Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes.

« Appelez-moi Amoureuse*… »

C’est la première fois qu’on nous propose un prénom fictif pareil. Et ça en dit long sur le sujet de l’entretien, à la fois touchant et émouvant, en cette période de Saint-Valentin. Parce que notre Amoureuse, donc, a 76 ans, mesdames et messieurs. Et elle vient de trouver l’amour, avec un grand A. Où ça ? À sa résidence pour retraités, par-dessus le marché. Romantique, vous dites ?

« Les enfants de 20 ans peuvent se rhabiller ! Le cœur, ça ne meurt pas, même quand on est vieux ! […] L’amour, à nos âges, c’est merveilleux ! »

Notre Amoureuse est venue de l’Outaouais pour se confier. Attablée dans un petit café achalandé d’Outremont, cette radieuse interlocutrice aux yeux bleus, les cheveux gris coiffés au carré et le sourire fendu jusqu’aux oreilles, est sur un nuage. « Je n’en reviens pas », « je pensais que c’était fini », « c’est un cadeau du ciel ! », répète-t-elle, sans se laisser intimider par la mère et son ado qui partagent notre table, heure de pointe oblige. Son bonheur l’habite, il est contagieux, et elle meurt d’envie de le faire partager.

On lui demande de commencer par le commencement. Elle se plie au jeu et se raconte : mariée vierge à 19 ans — « dans ce temps-là, on ne faisait pas l’amour avant, malheureusement… » — avec un jeune homme de 23 ans — « un homme qui aimait la boisson et qui aimait beaucoup les femmes » —, tout ce qui devait arriver arriva. Monsieur l’a trompée (combien de fois, on ne le saura pas), elle est tombée enceinte quelques fois, a élevé ses enfants, puis a fini par divorcer, quelque 15 années plus tard. S’il était bon amant ? « Pas mauvais, pouffe-t-elle, mais je n’aimais pas l’odeur de son corps ! »

Puis, rebelote : « Comme j’étais habituée aux hommes alcooliques et courailleux, j’en ai trouvé un deuxième », enchaîne-t-elle, pince-sans-rire. L’aventure a duré cinq ans. Puis elle a eu un troisième amoureux. Celui-ci ? « Il ne buvait pas, il ne couraillait pas, mais… il était drabe ! »

À la suite de ces trois hommes, hormis quelques amants de passage (dont un particulièrement doué, « le meilleur amant qu’une femme puisse trouver ! »), la (future) Amoureuse a décidé d’en finir avec les hommes. Basta. Elle avait donné. Et en avait suffisamment arraché. « Je me suis choisie, résume-t-elle. Je ne voulais plus souffrir… »

Du coup, elle a passé 20 ans — oui, 20 — célibataire. « Vingt ans sans aucun compagnon, insiste-t-elle. J’ai vendu mon condo, j’ai quitté Montréal et je suis partie en Outaouais. »

Pourquoi ? « Je n’en voulais plus. C’était terminé. » Trop longtemps séparée de ses enfants (et petits-enfants), elle a décidé de s’y consacrer. Ses amours ? « Je ne voulais plus rien savoir », insiste celle qu’on devine drôlement déterminée.

Vingt ans ? insiste-t-on à notre tour. Ç’a été dur ? « Mais pas du tout, répond-elle du tac au tac. C’est comme arrêter de fumer ! », dit l’ex-fumeuse, en connaissance de cause. On lui demande tout de même si elle se satisfaisait autrement. Discrètement, elle acquiesce en souriant : « Oui, comme bien des femmes, je m’occupais bien de moi-même ! »

La « révélation »

Toujours est-il que les années ont passé, et notre Amoureuse (en devenir) a fini par déménager dans une résidence pour retraités. C’était l’hiver dernier. La résidence venant d’ouvrir, les premiers locataires ont pris l’habitude de se réunir à la salle à manger. « Je me suis fait de nouvelles amies… »

Or voilà qu’un jour, elle repère un homme au physique agréable, comme on dit. Un midi, par un heureux hasard, elle se retrouve carrément à sa table. « On s’est mis à jaser et je me suis aperçue qu’on avait les mêmes goûts : musique, littérature, cinéma ! »

Vous devinez la suite : monsieur l’a invitée au cinéma, au Festival du film de l’Outaouais, plus précisément. Ils ont choisi les films à voir ensemble et, un jour, en la voyant, au lieu de lui faire une bise d’usage, il l’a carrément embrassée sur la bouche.

« J’ai paniqué ! pouffe-t-elle. J’ai téléphoné à mes amies : qu’est-ce que je fais avec ça, qu’est-ce que ça veut dire ? Je voyais que je lui plaisais, mais ça faisait 20 ans ! C’était comme un premier flirt ! »

Après le baiser, ce fut la main dans la main au cinéma, puis il l’a carrément prise par la taille. C’était au printemps dernier. « Là, les papillons ont commencé. Le cœur qui bat plus fort, où je m’en vais avec ça ? Je veux ou je ne veux pas ? Le bec, la main, la taille, ça va trop vite pour moi ! » On croit entendre une adolescente. « Je commençais à avoir peur… »

De quoi ? Vous allez comprendre. Un soir, elle prend son courage à deux mains, et un verre ou deux (ou trois !) plus tard, lui dit : « Il faut parler de sexe. » Elle précise : « Je lui ai dit comment je voyais ça, et lui ai demandé comment lui voyait ça… »

Mais encore ? « Je ne peux pas vous dire ça, c’est trop intime. Disons que je ne suis plus très sexuée maintenant », résume-t-elle pudiquement. La réaction de monsieur ? « Il a pris mes mains, et il a dit : À nos âges [il a 84 ans], ce n’est pas ça l’important. Les caresses, la tendresse, l’affection, ça vaut 100 fois le sexe... »

Notre Amoureuse rayonne de plus belle. Ne lésinant pas sur les superlatifs, elle enchaîne : « C’est l’homme le plus merveilleux ! Il est d’une générosité ! Et moi, ça me fait plaisir de m’occuper de lui… […] C’est un homme qui aime rire, souriant, tendre, il a toutes les qualités ! Oui, il a des défauts, mais je ne vis pas avec ! »

Si vous voulez tout savoir, environ deux fois par semaine, entre leurs cours d’aquaforme et leurs marches quotidiennes, elle « s’occupe » donc de lui. De son côté à elle, c’est quasi « mort », confie-t-elle. « Mais ça ne me dérange même pas, juste me coller, j’ai du bonheur ! »

« Les baisers, les caresses, l’affection, c’est tellement plus que le sexe, répète-t-elle. Et je pense que c’est à ça que les gens arrivent à nos âges. Ça change. C’est quelque chose de complètement différent. »

Et vous savez quoi ? « C’est une révélation, conclut-elle, toujours rayonnante. Je ne me serais jamais attendue à rencontrer un homme qui réponde à mes attentes. […] On est joyeux ensemble. Je suis son trésor. Moi, c’est mon petit cœur. […] Jamais dans ma vie je n’aurais pensé vivre ça ! […] Il est beau, c’est pas possible. On passe notre temps à se dire qu’on s’aime. C’est merveilleux ! »

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat