La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine: Isabelle*, mi-quarantaine.

Isabelle* croyait avoir rencontré l’homme parfait. Doux, attentionné, généreux, un vrai dieu au lit. Et puis un jour, elle est tombée sur des trucs louches dans son ordi. Des trucs louches à faire frémir. Récit d’une déchirante descente aux enfers.

« Est-ce qu’il faut publier cette histoire ? Je ne sais pas. Mais des histoires de perversions assouvies par internet, il doit y en avoir beaucoup », nous a-t-elle écrit. Nous nous sommes donc donné rendez-vous un vendredi pluvieux de mai, dans un petit café de quartier de la couronne nord. D’emblée, on la devine encore bouleversée par cette histoire. À plusieurs reprises, ses yeux se remplissent d’eau. Mais elle se ressaisit et poursuit, pendant plus d’une heure et demie. Il faut dire qu’elle en a long à raconter.

Tout a commencé il y a cinq ans. À 40 ans, fraîchement séparée, après avoir été en couple plus de 15 ans avec le père de ses enfants (« une histoire banale de couple qui vieillit mal… »), Isabelle se retrouve célibataire. La libido dans le tapis, elle est déterminée à profiter de la vie. « Il fallait que je vive. »

Mais pas à n’importe quel prix.

Toujours est-il qu’elle finit par rencontrer quelqu’un par un jeu en ligne « à la Pokémon ». Il a le même âge qu’elle, une femme, des enfants… et une maîtresse. « Donc il est capable de mentir, glisse-t-elle. J’aurais dû être plus vigilante. » Ses yeux se remplissent d’eau une première fois. « Oui, je me sens responsable de ne pas avoir été plus méfiante… »

Ils prennent des cafés. La chimie passe. « C’est électrique, confirme-t-elle. L’attirance est très forte. » Tellement qu’elle finit par l’inviter à l’hôtel. « Ç’a été fantastique, ça faisait des années que je n’étais pas satisfaite, là j’ai découvert l’orgasme multiple. Ça a été une révélation. Je n’en revenais pas… »

Ce qui devait arriver arrive : Isabelle tombe follement amoureuse. De son côté, monsieur finit par laisser femme et maîtresse. Les mois passent, ils forment un couple, il est toujours aux petits soins, c’est « le chum parfait », leurs enfants respectifs s’apprécient, bref, c’est le bonheur. « Le sexe est toujours, toujours très, très bien », souligne-t-elle. Leur famille est quasi recomposée, et ils projettent même d’acheter une belle grande maison pour l’officialiser. Mais au bout de trois ans, très exactement, tout bascule. « Entre l’acceptation de l’offre d’achat et le passage chez le notaire… »

Brutale découverte

Que s’est-il bien passé ? C’est que tout à coup, leurs ébats se sont espacés. Rien de dramatique : « aux deux jours, plutôt que chaque jour ». N’empêche, c’était suffisant pour qu’Isabelle se questionne. Et le questionne. « J’ai trouvé ça étrange, parce qu’il m’a mis ça sur le dos : “c’est parce que tu es fatiguée, je ne veux pas te déranger”, etc. »

Quelques fois, le soir, alors qu’il est à l’ordinateur, elle constate aussi qu’il change brusquement de page à l’écran quand elle s’approche. À nouveau, elle le questionne. « Il s’est fâché, m’a traitée de parano, et je l’ai cru… » Ses yeux rougissent de plus belle.

C’est que le doute subsiste : pourquoi diable lui cacherait-il quelque chose, elle qui s’est par ailleurs toujours montrée très ouverte d’esprit (en matière de porno, de couple ouvert, etc.) ? « Est-ce qu’il aurait une perversion ? »

Pour en avoir le cœur net, un jour qu’il n’est pas à la maison, elle vérifie son historique à l’ordinateur. Ce qu’elle découvre n’est pas tout de suite très clair. Sous le choc, elle prend donc des tas de photos avec son téléphone, pour ne rien oublier. C’est que le contenu ne manque pas : des dessins animés, sortes de jeux (sexuels) de réalité virtuelle, où l’avatar de son amoureux s’avère être une fillette prépubère, qui vit des aventures (très explicites) avec des femmes mûres, des jeux de caméras avec un homme officiellement majeur, mais dont l’avatar est un adolescent, en plus d’une série de messages (très) érotiques (« du matériel pour se masturber ») avec une femme, une conversation qui s’étire depuis plus d’un an, à raison de plusieurs mots par semaine.

« J’étais sans connaissance… »

Isabelle n’a pas perdu de temps. Elle l’a quitté sur-le-champ, même s’il a tout nié. « Ç’a été extrêmement douloureux. Je pensais devenir folle. »

Qu’est-ce qui est inquiétant ? Qu’est-ce qui fait que quelqu’un va passer à l’acte ou juste se satisfaire de mises en scène ? »

Surtout : quoi faire ? À l’époque, elle n’en dort plus. Elle vit un véritable enfer. Questionne subtilement ses enfants. Se rassure. Puis finit par se confier à des amis. Sur leurs précieux conseils, elle en parle avec le psychologue de son (ex) amoureux (« s’il y a des inquiétudes à avoir par rapport à ses enfants à lui, c’est le psychologue qui va évaluer ça »), puis appelle le Centre canadien de protection de l’enfance, qui lui confirme qu’il doit y avoir enquête. Monsieur sera convoqué au poste.

Aujourd’hui, Isabelle a refait sa vie. Mais cette histoire la hante encore. « Je me dis : s’il y a une échelle de progression vers l’agir inadéquat, si cet homme se dirigeait vers ça, on a peut-être bloqué quelque chose en lui faisant peur. Mais peut-être qu’il n’aurait jamais été vers ça non plus. Peut-être que c’était un pauvre type, qui avait ces déviances-là, et qui ne voulait pas passer à l’acte par souci de se faire prendre, ou par réel souci de ne pas faire de mal aux enfants ? Est-ce que le jeu lui permettait de vivre ses fantasmes sans dommage ? Si c’est ça, tant mieux… »

* Nom fictif, pour protéger son anonymat.

Pour en savoir plus ou pour faire un signalement :

Centre canadien de protection de l'enfance : https://protectchildren.ca/fr/

Cyberaide : https://www.cyberaide.ca/app/fr/