Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : DANIEL*, DÉBUT CINQUANTAINE

Daniel* a connu plusieurs femmes dans sa vie. Il s’est engagé, a vécu des relations, mais ça n’a jamais duré. Jamais vraiment marché. Avec le temps, et le recul, il a cette douloureuse impression d’avoir cumulé les échecs et, surtout, d’avoir toujours servi de « tremplin ». Entretien avec un homme écorché qui a donné.

Début cinquantaine, le crâne légèrement dégarni et la barbe rasée de près, Daniel a l’air d’un gars doux. Un type sensible. Blessé ? Il l’est. Et ça paraît. « Tout le monde est poqué, dit-il. Et moi, mes plaies ne sont pas encore fermées. »

Célibataire depuis maintenant quatre ans, Daniel ne tient même plus à rencontrer de femmes. Finies les relations. « J’ai peut-être peur de l’abandon », confie cet homme de peu de mots, dans un rare élan de confidence. Attablé devant un café dans un Starbucks d’une banlieue de l’est de Montréal, il s’explique.

C’est l’accumulation des rejets. Je ne veux pas revivre ça. Se sentir comme un tremplin, c’est un mauvais feeling. Surtout quand ça se passe à répétition.

Daniel, début cinquantaine

Tout avait pourtant plutôt bien commencé. Daniel a découvert la sexualité vers 17 ans, « naturellement », avec sa première copine du moment. « Ç’a été très bien. J’ai beaucoup apprécié », dit-il, avare de commentaires, vous l’aurez compris.

Deux ans plus tard, il l’a quittée, pour partir étudier à l’université en Ontario. « La rupture a été difficile », se souvient-il.

Là-bas, il a eu plusieurs aventures. En fait, ç’a certainement été la période la plus faste (pardonnez l’expression) de sa vie sexuelle. « Dans les partys de faculté, on prenait un verre, on se collait », et ce qui devait arriver arrivait. S’il était bon amant ? « Je n’ai jamais eu de plainte », hoche-t-il simplement de la tête.

Début vingtaine, c’est surtout par l’intermédiaire de son groupe d’amis qu’il fait des rencontres. « Par personnes interposées », comme on dit. « Dans les bars, je n’ai jamais été capable. On dirait que je perds mes super pouvoirs. Je ne me sens pas à ma place. »

Chaque fois, les relations durent un, deux, maximum trois ans. La première femme (et non la moindre) qui lui revient ici à l’esprit, il s’est même fiancé avec elle. Ils étaient au début de la trentaine. Mais comme chaque fois, au bout de trois ans, le couple a rompu. « Ça ne lui tentait plus », résume-t-il laconiquement. « J’ai souvent été un tremplin… », répétera-t-il aussi, à plusieurs reprises au cours de l’entretien.

Six mois après, en effet, il vit un « intermède » plutôt passionné, si l’on devine juste, avec une ex-collègue de travail. Ils pouvaient faire l’amour jusqu’à six fois par jour, se souvient-il. Chez lui, à l’hôtel, « partout où on pouvait ». L’aventure dure quelques semaines. « Mais j’ai été son plancher. Son tremplin, signale-t-il à nouveau. Elle voulait quitter son chum… » Mais ce dernier lui a « chanté la pomme », résume-t-il, et elle est repartie. Fin de l’intermède.

Mi-trentaine, Daniel s’engage ensuite avec une collègue de travail qui a un jeune enfant. Au bout de deux ans, il sent qu’elle a changé, se doute qu’elle l’a trompé, et la quitte sur-le-champ. « Je me suis senti libéré. J’ai souvent servi de tremplin aux gens, et pour cette personne-là aussi… »

« Tremplin ? » Le mot revient si souvent qu’on lui demande de clarifier. Qu’entend-il, exactement, par tremplin ? « Comme une étape pour passer à autre chose », répond-il. De son côté, il se sent aussi « utilisé », et surtout « vidé ». « Je ne suis plus capable de subir ça… »

Au début de la quarantaine, il vit un nouvel échec, cette fois avec une collègue de Toronto. Il passe avec elle d’intenses week-ends (« Quand t’es là que pour le week-end, t’es pas devant la télé… »), mais dès l’instant où il emménage chez elle, les choses se gâtent. « Et au bout d’un an, je suis revenu vivre ici… »

C’est là qu’il reprend contact avec son coup de foudre de jeunesse, son fameux « intermède ». « Elle m’a écrit : j’aimerais tellement qu’on reprenne. Alors on a repris… »

Et puis ? Même 13 ans plus tard, on comprend que la chimie est toujours au rendez-vous. « Comme si c’était hier, dit-il. La passion, la proximité, la chaleur, la tendresse. »

Mais encore ? Dix-huit mois plus tard : « Le sexe, il y en a eu moins, et les critiques ont été plus acerbes, dit-il. Et à un moment donné, ça a pris fin. » Sa lecture de cette énième rupture ? Vous l’aurez deviné : « le tremplin »…

C’était il y a quatre ans. Depuis, Daniel a mis une croix sur le projet. Sur les femmes. Et les relations, en général. « Les échecs amoureux, c’est taxant pour quelqu’un qui s’implique, dit-il, en prenant une grande gorgée de latte. Je n’ai pas l’intention d’en vivre d’autres. Je ne veux pas servir de plancher ou de tremplin. Je veux plus, c’est trop déchirant. Juste trop. »

Il a sa petite idée sur les relations d’aujourd’hui : « Les gens se protègent et lâchent au premier signe de quelque chose… », déplore-t-il. À travers toutes ces années, il a fréquenté différents groupes de rencontres (sportives, marches, et dîners de célibataires), et chaque fois, il a trouvé les gens sur leurs gardes. « Les gens sont rendus avec tellement de mécanismes de garde, trop de verrous. Au point que moi-même, je m’en suis installé… »

Cela dit, il ne vit pas son célibat dans la déchirure. « Jamais. Je n’ai jamais compté sur quelqu’un pour mon bonheur », dit-il.

Le plus dur ? Le regard des autres, répond-il sans la moindre hésitation. « Je suis le gars de 50 ans, tout seul, propre, avec sa maison, qui fait son affaire, avec une vie rangée. Mes voisins ont même arrêté de me parler… »

S’il a voulu nous rencontrer, c’est pour mettre des mots sur cette souffrance, une souffrance dont on parle peu. « Je pense que la douleur d’un homme, on en parle moins. La douleur et la sensibilité des hommes ne sont pas encore explorées… », conclut-il simplement, avant de partir en coup de vent.

* Nom fictif, pour protéger son anonymat