Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Sean*, mi-quarantaine

Sean* est gai. Assumé. Pas à moitié. Et c’est précisément de cette « intensité » du monde homosexuel qu’il a voulu ici témoigner. Récit d’un ex-« serial fucker » qui revient de loin. Qui a surtout appris, avec les années (et les peines d’amour), à s’aimer.

« Les homosexuels ont une espèce d’intensité sexuelle qui dépasse tout ce que tu peux imaginer ! », explique d’emblée le grand blond aux yeux bleus, mi-quarantaine, qui se livre ici avec aisance, un débit accéléré et surtout coloré, qui ne le lâchera pas de l’entretien. Il faut dire qu’il en a long à raconter.

« J’ai toujours su que j’étais gai », commence-t-il, mais sans savoir ce que c’était. Petit, il se souvient de sa « fascination » pour Tom Selleck et surtout « cette représentation forte d’un homme ». Un intérêt pour la virilité qui va le suivre toute sa vie. À l’adolescence (une période « difficile »), poursuit-il, il se fait longtemps « écœurer », à coup de « tapette » et autres « fifi ». « Les gens disaient que j’étais efféminé, moi, je disais stylé… », nuance-t-il. Il faut dire qu’élevé en région, Sean travaillait déjà son look à fond. Pensez : style années 80, mais au cube. « Je tripais sur Madonna, Samantha Fox, se souvient-il. La culture me rentrait dedans ! » Toujours est-il qu’après avoir exploré un brin avec un petit voisin (« il était poilu ! »), il se fait une blonde ou deux, question de vivre un petit « répit », comme il dit. « Ça me protégeait, glisse-t-il, et puis j’aimais beaucoup être avec les filles. » Au lit ? « Exploratoire et fonctionnel, résume-t-il. J’ai découvert que j’excellais avec les femmes à l’amour oral. Je ne peux pas dire si, aujourd’hui, je ferais la même chose, mais à l’époque, j’aimais ça ! »

Ces histoires ne durent pas et autour de ses 18 ans, Sean part étudier en ville, à Québec. Et c’est là que pour la toute première fois, il embrasse un homme. « Et j’ai vraiment catché de quoi », sourit-il tout à coup.

Oui, j’avais exploré avec un voisin, c’était sanitaire. Là, je sentais une intimité, une affection et… du désir !

Sean, mi-quarantaine

Ils se retrouvent au lit et l’expérience est si forte (« je me sentais complet ») que le lendemain matin, il appelle sa mère pour faire son « coming out ». « Tout va toujours bien aller », lui répond-elle. « Mes parents ont toujours embrassé mes causes », ajoute-t-il, visiblement reconnaissant.

De retour chez ses parents en région pour des vacances, Sean sort alors pour la toute première fois de sa vie dans un bar gai, et c’est là qu’il rencontre aussi son tout premier chum, avec qui il vit « huit ans de bonheur ». Rien de moins. Et au lit ? « Bon, les premières années, répond-il simplement. Mais à un moment donné, j’ai eu besoin de plus. » On comprend que leur intimité était plutôt tranquille. « Je me disais tout le temps : est-ce que c’est juste ça ? » Et ? « Oh non, c’est pas juste ça, dit-il en riant. Et c’est ici que ça déboule… »

Un gai de catégorie B

Les années qui suivent sont de véritables montagnes russes. À ce moment-ci de l’entretien, l’homme, qui nous apparaît pourtant plutôt confiant et sûr de lui, confie : « Je ne me suis jamais trouvé beau dans la vie. Je ne suis pas le genre de gai sur qui on fait ‟wow”. […] Je me suis toujours trouvé laid. Mais je savais que j’avais un beau pénis, et dans le milieu gai, c’est un gage de succès. Alors je m’en suis servi… »

Il s’explique : « Le milieu gai est super ‟raciste”, […] si tu ne représentes pas l’idéal du gars […], t’es un gai série B. » Et à ses yeux, comprend-on, personne ne veut de relation avec un « série B ». « Ils veulent juste du cul. » Et c’est exactement ce qu’il leur a donné. Même si, au fond de lui, ce n’est pas du tout ce que Sean voulait.

Il repart vivre à Québec et s’ensuit une enfilade de one-nights, de nuits qui se suivent et se ressemblent, avec des hauts, mais aussi bien des bas. « Parce que toutes les fois que je me donnais, les hommes partaient avec une partie de moi. Toutes les fois, je changeais ma personnalité pour que quelqu’un voie en moi la bonne personne et veuille tomber en relation avec moi », laisse-t-il tomber.

Vidé, Sean se met alors à draguer des hétéros. « Et pas juste un peu ! Je les ai tous eus, de même », dit-il, en claquant les doigts. Malheureusement, les hétéros non plus ne restent pas. Il l’apprend à ses dépens, après être tombé amoureux solide. « Criss que je l’ai aimé, laisse-t-il tomber. Mais à un moment donné, il a rencontré une autre fille. Ç’a été ma plus grosse peine d’amour. J’ai pleuré, maigri, pas mangé pendant des semaines… »

Sean a 30 ans, et après cette énième peine, il décide de déménager à Montréal pour y faire « peau neuve ». Et ici, la « chasse » se poursuit de plus belle. « J’ai un nouveau terrain de jeu, […] je capote, […] je fourre ininterrompu, des fois deux, trois fois dans une même journée. »

Le sexe, c’était ma cocaïne. […] Pendant un instant, je sentais que je servais à quelque chose. Jusqu’à tant que je me rende compte que c’était vide, vide, vide…

Sean

Jusqu’à tant qu’il vive une sorte de surdose. Du jour au lendemain, Sean se désabonne donc de tous les sites et autres applications de rencontre. Fini, pour lui, le cul pour le cul. C’est décidé. Pour poursuivre avec la métaphore, disons que le sevrage est draconien. Et c’est là que, contre toute attente, on ne sait trop comment, il rencontre un premier homme qui le sort de ce « tourbillon ». L’histoire dure quelques années, et même si la sexualité est ici « défaillante », Sean apprend à s’aimer. « Il était fier de me présenter, et j’ai gagné beaucoup en confiance en moi », réalise-t-il.

Une fois séparé, Sean n’est plus tout à fait le même. Il a pris de l’assurance. Gagné de l’estime de lui. Et vous l’aurez deviné, c’est là, après tout ça, qu’il fait la rencontre de son amoureux et compagnon de vie d’aujourd’hui. C’était il y a quatre ans, très exactement.

Et puis ? « Je l’aime tellement ! » Sean rayonne. Parce que son amoureux est un gai « de classe A », comme il dit, et il n’en revient toujours pas qu’il l’ait « choisi », lui. Mais en le choisissant et en l’aimant ainsi, Sean a appris à s’aimer lui-même encore davantage.

Et au lit ? « Super bon, même si c’est sûr qu’on n’a plus la vigueur des premiers bouts », concède-t-il en toute franchise, le confinement n’aidant pas. D’ailleurs, cette « vigueur » et cette intensité manquent-elles à sa vie ? « Non ! Je me suis écœuré !, répond-il sans hésiter. Tu sais le dicton : less is more. C’est fuckin' vrai. En avoir moins, c’est plus profiter de l’essentiel, c’est focaliser sur ce qui vaut vraiment la peine. » D’ailleurs, savez-vous quoi ? « J’aimerais le marier… »

*Prénom fictif, pour protéger son anonymat.