Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Paul*, 55 ans

Paul* est bisexuel, échangiste et même nudiste. En couple avec une femme bi elle aussi depuis bientôt 10 ans, tout va pour le mieux pour ce duo heureux. Le secret ? Choisir l’échangisme par désir, dit-il. Et non par obligation. Pour le plaisir, et non par soumission. Explications.

« C’est supposé être le fun ! », rappelle l’homme, mi-cinquantaine, rencontré virtuellement à la fin d’août. Les cheveux coupés court, avec sa barbe et ses lunettes carrées, rien ne laisse présager l’ouverture d’esprit, et l’ouverture tout court, de ce fonctionnaire en polo. « Si ça te permet de découvrir ta vraie nature, tant mieux ! Mais je ne ferais pas ça simplement parce que c’est à la mode... »

Parlant de vraie nature, Paul a découvert la sienne sur le tôt. Dès 15 ans, il faisait l’amour avec un garçon, pour la toute première fois, et plus ou moins par hasard. C’était avec un « gars du même âge », se souvient-il. « Son frère avait loué des cassettes xxx. On les a regardées... » Et les évènements se sont enchaînés. Oui, au complet. « On a tout fait. » Dans les mois qui ont suivi, ils ont « refait » ça quelques fois, sans que Paul ne se prenne le moindrement la tête avec ça.

Non. Moi, je regardais les filles, elles m’intéressaient aussi. Je n’ai jamais eu à me questionner, à savoir si j’aimais les uns plus que les autres. Tout ça allait de soi.

Paul

Jamais ? « Je voyais ça comme des expériences », tranche-t-il.

D’ailleurs, l’année d’après, il a eu sa première relation avec une fille. Et puis ? « Ça a bien été. Sur le coup, j’ai trouvé ça différent, c’est évident. Mais je crois que ça a bien été. » Mais encore ? « Entre hommes, c’est plus dur, plus raide qu’avec une femme, explique-t-il. Les femmes, c’est plus doux. Plus soft. » Et il a pris son pied pareil ? « Oui ! », confirme-t-il, sur le ton de l’évidence.

Ont suivi quelques aventures avec des femmes ici et là (parce que les hommes, « ça n’a pas adonné, et puis je ne ressentais pas le besoin ») avant qu’il ne rencontre la mère de ses enfants, au cégep, à 17 ans. Ils ont passé 20 belles années ensemble, sexuellement parlant. « Le sexe a toujours très bien été, poursuit-il. Mais on avait beaucoup de divergences d’opinions [sur les enfants, la vie, etc.]. Et plus ça allait, plus on en avait. »

C’est avec elle qu’il a découvert le nudisme (son idée à elle), une activité familiale, tout sauf sexuelle, tient-il ici à préciser. « Il n’y avait rien de sexuel ici, on a toujours été dans des campings familiaux. » Ce qu’il y trouvait ? Un monde « sans classe sociale » (tout le monde, dans son plus simple appareil, est plutôt « pareil »), des gens « sympathiques » et une grande « liberté » de se baigner sans maillot, par exemple.

C’est avec elle, aussi, qu’il a fait ses premiers pas dans l’échangisme, cette fois sous son impulsion à lui. Une visite dans un club échangiste (en simples voyeurs) et deux rencontres plus tard (avec deux couples trouvés sur des sites) ont suffi pour faire de lui un adepte. De nouveau, sans trop se poser de questions. « Je me suis senti en sécurité. Je ne ressentais aucune jalousie, mais beaucoup d’excitation. »

Le couple a fini par rompre, et Paul s’est retrouvé seul. Son célibat a duré neuf ans. Neuf années de liberté totale. C’est là que les aventures avec les hommes ont repris, avec les femmes aussi, ou les deux en même temps. On comprend que Paul a vécu ici pleinement. Pensez saunas gais, saunas mixtes, clubs échangistes. Il a eu une « maîtresse » qui était en couple, mais en mal de sexe. Un amant, possiblement « bi » lui aussi : « Il avait une femme, mais elle ne savait pas qu’il était bisexuel. » L’aventure avec l’homme en question a duré deux ans, à raison de plusieurs rendez-vous par mois au sauna.

Des hommes bisexuels, il y en a sûrement plus qu’on pense. Et beaucoup ne l’admettent pas.

Paul

Cela dit, Paul a « un peu de misère » avec tous ceux qui se disent aujourd’hui « bicurieux », glisse-t-il. « Oui, tu peux être curieux, mais rendu à 50 ans, tu dois l’être moins qu’à 15 ! »

Toujours est-il qu’il a bien apprécié ces belles années. « J’étais très bien. Pas d’attaches, sans compte à rendre à personne. »

C’était jusqu’à ce qu’il fasse la connaissance de sa conjointe actuelle, sur un site de rencontre. C’était il y a 10 ans. Ça ne s’invente pas, sans s’afficher comme bisexuel, Paul est tombé sur une femme bi comme lui. Rapidement, il a mis « cartes sur table » comme il dit, en matière d’orientation, de nudisme et d’échangisme. Les astres étaient bien alignés pour lui : madame était aussi intéressée par le nudisme, et prête à essayer l’échangisme, mais « avec des conditions », précise-t-il.

Et puis ? « On a établi des conditions », répond tout naturellement Paul. Deux, essentiellement : pas de pénétration hors couple (du moins au début) et toujours ensemble, dans la même pièce. Question « sécurité », dit-il, et « parce que ça nous excite ». « On n’a jamais eu de cachettes, enchaîne-t-il. L’honnêteté l’un envers l’autre au début a fait en sorte qu’on est honnête l’un envers l’autre pour toutes sortes d’autres sujets. »

Et cette bonne entente s’est confirmée avec le temps. Le secret de leur succès ? Paul réfléchit ici tout haut :

Je dirais que pour l’échangisme, il faut faire la différence entre sexe et amour. Si tu n’es pas capable, je ne me lancerais pas là-dedans.

Paul

« On voit ça souvent, poursuit-il, et c’est évident quand l’un est là pour l’autre. Et malheureusement, c’est souvent la femme. C’est écrit dans sa face. Je ne suis pas sûr que ça, ça fait des couples réussis à la longue. »

Dans leur cas à eux, c’est tout le contraire. Un élément clé, dit-il. Sait-il. « On n’a pas commencé ça parce que ça n’allait pas bien, insiste-t-il. Mais par choix. Par goût. Et si ça n’avait pas bien été, on aurait arrêté. Ce n’est pas une obligation dans ma vie. »

La preuve : pendant tout le confinement, Paul et sa conjointe n’ont vu personne. Rien. Nada. Ils sont restés en tête-à-tête, 24 heures sur 24. « Et ça a très, très, très bien été, dit-il. Si on passe quatre mois sans voir personne, on passe quatre mois sans voir personne. On n’a pas besoin de ça pour se satisfaire sexuellement. On le fait encore très régulièrement, et on est juste tous les deux ! », dit-il en souriant.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.