Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.
Cette semaine : Félix*, 71 ans

Félix* est marié depuis plus de 45 ans. Sa femme, c’est l’amour de sa vie. La seule. L’unique. Et jamais il ne la quitterait. Même s’ils n’ont plus de sexualité depuis près de 10 ans maintenant. Parce que « l’amour, c’est bien plus que cela ». Portrait.

L’homme de 71 ans, grand, cheveux blancs coupés courts, lunettes noires, nous a donné rendez-vous dans un café branché du Plateau. Vous venez souvent ici ? « Pas du tout ! J’ai choisi parmi une liste des 10 plus beaux cafés à Montréal. Et j’ai voulu découvrir ! » confie le septuagénaire en souriant. Un esprit ouvert qui en dit déjà long sur sa personnalité, vous verrez.

Félix nous a écrit en réaction à un récit, publié au début de l’hiver, d’une rupture « par amour », ou plutôt d’une « désunion amoureuse », comme le veut l’expression consacrée (conscious uncoupling). En résumé : le type en question quittait sa femme, et ce, même s’ils s’aimaient, parce que dans les faits, ils n’étaient plus des amoureux. En gros : leur vie sexuelle était morte. « Moi, ce n’est pas ça, c’est même complètement le contraire ! » bondit Félix.

L’homme se fait un plaisir de nous raconter sa vie, en remontant loin dans ses souvenirs. Son éveil sexuel s’est fait jeune, dès 12 ans. Il s’en souvient encore : la mère d’un de ses amis s’était assise sur ses genoux, et il avait eu sa première érection, relate-t-il. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il a revu la dame quelques fois, à travers les années. Chaque fois, elle l’a émoustillé. Puis, à la mort de son mari (Félix devait avoir 60 ans et elle, 80 sonnés), ils sont allés prendre un café. « Et on s’est embrassés pour vrai ! dit-il en souriant de plus belle. Ça ne me posait pas de problème : je l’ai toujours trouvée agréable ! »

La « femme de ma vie »

C’est autour de 25 ans qu’il a fait la rencontre de celle qui allait devenir sa femme, après quelques aventures ici et là, sur lesquelles Félix ne s’épanche pas, sauf pour préciser ceci : « Moi, je suis plutôt dans le toucher, les caresses, ce genre de contacts. La pénétration, ce n’est pas obligatoire. J’aime ça, mais j’aime surtout beaucoup embrasser, caresser, tenir compte du plaisir de l’autre. Puis du mien. » Surtout, précise-t-il : « J’ai toujours été un homme qui aimait les femmes. »

D’emblée, il a su que cette fille-là, c’était la bonne. Celle avec qui il ferait sa vie.

Je ne sais pas pourquoi, je savais que je vivrais ma vie avec cette personne-là. C’était clair, clair, clair !

Félix, 71 ans

Il cite ici René Richard Cyr, qui, dernièrement, confiait sur les ondes d’ARTV : « Je pense que c’est facile de tomber en amour. Ce qui est difficile, c’est de trouver la personne qui veut vivre l’amour de la même façon que toi. »

Était-ce parce qu’elle lui tenait tête, ou encore parce qu’ils pouvaient tout se dire, ou peut-être parce qu’elle l’acceptait comme il était, toujours est-il que pour lui, « c’était la bonne ».

Félix saute ici volontairement plusieurs années pour en arriver aux faits, a priori surprenants, mais finalement prévisibles, si vous savez lire entre les lignes : « Et puis à 40 ans, déclare-t-il sans crier gare, elle m’a offert un trip à trois ! » Un trip à trois ? « On en avait discuté, enchaîne-t-il, on s’est rarement caché des choses, elle savait que c’était un fantasme que je trouvais le fun. » Il est rouge comme une tomate. Et un brin avare de détails. Avec qui ? « Ah, mon doux, poursuit-il, une danseuse… » Et ? « Vous êtes un peu voyeuse, dit-il en riant. Et ça a été très agréable ! » résume-t-il. C’est que l’essentiel n’est pas là. « Ensuite, on a beaucoup parlé. Ce que ça m’avait fait, ce que ça lui avait fait, comment on avait aimé, si on s’était sentis menacés. »

Et puis ? L’expérience a été si concluante qu’ils ont ensuite fait des démarches pour rencontrer des couples. Puis ils ont exploré du côté des bars. Chaque fois, après chaque aventure, le couple faisait le point : « Est-ce que tu t’es senti menacé, à l’aise, comment tu as trouvé ça ? » Et chaque fois, le bilan était positif.

« Oui, c’était le fun, résume Félix. Ça ne faisait pas qu’on était moins ensemble. On était ensemble autant. Même un peu plus. Parce qu’habituellement, à la fin, on finissait ensemble, moi et mon épouse, on parlait et on échangeait ! »

Un couple ouvert

Ils ont poursuivi ainsi une bonne vingtaine d’années (« pas toutes les semaines, tient-il à préciser, on faisait ce type d’activité trois ou quatre fois par année ! »), puis, vers 60 ans, ils ont décidé qu’ils avaient fait leur temps. De son côté, sa femme a aussi vu sa libido s’éteindre, un peu du jour au lendemain. « Et depuis huit ans, on n’a plus aucune relation sexuelle », laisse-t-il tomber.

On arrive enfin au clou du sujet. « Mais même si on n’a aucune relation sexuelle, jamais je ne la quitterais, martèle Félix. C’est la femme de ma vie ! »

Si cette abstinence le frustre ? « Est-ce que ça me frustre ? Des fois, quand le besoin physique est là, il m’est arrivé de rencontrer d’autres femmes. » Et c’est entendu. Des amies, des voisines, des collègues. « Mais jamais en cachette. Nous n’avons jamais eu de mensonge ! » Il faut dire que ce n’est pas nouveau. Félix ne nous a pas encore tout dit. Si vous avez cerné le personnage, peut-être avez-vous compris que depuis leurs débuts, en fait, le couple s’est permis cette « ouverture », comme on dit. « Il lui est arrivé aussi à elle d’avoir des rapports extraconjugaux », glisse-t-il, à ce moment précis, et surtout tardif, de l’entretien. Bref, non, elle est loin d’être « soumise », tient-il à préciser.

Notre couple est, et a toujours été, fondé sur l’idée de permettre à l’autre de vivre. Il n’y a pas de jalousie. On vit qui on est. Ensemble. C’est facile. Le bonheur, c’est ça.

Félix

« Quand on s’est mariés, elle savait comment j’étais, poursuit-il. On avait parlé. C’était clair qu’elle voulait faire sa vie avec moi et moi avec elle, mais c’était aussi clair, comment dire, je n’ai jamais cru passer 40 ou 50 ans sans jamais aller voir ailleurs. »

Une dernière question : est-il déjà tombé amoureux d’une autre ? Félix en revient ici à René Richard Cyr : « C’est facile, tomber amoureux. Mais trouver la personne avec qui tes valeurs s’imbriquent ? Ça, c’est très rare. » Et leurs valeurs, à eux, ce sont « le respect, la confiance et la transparence ». Et quelque part, ça n’a rien à voir avec la sexualité, croit-il.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat