La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Cette semaine : Gabrielle*, fin vingtaine.

Gabrielle a eu plusieurs hommes dans sa vie. Chaque fois, elle a couché avec eux. Mais jamais par envie. Si elle a longtemps simulé, joué à la fille chaude et surtout « willing », aujourd’hui, c’est fini. Rencontre avec une fille formellement asexuelle qui s’assume.

« Je suis un peu fâchée que sur les sites de rencontre, il n’y ait pas d’option en grosses lettres : je ne suis pas intéressée par la sexualité », confie la jeune et jolie célibataire de 27 ans. Les cheveux verts coupés court, les yeux noirs largement dessinés, on la sent très au fait du sujet, de la sexualité en général, et surtout de tout ce qu’elle ne veut pas, elle en particulier. C’est qu’elle a mis des années à se découvrir. Se comprendre. Et enfin s’accepter.

« La plus grande peur que j’ai, c’est qu’il y ait une autre petite fille qui grandisse quelque part et qui se force à avoir des relations sexuelles », dit Gabrielle.

De son côté, elle a eu sa première relation sexuelle vers 17 ans, avec son copain de l’époque. Comment c’était ? « Décevant », dit-elle d’emblée en riant, donnant le ton à tout l’entretien. Il faut dire qu’elle avait très hâte. Parce que socialement, dans toute relation, il y a une sorte de « gradation », justifie-t-elle : « Tu te tiens la main, tu te fais des bisous, tu frenches, et finalement, la cerise sur le gâteau, c’est la relation sexuelle. » D’où la désillusion.

Comme jamais on ne parlait de ces choses-là à la maison, elle réalise aujourd’hui qu’elle avait en fait une vision totalement faussée de la sexualité. Tout particulièrement de la sexualité des femmes. « Je ne pensais pas que c’était possible pour une fille de vouloir du sexe. Je pensais qu’on le faisait pour faire plaisir au partenaire. »

Alors sans être véritablement forcée (« il n’y avait pas grand questionnement sur le consentement actif »), elle se forçait elle-même. « Je fakais beaucoup, je faisais semblant d’avoir du plaisir, parce que je voulais que mon copain finisse… »

La relation a duré plusieurs mois, puis Gabrielle a déménagé, pour aller étudier au cégep. Et elle a continué à jouer à la fille « willing » encore davantage. « Si on allait clubber, ou dans un bar de danseurs, j’étais la fille willing, raconte-t-elle. Quand un gars m’approchait, me demandait des choses sexuelles, j’étais aussi willing… »

« J’avais l’impression que comme femme, tu es un objet de désir. Et non un sujet… »

« Si t’es sexy, que tu donnes une érection, faut que tu finisses la job… Bref, c’est ça qui se passait… »

La jeune femme pose un regard très lucide sur cette époque. « J’essayais de devenir quelqu’un. Je ne savais pas trop qui, mais j’essayais… »

Fait à noter : les gars en question, elle les choisissait tous. Elle les trouvait beaux, intéressants, mais jamais « sexuellement attirants », nuance-t-elle. Du coup, au lit, elle se sentait toujours comme Amélie Poulain dans le film, dans la fameuse scène où elle est « couchée complètement inintéressée, pendant que le gars se zigne. Ça, c’était moi ! », rit-elle de plus belle.

Vers la fin du cégep, Gabrielle emménage avec son copain du moment. C’est là qu’elle commence à se questionner. Parce que le long terme pousse au questionnement, quand soir après soir, il faut prétexter un mal de tête ici, une fatigue là. S’il s’est douté de quelque chose ? Impossible de le savoir. « Ce n’était pas un gars très expressif. Et moi non plus, je ne suis pas vraiment expressive. Ça m’a pris vraiment du temps avant d’affronter le problème », avoue-t-elle.

Ce sont ses amies qui lui ont mis la puce à l’oreille, quand un jour, à un souper de filles, Gabrielle est tombée dans les confidences : « Tsé, quand tu couches avec un gars, mais t’as pas le goût, que ça fait mal, etc. » Les filles sont toutes restées bouche bée. « Quelque chose ne va pas. Avec ton chum, t’es supposé avoir le goût l’un de l’autre… »

Pourtant, pour Gabrielle, ça n’était jamais le cas. « Une fois au lit, je retombais toujours dans mes vieux patterns : essayer de plaire, plutôt que faire ce dont j’avais le goût. C’est-à-dire rester couchés collés. Pas de touchage de parties… »

Elle a fini par faire une recherche sur l’internet pour enfin mettre un mot sur son état, en tombant sur le site Aven (pour Asexuality Visibility Education Network), un site international d’entraide pour personnes asexuelles.

« Et j’ai tout de suite cliqué : heille, il y a un mot ! Ç’a été comme prendre une douche froide. Un vrai relief. Pendant un bon bout, j’ai pensé que j’avais peut-être une maladie… »

En entrant en contact avec ce réseau, Gabrielle a pu enfin valider ses émotions (« non, t’es pas folle »), ses sentiments, et surtout son absence de pulsions. Parce que pour Gabrielle, être asexuelle, ça se définit surtout par la négative : c’est une absence d’attirance pour qui que ce soit. « L’hétéro est attirée par une personne de sexe opposé. L’asexuelle n’est attirée par personne d’aucun genre », résume-t-elle.

Depuis cette prise de conscience, Gabrielle a eu deux autres copains. Les deux fois, ils n’ont eu que quelques relations sexuelles à peine. Même si les relations se sont étirées dans le temps. « On ne communiquait pas, confie-t-elle. On dormait dans le même lit, mais on n’avait pas d’intimité sexuelle. […] Depuis ce temps, j’ai appris qu’il ne faut peut-être pas que je sorte avec des gars incapables de communiquer… »

Depuis, Gabrielle est célibataire. À long terme, elle ne sent pas vraiment le besoin d’être en couple. Pour elle, le vibrateur est aussi la meilleure invention qui soit. « En cinq minutes, je suis contente… », glisse-t-elle. Avec un homme, même si elle dit avoir eu des orgasmes, c’est « messy » : « Ça prend du temps, faut laver les draps, il y a plein de désavantages… »

Elle fait ici un parallèle avec la cuisine : « Comme faire un vraiment bon gâteau, puis réaliser qu’il y a deux heures de vaisselle à faire. Il est peut-être bon, ce gâteau, mais je ne vais pas refaire la recette… » Elle a goûté, mais pas envie d’y retourner. Plus envie d’y retourner.

* Prénom fictif, pour protéger son anonymat