(Eastman) De son jardin des Cantons-de-l’Est à la Semaine de la mode parisienne, les fleurs de Marie-Eve Dion voyagent, fixées sur la fibre. Pour s’éloigner des teintures synthétiques largement répandues dans l’industrie de la mode, la teinturière utilise les pigments naturels pour égayer les tissus.

Dans le petit jardin derrière la maison de Marie-Eve Dion poussent de la garance des teinturiers, de l’indigo japonais, des cosmos. Des plantes qu’on dit tinctoriales en raison de leur grand potentiel à teindre. À l’intérieur, dans son atelier, des bocaux remplis de fleurs séchées : de la camomille, des coréopsis et même des cochenilles (l’insecte redouté des propriétaires de plantes vertes !). « Ça fait de petits points roses, s’émerveille la teinturière. C’est utilisé depuis très longtemps en Amérique du Sud. »

L’histoire de Marie-les-bains, la petite entreprise de teinture végétale qu’elle a fondée, est, elle, plus récente. Après la naissance de sa fille, aujourd’hui âgée de 3 ans, Marie-Eve Dion et son conjoint ont quitté Montréal pour la quiétude d’Eastman et une vue sur le mont Orford. Costumière dans le milieu du cinéma, elle a aussi quitté son métier pour vivre d’un art auquel une designer avec qui elle travaillait l’a initiée.

« Ça m’a fait capoter de voir tout ce qu’on pouvait faire avec la teinture végétale, puis de voir tout ce qui s’ouvrait devant moi », dit la bachelière en design de mode. Aujourd’hui, elle propose une gamme d’accessoires aux imprimés de fleurs (bas et bandanas en coton, carrés de soie) et des housses de coussin en velours de soie teints naturellement par bain.

On a une vision hippie de la chose, mais il y a maintenant une version plus moderne qui est possible, avec des couleurs vives et des imprimés qui sont plus à jour que ce qu’on avait l’habitude de voir.

Marie-Eve Dion

« J’en fais tous les jours et je suis encore émerveillée de voir comment ça peut sortir. Ça peut être beau, là ! »

Pour preuve, la robe chemise à motif botanique de la designer québécoise Marie-Ève Lecavalier, pour laquelle elle a réalisé les imprimés un à un, à la main. Issue de la collection printemps-été 2022 de Lecavalier, la pièce a été présentée l’an dernier à la Semaine de la mode de Paris et est actuellement offerte en une quinzaine d’exemplaires dans les magasins Simons dans tout le Canada.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE SIMONS

La robe chemise de Lecavalier, avec un imprimé conçu à la main par Marie-les-bains

« Je vois de plus en plus de marques qui choisissent de travailler avec des teinturières. Je me suis fait approcher par deux designers avec qui je travaille présentement [dont atelier b]. C’est un début. C’est sûr qu’on est loin du compte, mais je pense qu’il y a quelque chose qui se passe. »

Tout en lenteur

Utilisée depuis des millénaires – les plus anciennes traces découvertes datent du Néolithique –, la teinture végétale a été supplantée par les teintures synthétiques après leur invention au XIXsiècle. « C’est sûr que ce n’est pas la même chose qu’une teinture synthétique. Ça n’a pas la même durabilité [bien entretenu, un vêtement teint naturellement dure néanmoins plusieurs années], ça demande beaucoup de travail aussi et des fibres naturelles, alors pour l’industrie de la mode comme on la connaît aujourd’hui, c’est vraiment difficile à intégrer, remarque Marie-Eve Dion. Mais il y a moyen d’intégrer la teinture végétale en partie. Il y a moyen de se tourner vers ça, mais il faut accepter d’aller plus lentement, plus cher. »

Il suffit de constater la patience nécessaire à teindre un tissu indigo – un procédé par fermentation propre à cette couleur qui nécessite de monter une cuve et de la « nourrir » – pour comprendre. Mais, selon Marie-Eve Dion, l’intérêt des consommateurs est là. Après la demande pour l’achat local et la fibre biologique, les préoccupations à l’égard de l’impact des teintures commencent à émerger.

Les teintures synthétiques, qui contiennent souvent des métaux lourds, du formaldéhyde et des phtalates, comptent pour beaucoup dans l’empreinte environnementale de l’industrie de la mode. Une grande quantité de ces teintures se retrouvent dans les cours d’eau à proximité des manufactures et nuisent à la santé des organismes vivants et des populations.

Marie-Eve Dion cultive une partie des plantes qu’elle utilise, à partir de semis, sur son terrain ou dans deux autres jardins de sa région. Pour ceux qui souhaitent s’initier à cette technique, elle offre des ateliers à Eastman. « C’est accessible à tous, comme la cuisine », souligne-t-elle. Il suffit de connaître la recette. Et de comprendre qu’on ne peut pas toujours se fier aux apparences. « La plupart des plantes que tu vas cueillir en nature vont donner du jaune. Ou un petit beige. Si tu es chanceux, tu peux obtenir des fois un petit rose. » Les noyaux d’avocat aussi donnent du rose. Fascinant, non ?

Consultez le site de Marie-les-bains