Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.
Cette semaine :  Louis*, 45 ans

Louis* a été marié pendant 20 ans. Vingt années de hauts, et beaucoup de bas, à travers lesquelles il a tout de même eu quatre beaux enfants. Aujourd’hui divorcé, en couple avec un homme, il constate que personne ne lui a jamais demandé ce qui avait échoué dans sa première union. Tout le monde a tenu pour acquis que c’était son orientation. Et pourtant, ça n’a pas tant à voir. Explications.

Mi-quarantaine et médecin de profession, Louis nous a donné rendez-vous dans un café à deux pas de La Presse. Généreuse attention qui en dit long. Vous l’aurez deviné, c’était avant le confinement, quelque part au début de mars.

« Je suis parti parce que j’étais malheureux dans mon couple. Pas à cause de mon orientation sexuelle », déclare-t-il et répète-t-il pendant plus de deux heures d’entretien. « Les gens ont tenu pour acquis que c’était à cause de mon orientation sexuelle et c’est quelque chose qui m’agace, poursuit-il. Moi, je pourrais dire : mon couple a échoué parce que ma femme était asexuelle. » Mais ça ne se dit pas. Surtout : c’est beaucoup plus compliqué que ça.

Quand il l’a rencontrée, début vingtaine, Louis n’avait connu que deux femmes dans sa vie. « Je n’ai jamais eu beaucoup de succès, j’étais un peu awkward. » Avec sa mâchoire carrée sous sa barbe de deux jours et son look sportif d’homme en forme, on a un peu de mal à le croire. Toujours est-il que quand il a rencontré la mère de ses enfants, il a tout de suite senti une « chimie ». « J’ai vu un intérêt, ça m’a fait plaisir, et ça m’a donné confiance. C’était plaisant. » La lune de miel a duré 10 ans. « Les 10 premières années de mariage ont été relativement saines, sexuellement, on avait des relations spontanées, à une fréquence variable, dépendant des circonstances de la vie. » Grosso modo : deux fois par semaine, un rythme qui lui convenait. « Pour moi, c’était très satisfaisant, et j’estime que je portais aussi attention à sa satisfaction. »

Personnellement, ce qui m’allume, c’est si je sens un désir réciproque. Si je vois un désir, une chimie, c’est ça que j’aime.

Louis, 45 ans

Précision : non, il ne s’est jamais questionné sur son orientation. En tout cas, pas à ce moment-là. Il savait qu’il voulait une famille, des enfants, « et naturellement », résume-t-il, en choisissant soigneusement ses mots. « Dans le contexte de l’époque, il était plus naturel de chercher une relation avec une femme. Il n’y a jamais eu d’ambiguïté, je ne me suis jamais posé de question. J’étais très bien avec ce cadre-là, imposé par la société. »

Seulement voilà : au bout de 10 ans, sans qu’il sache trop pourquoi, le désir de madame a chuté. « Complètement chuté », précise-t-il. Et ce n’est pas tout. « Ça devenait malaisant. Quand je voulais initier, elle commençait à devenir critique, se souvient-il. Au point où elle m’accusait d’avoir seulement le sexe à l’esprit, d’être pervers. Au point où je me suis senti, pendant des années, honteux d’avoir du désir, de vouloir de la sexualité. » Régnait à cette époque chez lui une ambiance « anti-homme » et « anti-sexualité », dit-il. À preuve : sa propre fille, une enfant, a un jour traité son frère de « pervers », illustre-t-il.

Louis confie s’être senti ici « trahi ». Pas que sur le plan sexuel. « J’ai toujours été engagé dans mon couple, ma famille, dit-il. Mais là, je n’en faisais jamais assez, j’étais cheap. Alors que j’en faisais beaucoup plus que la moyenne des hommes. J’ai tout le temps été très présent… »

Leurs relations se sont espacées, d’abord à une fois par mois, puis à quelques fois par année. Et ils se sont éloignés d’autant. « C’est clair que ça refroidit, dit-il, visiblement meurtri. C’est arrivé au point où je n’ai plus eu de désir sexuel. Où je ne la voyais plus que comme un membre de la famille. Un membre que tu aimes. Mais pour qui tu n’as pas de désir sexuel. »

Ce qui devait arriver arriva. Au bout de quelques années de ce calme plat, Louis, qui a tout de même une bonne libido, s’est mis à chercher ailleurs. Où ? Dans les petites annonces.

Je ne voulais pas briser ma relation.

Louis

Il cherchait simplement une aventure d’un soir, sans lendemain, pour assouvir ses besoins. Seulement voilà : « Chez les femmes, c’est souvent de la prostitution déguisée, a-t-il rapidement constaté. Souvent, les femmes ne cherchent pas d’appel de courte durée. » Tout le contraire chez les hommes. Au point où Louis s’est questionné : « pourquoi pas ? » « Je me sentais désiré, même si c’est un faux désir, sur papier, au moins je n’avais pas l’impression que c’était une arnaque, ou de la prostitution déguisée. Et ça me permettait de préserver l’intégrité de ma famille… » répète-t-il.

Sa première aventure avec un homme, quoique globalement un « bon souvenir », l’a plongé dans une grande détresse. « Je me suis senti très coupable, au point où j’ai tout avoué à ma femme, dit-il. Ça ne correspondait pas du tout à l’idée que je me fais d’une relation fidèle, en couple… »

On imagine le choc, de son côté à elle, la crise, les larmes, les discussions. Pendant quelques mois, la relation s’est même améliorée. Mais quelques mois seulement : « La fréquence des relations sexuelles a augmenté, puis c’est retourné à la normale. » En pire : « Elle mettait tout le temps tout en doute. Son côté méchant est ressorti, elle était très discriminante, elle critiquait mes goûts à tous les niveaux : en télé, musique. » À plusieurs reprises, Louis lui a proposé de consulter. En vain.

Alors il a continué de chercher ailleurs. Beaucoup. Souvent. Il a multiplié les rencontres, les lieux, les sites. Pour sauver sa peau. Et son âme, aussi. « J’étais en détresse psychologique et dépression sévère », dit-il. Sait-il. Or, à l’extérieur, à travers toutes ces aventures éphémères, « je me sentais désiré, confortable, un peu revivre. […] Ça m’avait énormément manqué pendant des années ».

Vous l’aurez deviné : il a fini par la quitter. Partir. « Je ne voyais pas d’autre solution… »

Aujourd’hui ? « Je me sens libéré. Affranchi de ce qui me pesait. » Précision : ce qui le pesait, ça n’était pas sa relation hétérosexuelle, mais bien sa relation tout court. Ni hétérosexuel ni homosexuel, il s’assume aujourd’hui comme « bisexuel ». Ou mieux : « juste sexuel ».

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat.