Vous trouvez qu’il y a de plus en plus de scènes de sexe à la télé ? Vous n’avez pas tort. Mais attention : oubliez les scénarios classiques de femmes fatales, passives et soumises, dans la position du missionnaire. De plus en plus, des séries nous montrent une sexualité féminine, vue par et pour les femmes. Dans (presque) toute leur diversité. Le point en cinq temps, avec deux chercheuses qui ont épluché des milliers de scènes osées depuis deux ans.

1. La recherche

Unité 9, Orange Is the New Black, Lost Girl, Girls, The L Word, She’s Gotta Have It, The Handmaid’s Tale, Marche à l’ombre : des chercheuses québécoises épluchent depuis deux ans une bonne dizaine de téléséries, en vue de confirmer leur hypothèse, soit que les séries récentes (depuis 2000) mettant en scène des personnages principaux féminins ne dépeignent plus le sexe comme avant. Exit le traditionnel « male gaze » (dans le jargon), soit ce portrait érotisé de la femme comme objet de désir purement masculin et hétéro. Place, de plus en plus, à une « sexualité des femmes, vue par les femmes », se félicite Anne Martine Parent, professeure au département des arts et des lettres de l’Université du Québec à Chicoutimi, qui encadrait la recherche, avec ses collègues Martine Delvaux (professeure de littérature) et Julie Lavigne (professeure de sexologie), de l’UQAM. Elles ont présenté le fruit de leurs travaux la semaine dernière.

2. La méthodologie

Armées d’une costaude grille d’analyse, accompagnées d’une poignée d’assistantes, les chercheuses ont analysé à la loupe les scènes de sexualité des séries visées : qui engage la scène, comment, où est la caméra, y a-t-il de la musique, des ombres, qui jouit, la scène s’inscrit-elle dans le récit, bref, « on est dans l’oreille de qui ? », résume Martine Delvaux, rencontrée la semaine dernière. La tâche n’était pas mince. Pensez-y : les sept saisons d’Unité 9 comptent à elles seules une cinquantaine de scènes de sexualité, entre codétenues seulement. Girls ? « Vraiment beaucoup, confirme Anne Martine Parent, l’air entendu. Mais peu de scènes d’orgasmes ! »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Martine Delvaux, professeure de littérature à l’UQAM, et Anne Martine Parent, professeure au département des arts et des lettres de l’UQAC

3. Le constat

De plus en plus, ont constaté les chercheuses, la caméra « accompagne » la femme dans les scènes de sexe, sans forcément l’érotiser, voire la « fétichiser ». Un exemple : la première scène de douche dans Orange Is the New Black, dans la première saison, une scène qui aurait pu faire écho aux codes omniprésents dans le porno. Or, ici, le « script » n’est pas érotique : on ouvre le rideau de douche pour réclamer de l’eau chaude, tout simplement. « Ce n’est pas pour érotiser le spectateur. Il y a un détournement, c’est très intéressant, politiquement… », constate Martine Delvaux. Autre exemple : la scène du viol collectif dans Unité 9, abondamment commentée dans les médias. « On ne montre pas la femme, mais ce qu’elle voyait, elle, ajoute la chercheuse. C’est une dénonciation très, très forte de la violence des hommes. »

4. Les limites

Si on voit certes moins la femme comme un objet (lire : soumis), s’il y a place pour plus de complexité, plus de réalisme dans le portrait de la sexualité des femmes à la télé, quelques nuances s’imposent. D’abord, hormis Lena Dunham dans Girls, la diversité des corps est loin d’être la norme. C’est aussi essentiellement la sexualité de la jeune femme blanche qui est ici filmée (même dans des séries aux comédiennes de diverses origines, à la Orange Is the New Black). Et où sont les femmes plus âgées ? Dans Grace & Frankie, avec Jane Fonda, série dans laquelle on parle clairement sexe, et dans laquelle les femmes n’ont plus 20 ni 30 ans, rien n’est dévoilé. Tout est suggéré. C’est d’ailleurs le vibrateur qui prend toute la place, remarque aussi Martine Delvaux. Concrètement, visuellement, « leur sexualité est inexistante. Tout est très pudique ».

PHOTO FOURNIE PAR HULU

Scène tirée de The Handmaid’s Tale

5. L’intérêt

Il reste que, globalement, ces séries transgressent les « scripts » traditionnels et en proposent souvent de nouveaux en matière de sexualité féminine. Pensez bisexualité, personnages queer ou fluides. Surtout : oubliez la passivité. Et nos chercheuses s’en félicitent. « En proposant de nouveaux scripts, ça étend l’horizon des possibles », résume Anne Martine Parent. Parce qu’il ne faut pas se leurrer : ces fameux « scripts » ont bel et bien un impact dans nos imaginaires collectifs (et évidemment sexuels). Faisant ici un lien avec l’actualité, Martine Delvaux conclut : « On peut dénoncer les agressions sexuelles, mais si, dans la culture populaire, on ne montre que des femmes qui se font prendre de force, on se bat dans le vent. » Or là, c’est prouvé, le vent tourne.