Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Régine*

Son amoureux, c’est son roc. Régine le sait et s’en émerveille, depuis plus de 40 ans maintenant. Oui, malgré les hauts, les bas et tous ces aléas de la vie. Parce qu’il y en a, bien sûr. Récit d’une histoire d’amour « avec un grand A ».

« Je me considère comme privilégiée d’avoir connu l’amour fou, nous a-t-elle écrit au début de l’été. J’espère le vivre encore longtemps. » Alors on a voulu la rencontrer (virtuellement), pour avoir le secret de cette longévité.

Évidemment, son histoire n’est pas (et n’a jamais été) un long fleuve tranquille. Ils ont leurs différends, monsieur est impatient, madame boudeuse, mais ils ont appris, avec le temps, à s’ouvrir. Et surtout, à se retrouver. En gardant au passage une belle et vivante intimité. Nous y reviendrons.

Parce que tout n’a pas trop bien commencé pour Régine, coquette sexagénaire aux cheveux blancs, coupés au carré. Pas du tout, en fait. « Je n’ai pas subi de viol ou d’agression, précise-t-elle, mais ma première fois a été traumatisante. » Comment ? En pleine action, autour de 17 ou 18 ans, son compagnon de l’époque (et futur premier mari) a été pris de panique : Régine pourrait tomber enceinte. Il a eu une telle peur que cela a teinté l’intimité de la jeune fille pour des années. Pas à moitié : elle a été incapable, ensuite, d’être pénétrée sans douleur. Et pénétrée tout court. « Comme si quelque chose s’était bloqué en moi », analyse-t-elle. Ont suivi infections, douleurs et « toutes sortes de problèmes » pendant trois longues années, au bout desquelles, croyez-le ou non, le mariage a fini par être annulé. « Parce qu’on n’a pas eu de consommation libre et je ne sais pas quoi », résume-t-elle.

Le septième ciel

À l’époque, début vingtaine, Régine se fait une raison : « Je ne suis pas faite pour ça », se convainc-t-elle. Jusqu’à ce qu’elle rencontre un expert en relation d’aide, pour une thérapie assez efficace, merci : « J’ai vécu une catharsis, se souvient-elle, un déblocage émotif. » Révélation : « Ma première fois, j’avais vécu l’angoisse de mon partenaire comme un rejet de moi, comprend-elle. Et ç’a été la fin de mes difficultés ! […] J’ai redécouvert ma vie. Et j’ai voulu exploiter tout cet élan de vie là. » Avec, et le détail n’est pas anodin, un intérêt et une oreille tout particuliers pour ses émotions. Et celles des autres, comme on verra plus loin.

Régine a 24 ans, est nouvellement divorcée. « Je me sens libre, rit-elle à la caméra. Je commence à avoir des aventures ! » Mais pas avec n’importe qui. « Je savais exactement ce que j’aimais et ce que je voulais, et jusqu’où j’avais le goût d’aller », se souvient-elle.

Jusqu’au jour où elle fait la rencontre d’un ami de sa sœur. Il ne lui plaît pas immédiatement. Mais un soir, et elle s’en souvient encore, ils discutent avec quelques amis, et le courant passe. « Quelque chose s’est ouvert en moi. J’ai vu l’homme sous un autre angle, et j’ai senti naître le désir d’être proche de lui et d’être aimée de lui. »

Elle éclate de rire, en se remémorant leurs premiers ébats : « On parle du septième ciel. Je ne sais pas quelle expression peut traduire ça : nos corps, nos cœurs et nos esprits fittaient ensemble ! » Mieux :

Moi, même si j’avais eu quelques aventures, je ne savais pas ce qu’était l’orgasme. Avec lui, j’ai découvert ça : l’abandon, c’est quoi, s’abandonner jusqu’au bout ! Et depuis ce temps, c’est toujours là !

Régine, 65 ans

Les premiers mois, ils vivent une passion « à fond la caisse », en faisant l’amour « deux ou trois fois par jour », poursuit Régine. « Mais après deux ans collés collés, on a commencé à descendre de notre nuage, dit-elle. À avoir besoin d’air un peu. […] Et à se poser la question : qu’est-ce qu’on voulait vivre et comment ? Et la relation s’est transformée. »

Tous deux suivent à l’époque, et chacun de leur côté (et à nouveau, ce n’est pas anodin, vous verrez), des ateliers de croissance personnelle. « On voulait que notre relation soit un lieu de croissance, explique-t-elle. On voulait cheminer ensemble. » Fascinant en théorie, mais comment ça se vit en pratique ?

« Cheminer » dans la relation

Ils ont trouvé, de leur côté, comment « cheminer » à travers les « conflits ». Oui, les défis. On ne l’avait pas vue venir, celle-là. Et pourtant, poursuit Régine : « Le conflit sépare. Mais comment on revient ? Et qu’est-ce qui se passe pendant ? » Elle réfléchit et poursuit : « On peut faire ça une vie : se fâcher. Et ne rien apprendre ! Mais nous, on accordait de l’importance à ça. »

Et de toute évidence, ça leur a servi. Parce qu’à chaque conflit, petit ou gros, comme après la naissance de leur deuxième enfant, par exemple, quand ils ont cru se perdre, et sont même passés à un cheveu de se quitter, ils ont « retrouvé le chemin », comme elle dit. Comment ? « Je ne sais pas, rit-elle. On s’ouvrait là-dessus ! » Ils se disaient ce qu’ils ressentaient, le plus justement et sobrement possible : qu’est-ce qui se passe, pourquoi on ne se rejoint plus, on ne fait plus l’amour ! « On a toujours trouvé des mots pour parler », résume-t-elle. Et plutôt bien, devine-t-on. « Assez pour que je retombe enceinte ! »

Mais attention : rien n’est acquis. « Nos zones fragiles sont encore là, poursuit Régine. Il arrive encore que son impatience déclenche ma fermeture, ça existe encore, sauf qu’on trouve des passages possibles. »

On ose s’ouvrir, se dire “ça m’énerve” sans jamais se crier de noms, le plus justement possible.

Régine

Exemple ? « Je suis plus capable, là. On va revenir quand on va être calmés, et c’est ce qu’on fait. Parce que des fois, c’est intense… » Et ils ont appris à le faire de mieux en mieux, au fil du temps, des années et des défis changeants.

Et savez-vous quoi ? Cet apprentissage déteint au lit. « C’est un baromètre ! confirme Régine. Chaque fois qu’on fait cet “exercice” et qu’on se rejoint, ça paraît dans la relation. On est plus à l’écoute de soi et de l’autre. C’est vraiment extraordinaire. Malgré les zones fragiles, on est vraiment en communion quand on fait l’amour ! On est capables de recevoir. Et donner ! »

Le secret, selon elle : ne pas faire comme si les différends n’existaient pas, mais faire « avec », résume-t-elle. « Et le plus important prend plus de place. »

Aujourd’hui, trois (grands) enfants et une ménopause plus tard, oui, la relation a encore évolué. Les amoureux font désormais chambre à part (« j’avais de la misère à m’endurer ») et se retrouvent désormais sur « rendez-vous ». « Et puis c’est bon ! C’est très bon ! On se le dit tous les deux souvent : câline qu’on est chanceux ! »

C’est d’ailleurs pourquoi Régine tenait tant à témoigner. Parce qu’elle a une belle histoire à raconter. Parce que ça se peut. Encore faut-il y mettre du sien, conclut-elle. « Ça vaut la peine ! […] Faire l’effort de rester […], avoir le courage de lâcher prise. Et faire confiance… »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.