Productrice en grandes quantités de vêtements de moindre qualité, l’industrie de la mode rapide est montrée du doigt pour ses effets environnementaux. Quels sont les problèmes avec la fast fashion et comment les régler ? Javad Nasiry, professeur associé à la faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, s’est penché sur la question dans le cadre d’une étude récemment publiée dans la revue Manufacturing & Service Operations Management*.

Sur quelles bases repose le modèle de la mode rapide ?

Le facteur déterminant de la fast fashion est d’apporter de la variété aux consommateurs, à une vitesse plus élevée, en proposant des collections plus régulières. Zara sort entre 16 et 20 collections par année, H & M, environ 12 à 16. Le modèle économique de la fast fashion s’articule autour de deux éléments principaux. L’un est la réponse rapide. Ainsi, lorsque nous constatons des changements dans les goûts des consommateurs, nous pouvons y réagir plus rapidement. En fait, certaines marques se sont éloignées des collections en soi pour introduire un flux continu de styles sur une base hebdomadaire. La deuxième composante majeure est la variété, ce que les marques de fast fashion ont publicisé comme la démocratisation de la mode. Elles proposent une mode à un prix raisonnable, ce qui signifie que beaucoup de gens peuvent l’acheter.

PHOTO OWEN EGAN, FOURNIE PAR JAVAD NASIRY

Javad Nasiry, professeur associé à la faculté de gestion Desautels de l’Université McGill

N’est-ce pas noble de vouloir rendre la mode accessible à un plus grand nombre ?

Rendre la mode accessible aux masses est en effet quelque chose d’attrayant. Tout le monde veut être à la mode si le choix est offert. Aujourd’hui, les consommateurs peuvent avoir accès à beaucoup de styles différents à des prix abordables. C’est ce qu’ils entendent par démocratiser la mode, ce qui est bien dans un sens. Mais cela ne tient pas compte des autres conséquences. C’est un modèle économique qui crée beaucoup d’externalités en matière de conséquences environnementales. Il y a beaucoup de vêtements qui sont produits.

Et qui sont jetés…

Aujourd’hui, et pas seulement dans l’industrie du vêtement, nous ne réparons plus rien. Si nous n’aimons plus nos vêtements, nous les jetons simplement et nous en achetons d’autres. Il y a plusieurs raisons à cela. L’une d’elles est que nous pouvons le faire parce que le prix d’un vêtement n’est pas si élevé. Un autre problème est que les vêtements ne sont pas de grande qualité. Ils ont une vie résiduelle très faible.

Est-ce que la mode rapide peut être durable ?

Permettez-moi d’être honnête et de dire qu’avec ce que nous avons actuellement, c’est impossible. Actuellement, un modèle d’entreprise n’est évalué qu’en fonction de ses bénéfices. S’il est rentable et crée de la valeur pour les actionnaires, il peut continuer à fonctionner, mais pas dans le cas contraire. En général, ces entreprises essaient de faire de l’écoblanchiment plutôt que de prendre des mesures sérieuses. Par exemple, un domaine qui m’intéresse et sur lequel je travaille est la collecte des vêtements. Vous utilisez un vêtement, et quand vous avez fini, vous voulez vous en débarrasser. Les détaillants comme H & M, Zara et d’autres disent : « Pourquoi le jeter ? Peut-être que vous pouvez le ramener au magasin. »

Mais que se passe-t-il après ? L’idée est que ces entreprises ne font pas grand-chose. Elles ont des tiers qui travaillent avec elles, et comme la qualité du vêtement n’est pas très élevée au départ, elles finissent par en recycler un peu, si possible, et sinon elles les envoient simplement au dépotoir.

Dans le cadre de vos recherches, vous avez évalué l’efficacité de certaines mesures pour diminuer l’incidence de cette industrie sur l’environnement. Qu’est-ce qui semble fonctionner ?

Il y a eu une prise de conscience. Tant les secteurs privé que public essaient de trouver des moyens de gérer ce problème. Dans le secteur privé, par exemple, nous avons une bonne quantité d’investissements, et j’espère qu’il y en aura encore plus, pour essayer de rendre ces chaînes d’approvisionnement durables. Quant au secteur public, il peut réglementer. Il peut s’assurer que les coûts des déchets soient internalisés par les fabricants, par les chaînes d’approvisionnement et taxer les stocks d’invendus, car certaines de ces entreprises sont connues pour les détruire.

Mais ce que nous constatons dans notre recherche, c’est que certaines de ces pratiques peuvent avoir des conséquences négatives dans le sens où le fabricant, au lieu de ralentir ou de mieux gérer les déchets, transfère le coût aux clients et n’augmente pas la qualité des produits.

Vous vous êtes également penché sur l’éducation des consommateurs. Pourquoi est-ce un maillon important dans la chaîne ?

De nos jours, nous avons ce que l’on appelle les microtendances qui consistent essentiellement à acheter quelque chose que l’on n’utilise que pendant une journée. Une fois la fête terminée, on le jette. L’éducation des consommateurs est très importante. Ces jours-ci, il y a beaucoup d’intérêt, de prise de conscience parmi les jeunes et les institutions. Mais si ces entreprises veulent continuer à incarner le passé, alors la technologie qui est nécessaire pour prendre en charge les déchets doit progresser très, très vite. Jusqu’à ce que cela soit en place, la seule façon d’avancer sera l’éducation des consommateurs et les réglementations.

Et cela signifie inévitablement qu’il faut ralentir un peu le rythme.

* Xiaoyang Long, Javad Nasiry (2022), « Sustainability in the Fast Fashion Industry », Manufacturing & Service Operations Management, 24 (3) : 1276-1293.

Par souci de concision, les propos de l’entrevue ont été édités.