La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Éric*, 45 ans.

Non, les clients d’escortes ne sont pas forcément tous des « trous d’cul ». Et les femmes, des paumées. Certains sont des gens bien. Vivent des moments forts. Et tombent même parfois amoureux. Entretien avec un client au cœur un peu brisé, justement.

« Je fréquente des escortes, et j’ai tendance à tomber amoureux d’elles… », nous a écrit Éric récemment. Il a voulu se raconter, question d’« humaniser » un peu ce genre de « relation ». Parce que pour lui, oui, il s’agit là bel et bien de « relations ». Nous y viendrons.

Avant d’avoir recours à des escortes, Éric, un professionnel aux airs de professeur de cégep, avec ses cheveux longs, sa barbe et ses lunettes, et surtout son souci du mot juste, a passé un peu plus de 10 ans avec la mère de ses enfants. Sa toute première partenaire, en fait. Une fille rencontrée à l’adolescence, sur qui il a eu un œil des années de temps. Au lit ? « Nul à chier », répond notre homme, pince-sans-rire, rencontré virtuellement dernièrement. « Nul, vraiment nul. »

Comment donc ? « Moi, enchaîne-t-il, j’ai une assez forte libido, elle, très peu. Et honnêtement, c’était fait comme si elle voulait s’en débarrasser. Très poche. » Pensez : 10 fois par année, max. « Et l’internet était mon bon ami », glisse-t-il ici, en haussant les épaules.

S’ils en ont discuté ? Affirmatif. Mais la discussion n’a rien amené de bon. Tout le contraire : « Ça virait toujours en chicane. Elle me faisait sentir excessivement coupable d’avoir une forte libido. […] Mais il y avait de l’amour malgré tout, prend-il la peine de préciser. C’est une femme que j’aimais beaucoup. Et puis il y avait les enfants, la maison, le classique… » D’où leur longévité, devine-t-on. Parce que non, la sexualité n’a pas été le « point central » de la rupture.

Des « relations » particulières

Ce n’est que vers la fin de la relation qu’Éric, « par curiosité », ose finalement faire le saut en répondant à une petite annonce d’escorte dans un journal (comme ça se faisait à l’époque). Sa toute première expérience est tout sauf mémorable. « Ç’a été très, très poche », dit-il de nouveau. D’abord, il est officiellement tiraillé : archi-nerveux d’un côté (par l’aspect « illégal » de la chose), mais aussi évidemment excité (« dépasser l’interdit, il y a un petit thrill à ça… »), il ne le cache pas. N’empêche : « je ne peux pas croire que je suis rendu à payer pour des relations sexuelles ! J’ai 29 ans, dans ma tête, ça ne devrait pas être comme ça… »

Il faut dire que rien ne se déroule tel qu’anticipé. Imaginez la scène : il se pointe au rendez-vous la veille du jour J (« on s’était mal compris »), la femme est en train de manger en fumant, « genre en pyjama », se souvient-il vaguement. Disons qu’on est loin du décorum imaginé. « J’ai fait ce que j’avais à faire, mais ce n’était pas très érotisant. Plutôt très mécanique… »

La mésaventure ne l’empêche pas de récidiver, ici ou là, quoique ce n’est qu’une fois officiellement séparé (mi-trentaine) qu’Éric se met véritablement à avoir des « relations » du genre, et ce, de manière plus régulière.

Concrètement ? « Environ aux deux semaines », estime-t-il. Généralement avec des femmes différentes. Jusqu’à ce qu’il en rencontre une qui lui coupe l’envie de voir ailleurs. « Et j’en suis tombé très amoureux… », dit-il en souriant tristement.

Il ne cache d’ailleurs pas pourquoi : « Il y a une connexion qui s’est faite […], ça a coulé super facilement, comme si on se connaissait depuis 10 ans. »

J’avais l’impression que j’avais le droit d’aimer ça, maintenant. Elle m’a enlevé ces idées comme quoi ce n’est pas bien. Comme quoi je devrais me gérer. Cette femme a réussi à me faire sentir que c’est correct…

Éric

Dans les faits, elle s’attarde à « son » plaisir, lui au sien, il sent qu’elle apprécie, et surtout qu’elle ne se dépêche pas d’en finir. C’est « doux », ajoute-t-il, et c’est « tendre ». Et ça dure des heures. « Je payais une heure et ça durait deux, trois heures, parce qu’on se collait, on jasait, etc. » Limite, oui, comme des amoureux. À quelques détails près : pas de « je t’aime » ici, ni de baiser sur la bouche.

De nouveau, Éric ne le cache pas : « J’aurais voulu être son amoureux », confirme-t-il, à tel point qu’il a arrêté de coucher avec elle. Pourquoi donc ? « Je ne voulais plus coucher avec l’escorte, mais avec la femme… »

« Je m’attache »

Et puis ? Et puis ils ont continué à se voir (madame lui a présenté ses enfants, ils ont même passé un Noël ensemble), mais ça a fini par s’arrêter là. « Elle ne voulait pas être mon amoureuse, faque c’est ça… »

On comprend que ça n’a pas été facile pour Éric. « Ç’a été très dur, confirme-t-il doucement. Très, très dur. » Il a même « pleuré sa vie », comme on dit.

Parenthèse : on ose lui demander s’il s’est ici questionné, éthiquement parlant. « Bien oui, c’est sûr, répond-il. Mais quand je sens que le plaisir est partagé, que c’est le fun pour les deux, ce questionnement est beaucoup moins là… » Fin de la parenthèse.

Et puis la vie a suivi son cours. Sur un site de rencontre, Éric a fini par se faire une blonde. Une histoire « extraordinaire » sexuellement parlant, bien qu’elle n’ait duré que quelques mois. « Et elle aussi a contribué au fait que, oui, j’ai le droit d’aimer ça. » A suivi une autre histoire d’amour (lire : pas avec une escorte), laquelle a duré cette fois sept belles années (au cours desquelles Éric n’a jamais soufflé mot de son passé, parce que c’était du « passé », précisément). « Et je la vois encore dans ma soupe, confie-t-il. C’est une femme extraordinaire. » De nouveau, au lit, avec elle, c’est « phénoménal ». Comme quoi les choses ont drôlement évolué de ce côté. « La terre arrêtait de tourner, ce n’est pas compliqué. Chaque fois, c’était phénoménal ! […] On était faits pour faire l’amour ensemble ! »

Depuis ? Depuis, Éric a repris ses rendez-vous sporadiques avec des escortes, et, vous l’aurez deviné, est encore tombé amoureux d’une femme avec qui les relations étaient « magiques ». Sauf que la dame, pour une raison qu’il s’explique mal, a fini par ne plus répondre à ses textos. Par couper les ponts, quoi. Encore une fois, confirme-t-il : « J’ai eu beaucoup de peine. »

Cela fait plus d’une heure qu’il se confie. Non sans peine, et on devine que le constat qui s’impose fait mal, Éric avance : « Oui, je m’attache, parce que j’ai l’impression que c’est réciproque ! […] Je pense que j’étais un client Platinum, mais je demeurais un client pareil… »

Mais ce n’est pas ce qu’il aimerait que l’on retienne de son histoire. Plutôt, souhaite-t-il, qu’on « dédramatise » le rôle d’escorte (« je sais très bien que des histoires à la Fugueuse, ça existe pour vrai. Mais ce n’est pas nécessairement que ça… »), qu’on « normalise » le tout, quoi. Et qu’on y voie par-dessus tout la « relation » : « parce que d’abord et avant tout, c’est une relation. » Aussi unidirectionnelle soit-elle.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat

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