Arts et être vous propose chaque dimanche un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Philippe*, 49 ans

Philippe* a 49 ans. Célibataire depuis cinq ans, il ne voit pas où ni comment se faire une blonde. Spécial ? Peut-être. Mais pas tant, finalement.

« Peut-être qu’il n’y a pas beaucoup de matière avec mon cas pour une histoire », dit-il d’emblée, attablé un petit midi dans un café, à des kilomètres de son boulot, pour être certain de ne pas croiser la moindre connaissance. Parce que soyons francs : c’est tabou de raconter ses échecs. C’est gênant de dire qu’on ne baise plus depuis longtemps. Mais le dit-on tant que ça ? « Je ne me reconnais pas beaucoup dans les médias. Je suis un homme blanc, proche de 50 ans. Et en général, les gens se foutent un peu de ce que vivent les hommes blancs proches de 50 ans. »

L’homme assis devant nous parle doucement, sans agressivité. Mais c’est un fait. « Mon discours est absent des médias. On parle de #metoo, des LGBTQ, et c’est correct, ces gens-là ont un combat à livrer. Moi, je n’ai pas de combat à livrer. Je veux juste me faire une blonde ! » On pouffe de rire. Et lui pareillement.

« Je ne pense pas que je sois particulièrement différent des autres, poursuit-il. Je suis même peut-être le gars le plus ordinaire ! »

Étrangement, quand Philippe nous a donné rendez-vous, on s’attendait à voir — pardonnez nos préjugés — quelqu’un de pas forcément joli. Un type au profil hors des critères de beauté habituels, disons. Erreur. Philippe est tout le contraire. Grand, brun, barbu, il a l’air plutôt jeune, avec une gueule plutôt belle, comme on dit (pardonnez notre vulgarité). Des yeux tendres. Une conversation divertissante. Alors quoi ? Alors « c’est difficile, résume-t-il. C’est un peu ça, mon histoire : c’est difficile de rencontrer quelqu’un ».

Il a pourtant eu un parcours assez classique. Première relation sexuelle à l’adolescence avec un amour de jeunesse (« symbiotique, on ne se lâchait pas »), plusieurs « blondes » au cégep puis à l’université, avant de se faire présenter à la mère de ses enfants.

J’ai toujours eu des relations. Pas d’aventures d’un soir. Je suis l’archétype du gars steady.

Philippe, 49 ans

Il est resté 10 ans avec la mère de ses enfants. « Des beaux enfants, précise-t-il. Mais le deuxième ne dormait pas. Et ça nous a usés beaucoup. Quand ça s’est mis à mieux aller, elle m’a quitté. »

Et avant, pendant, c’était comment, au lit ? « Super. Génial, dit-il en souriant. Pas tant en quantité qu’en qualité. Une fois par semaine, mais ça me convenait. On était occupés. Et puis, on avait nos hauts et nos bas, comme tout le monde. Et à un moment donné, elle voulait plus. C’est assez classique », tranche-t-il, mi-mélancolique, mi-cynique.

Les applis, ce n’est pas pour lui

Toujours est-il que cela va faire bientôt cinq ans. Entre-temps, il s’est tourné brièvement vers les sites de rencontre. Sans succès. « J’ai eu quelques fréquentations, mais ça n’a pas marché. » En fait, il a tout de même couché avec deux femmes. Mais les aventures n’ont pas abouti. Et de toute façon, il nous l’a déjà dit : les aventures, ce n’est pas pour lui. Il est du type « steady ». Les sites non plus, d’ailleurs. « C’est un peu le far west. Un endroit où tous les coups sont permis. » Exemple ? « Ce n’est pas dit nécessairement, mais sur ces sites, il y a cette illusion qu’il y aura toujours quelqu’un de meilleur de disponible. » On comprend à demi-mot que les femmes rencontrées ont trouvé « quelqu’un de meilleur », justement…

Et puis, c’est drainant, aussi, chercher en ligne. « Après deux ans, j’ai débarqué. Non, ce n’est pas pour moi. Je n’aime pas ça. Je suis occupé. Je travaille à temps plein. J’ai des enfants. J’avais l’impression de perdre mon temps. »

Il s’est dit que s’il devait rencontrer quelqu’un, ça se passerait « dans le vrai monde ». Et puis ? « Pas ben ben ! »

Philippe n’est pas découragé, mais presque.

Je trouve ça un peu plate. C’est sûr. J’ai l’impression qu’il me manque quelque chose.

Philippe

« Je suis un humain normalement constitué, ça m’arrive de croiser une femme qui me plaît, mais elle n’est pas disponible. Peut-être qu’à mon âge, c’est plus difficile. Il y a moins de monde sur le marché. »

Tous ses amis sont en couple. Et au boulot, il est dans un milieu d’hommes. Bref, tout cela pour dire que sa réalité le confronte. « Ça fait réfléchir. Mais je ne suis pas non plus dépendant affectif. Je vais remplir ma vie autrement. Si je ne trouve pas, je continue à avoir du fun. Je fais du sport… »

Il se masturbe de temps en temps, « question d’hygiène ». « Peut-être que j’ai moins de pulsions que la moyenne. Si c’était insoutenable, je bougerais », concède-t-il. Mais les aventures d’un soir, faut-il le répéter, ne l’intéressent pas. « Juste du sexe, ça ne me tente pas […]. Peut-être que je suis une espèce de désespéré romantique. C’est pitoyable… »

Mais c’est difficile, insiste-t-il. « Une attirance mutuelle, ce n’est pas facile à obtenir. Ça n’arrive pas à beaucoup de monde. Les gens qui l’ont sont chanceux ! »

En attendant de trouver, il pédale sur son vélo, se donne au boulot et s’occupe de ses marmots. « Je passe la soie dentaire. Tout ce que je peux faire de correct, je le fais… »

Cela fait une heure que Philippe se raconte. Sa pause de dîner est terminée. Il nous quitte d’un pas décidé.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat