Le réalisateur canadien Bruce LaBruce (Saint-Narcisse) vient de boucler un tournage à Montréal, pour les productions de la papesse de la pornographie féministe, Erika Lust (XConfessions, Lust Cinema, etc.). Sur son plateau se trouvaient les coordonnatrices québécoises Roxane Néron et Laurence Desjardins, d’Intimedia. Discussion autour d’un sujet qui dépasse largement l’industrie de la pornographie.

Ici, les coordonnateurs d’intimité ne sont pas en option. C’est écrit noir sur blanc dans ses lignes directrices : tous les films qu’elle produit doivent avoir recours à leurs services. Pour comprendre pourquoi, la pionnière en matière de porno féministe, la Suédoise Erika Lust, a répondu par écrit à nos questions*.

Pour commencer, pouvez-vous nous rappeler ce qui vous a amenée au cinéma porno en général, et au porno féministe en particulier ?

Cela remonte à mes études en sciences politiques et en études de genre à l’Université Lund, en Suède, en fait. C’est à cette époque que j’ai réalisé que la plupart des films pornos qu’on trouve sur l’internet ne reflètent pas du tout une réalité en matière de sexualité, mais plutôt une idéologie, des valeurs et des opinions. Donc mon intérêt pour le genre a commencé assez tôt, mais ce n’est que beaucoup plus tard que cela s’est traduit en carrière. Après mes études, donc, j’ai déménagé à Barcelone pour étudier le cinéma, tout en continuant à m’intéresser à la sexualité féminine et à tout ce discours pornographique. Et quand on m’a demandé de faire un court métrage, j’ai tout de suite su que je voulais faire quelque chose autour de la sexualité féminine. Et la meilleure façon de le faire : en faisant un film pour adultes ! Je voulais faire quelque chose de complètement différent. Un film selon mes goûts à moi, en exprimant mes valeurs, pour y montrer l’importance du plaisir au féminin. C’est ainsi que j’ai réalisé The Good Girl, publié en ligne, phénomène devenu ensuite viral en quelques semaines à peine.

Pouvez-vous définir le porno féministe ? En quoi le consentement est-il au cœur du genre ?

Le cinéma porno féministe (aussi varié et artistiquement diversifié soit-il) se définit à l’origine en opposition à un genre, traditionnellement du ressort exclusif des hommes cisgenres, pour y insuffler une perspective différente en matière de représentation de la sexualité. Le porno féministe vise à mettre en scène des adultes consentants, honnêtes et respectueux dans l’expression de leurs désirs et leurs sexualités. Le tout dans des relations sexuelles égalitaires. Et oui, effectivement, le consentement est présenté ici clairement comme une priorité, au lieu de la banalisation de la simulation de la coercition, la pédophilie ou l’abus. Je m’assure aussi toujours qu’il y ait des femmes derrière la caméra pour prendre les décisions. Le regard féminin (female gaze) est essentiel pour bousculer le statu quo du porno. Le fait d’avoir des femmes, mais aussi des minorités et des personnes LGBTQ+, derrière la caméra permet de réécrire ces scénarios et d’offrir quelque chose de complètement différent. Comme mes plateaux et bureaux sont à 80 % féminins ou LGBTQ+, je travaille à ce que le regard féminin et queer soit désormais la norme, et non plus l’exception.

Ce qui nous amène aux coordonnateurs d’intimité. Depuis quand les exigez-vous et pourquoi ?

Nous avons senti le besoin d’inclure des coordonnateurs d’intimité sur les plateaux en travaillant avec des réalisateurs invités sur XConfessions. Certains de ces réalisateurs n’avaient jamais travaillé sur des films érotiques avec des performeurs adultes, et donc ne savaient pas nécessairement comment gérer les scènes de sexualité ni les conversations autour de l’intimité, les limites, la santé sexuelle, etc. Toute l’équipe d’un tel plateau de cinéma pour adultes doit être consciente des complexités du travail, afin de maintenir un environnement sûr pour tous. Et les coordonnateurs d’intimité sont précisément là pour ça. Effectivement, c’est une exigence essentielle pour travailler à titre de réalisateur invité dans mes productions.

PHOTO MONICA FIGUERAS, FOURNIE PAR ERIKA LUST

Selon Erika Lust, un coordonnateur d’intimité est essentiel sur un plateau de tournage si la production comprend de la sexualité.

Et concrètement, qu’est-ce que la présence de ces coordonnateurs change sur le déroulement du tournage et le résultat final ?

La présence du coordonnateur d’intimité nous assure que les acteurs seront pris en charge en tout temps, et qu’ils auront toute la liberté d’explorer leur sexualité en toute sécurité, et en tout confort. À cause de la nature même de nos tournages, il est essentiel d’avoir quelqu’un sur le plateau avec un tel rôle : s’assurer constamment que les acteurs consentent activement aux scènes dictées par le réalisateur. On ne veut vraiment pas que quelqu’un se sente dans l’obligation de faire quoi que ce soit. Ni que quiconque soit inquiet ou mal à l’aise pour quelque raison que ce soit. De manière générale, on veut que les acteurs se sentent libres d’exprimer leurs opinions et sentiments en tout temps, sans jamais avoir l’impression de déranger avec leurs besoins.

La coordination d’intimité n’est pas encore implantée à grande échelle, en tout cas pas ici, sur les plateaux québécois. Comment expliquez-vous votre avant-garde ?

C’est une profession en croissance à Hollywood, mais toujours très nichée presque partout ailleurs, notamment en Europe, et encore plus sur les plateaux de films pour adultes. Fort heureusement, de plus en plus de gens dans mon industrie sont en train de se remettre en question, en vue de participer à ce vent de changement dans le tournage de la pornographie en général, et dans le traitement des performeurs en particulier. Plusieurs performeurs qui arrivent sur nos plateaux pour la première fois se disent aussi agréablement surpris d’être traités par une équipe si élargie, et si respectueuse de leurs besoins. Je pense que le fait de promouvoir les coordonnateurs d’intimité fait partie de ce vent de changement dans l’industrie du porno, à l’origine même de mon entrée dans le métier, il y a plus de 20 ans de cela. Je travaille à ce que le porno soit considéré en tant que genre respectable, et je crois que pour ce faire, il est nécessaire d’investir dans des équipes de talent, et surtout amener une éthique dans la production, par-dessus tout. Les performeurs sont des professionnels, mais ce sont des humains avec des vies avant tout. Voilà pourquoi nous nous devons de les soutenir physiquement et émotivement avant, pendant et après les tournages.

Pour finir, pouvez-vous me dire un mot sur le film de Bruce LaBruce ?

Bruce nous a fait parmi les courts métrages les plus sexy qui soient sur XConfessions, et je suis très excitée par cette première collaboration avec Lust Cinema ! Bruce sait repousser les limites et il est toujours dans l’innovation, et j’aime beaucoup sa vision artistique et politique. Mais vous allez devoir attendre que son film sorte en salle pour en savoir plus. Tout ce que je peux vous dire pour l’instant, c’est que ça promet !

* Les propos ont été traduits de l’anglais et résumés à des fins de concision.