi ont été d’une douleur sans nom. « Je suis tombée très bas. »

Elle atterrit d’ailleurs chez ses parents, à 42 ans sonnés. C’était il y a trois ans. « Je me sens comme une moins que rien, dit-elle. Ma mère me compare aux montres de Dali qui coulent. Je suis l’ombre de moi-même. […] C’est comme si je ne valais plus rien sans cet homme. Tout était de ma faute. »

Mais quand j’ai compris que c’était réellement fini, il fallait que je rebondisse, sinon je mourrais…

Julie, 46 ans

Elle n’ose pas tout de suite s’inscrire sur Tinder (« je me considérais trop vieille et trop laide… ») et opte plutôt pour EliteSingles (« ça avait l’air plus sérieux »). « Et je visais les 50 ans et plus, parce que dans ma tête, je ne plairais à personne d’autre. » Une chose en entraîne une autre, et Julie se retrouve sur une multitude de sites : Zoosk, Bumble et, évidemment, Tinder. « Les quatre en même temps. Je suis un peu fofolle, comme s’il n’y avait plus rien à mon épreuve. C’était maintenant ou jamais ! »

Elle s’étourdit dans les one-nights (parfois un différent par jour, « très intense »), et ce, pendant trois mois. Chrono. Elle raconte en riant un amant mémorable ici (« une bête de sexe, […] il voulait juste faire plaisir à une femme. Il avait tous les gadgets possibles ! »), un moins là (« je suis partie en courant d’une maison. La débandade. Il était bizarre ! »).

Les meilleurs ? Ceux qui restaient « dans le respect », en la faisant « sentir belle », qui ne « pensaient pas qu’à leur plaisir », avec qui elle avait surtout « une conversation ». Les moins bons ? « Ceux que je sentais qui avaient tout appris avec la porn… »

Elle ne le cache pas : à travers ses aventures, Julie a drôlement repris confiance en elle. « Ça m’a permis de me retrouver belle, et appris que j’aimais le sexe, parce que je ne le savais plus ! […] J’ai commencé à être à l’aise avec mon corps avec tout ça ! »

Mais il n’y avait pas que ça. Outre cette « orgie » dans sa vie, comme elle dit, il y a aussi eu les échanges. Des confidences qui, visiblement, lui ont aussi fait le plus grand bien. « À travers ça, moi, j’avais un deuil à faire, et je racontais mon histoire. Ç’a été vraiment une belle thérapie. Plus l’autre était loin, et plus on se disait des choses intéressantes. »

Sauf que voilà, au bout de quelques semaines, Julie a décidé que c’était assez. Ce qu’elle cherchait, c’était une relation. Une vraie histoire. « J’ai changé ma façon de cruiser. » Et surtout « slaqué les rencontres ». En un mot : « t’as eu ton fun, commence à être sérieuse », se raisonne-t-elle. Et c’est là qu’elle est tombée sur un homme qui, tout à coup, ne lui a pas parlé de ses seins (ni de ses fesses), mais avec qui elle a eu de vraies conversations. « Et j’avais une condition, dit-elle en riant, il ne fallait pas qu’il fasse de fautes d’orthographe ! » Il a fini par l’inviter dans son chalet, et là-bas, ils ont encore « discuté, discuté, discuté », dit-elle en souriant. Au lit ? « Parfait ! Parce que là, c’était de l’amour ! […] Je me sens en sécurité, aimée, et je lui rends bien ! » Ça semble presque trop beau pour être vrai. Cela fait déjà trois ans, et ils ne se sont pas lâchés depuis.

Morale ? « Si je l’avais rencontré dès le début, je ne pense pas que ça aurait cliqué, conclut-elle. Je n’étais pas rendue là. […] Il faut apprendre à se connaître soi-même, pour être prêt à rencontrer. Et tous les moyens sont bons ! » Ah oui, et « la vie ne s’arrête pas à 42 ans » non plus…

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat.

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