Sylvie Fortin répète à qui veut l’entendre qu’on devrait pouvoir étendre ses cosmétiques sur ses rôties le matin. Ses soins de beauté portent des noms comme « dentifrice à la noix de coco », « shampoing à la farine de pois chiche », « fleurs de bain au bonheur de la ruche »… Des préparations simples et, à la limite, mangeables. Avec Cosmétiques solides non toxiques, troisième ouvrage d’une série de livres sur la fabrication de cosmétiques non toxiques, elle pousse le sujet un peu plus loin en misant, plus que jamais, sur la santé, l’environnement et le minimalisme en beauté.

Faire ses propres cosmétiques est une tendance qui s’affirme depuis quelques années. Pour Sylvie Fortin, il s’agit plutôt d’une façon de vivre depuis 30 ans. Elle lave son visage avec une farine de pois chiche, à laquelle elle ajoute à l’occasion quelques grains de sel pour l’exfoliation. La légumineuse, apprend-on, contient de la saponine, qui nettoie la peau et éclaircit le teint. Une chevelure terne et déshydratée ? Elle recommande un masque à la bière de malt d’orge de votre microbrasserie locale préférée. À appliquer, entre deux gorgées, pour ses nutriments qui rendent le cheveu brillant.

Après avoir vécu « à côté de la track » pendant quelques années dans son exploration du mode de vie hippie, elle est, aujourd’hui, on ne peut plus sur les rails des valeurs sociétales en vogue. L’autonomie n’est pas valable qu’en alimentation, estime-t-elle. Ça s’applique aussi à la beauté.

Sa passion pour les plantes ne date pas d’hier. La technologiste agricole a commencé jeune à fabriquer ses propres teintures et macérats de plantes. Sa grand-mère, qui était sage-femme, le faisait déjà avant elle. Son père se soignait, quant à lui, à même la nature. Depuis 25 ans, elle enseigne la fabrication de cosmétiques et fait office de pionnière en la matière au Québec. Avec le temps, elle embrasse le « moins, c’est mieux » avec plus de ferveur encore, et réduit davantage la frontière entre la cuisine et la salle de bains.

Pourquoi du solide ?

Dans ses précédents ouvrages, Sylvie Fortin a présenté des savons, exploré le maquillage, les produits pour hommes, les soins pour le corps et le visage. Avec ce dernier livre, elle s’intéresse aux cosmétiques solides — exempts d’eau — dans une évolution qu’elle considère comme naturelle. Parce que les cosmétiques solides ne requièrent pas l’ajout d’antioxydants ou de conservateurs. Ce qui n’est pas le cas des produits aqueux comme les crèmes. D’un point de vue environnemental, ils ne demandent pas d’emballages compliqués non plus, seulement quelques bocaux ou contenants qu’on a déjà sous la main. À ceux qui répliquent que la peau a besoin d’eau, l’herboriste répond de manière limpide : buvez de l’eau ! Par ailleurs, ajoute-t-elle, la cire d’abeille (présente dans plusieurs de ses concoctions) agit comme une barrière qui permet de préserver l’humidité de la peau.

Dans des bouteilles opaques, à l’abri de la chaleur et de la lumière, les produits à base d’huiles ou de beurres se conservent longtemps.

Les produits du commerce sont conçus pour rester des années sur les tablettes, ce qui ne s’applique pas aux produits maison, explique Sylvie Fortin. Mes recettes sont faites pour une utilisation personnelle, et donc rapide.

Sylvie Fortin, autrice de Cosmétiques solides non toxiques

Les surplus peuvent être mis au congélateur pour être décongelés en petites quantités, et être conservés au frigo entre les utilisations.

Les huiles et les beurres végétaux contiennent tous les nutriments dont la peau a besoin, fait-elle valoir, soulignant, par la bande, que les crèmes commerciales contiennent essentiellement de l’eau, vide d’actifs. L’herboriste invite par ailleurs ses lecteurs à utiliser les huiles essentielles avec modération. Plusieurs plantes populaires utilisées comme huiles essentielles sont vulnérables ou menacées de disparition. C’est le cas notamment de l’ylang-ylang, du patchouli, du bois de rose ou du cèdre de l’Atlas. Elle n’en utilise, personnellement, aucune dans ses soins de beauté.

Dans les boutiques naturelles, on retrouve des déodorants avec six huiles essentielles. C’est beaucoup [trop]. Les huiles essentielles, ce sont de puissants médicaments, et pas des fragrances. L’odeur ne sert à rien.

Sylvie Fortin

La simplicité d’abord

Les cosmétiques naturels n’échappent pas aux modes et au marketing. On y trouve une panoplie d’huiles et de beurres exotiques. Le Maroc produit l’essentiel de l’huile d’argan et en vend beaucoup plus à l’international qu’il n’en produit, dit-elle. Trouvez l’erreur. L’huile d’argan qu’on retrouve sur le marché est-elle vraiment authentique ? « Pour nos cheveux, nous, on a l’huile de chanvre qui est locale et indigène, dont celles de la Coopérative du Cap ou de la Moissonnerie du Pays, à Montmagny. On trouve d’ailleurs une liste de fournisseurs locaux dans Cosmétiques solides. Un fournisseur devrait pouvoir mentionner l’origine de ses produits. Moi, quand j’appelle un fournisseur d’ici, il répond ! »

Sylvie Fortin privilégie les ingrédients locaux, donc. Et végétaux, à l’exception de la cire d’abeille, du miel et de l’argile. « Quand j’ai commencé, on ne produisait pas encore d’huiles de qualité. Mais on n’a plus besoin de se procurer de l’huile d’avocat ou d’argan. On a tout ce qu’il faut au Québec de nos jours. » Certains produits exotiques et d’ailleurs figurent tout de même dans ses recettes. Elle conseille, dans ce cas, des produits biologiques et équitables pour consommer de façon responsable.

Un rituel de beauté devrait être simple, accessible, épuré, selon sa philosophie. Et se faire plus facilement qu’une recette de soir de semaine. Ses ingrédients peuvent être achetés majoritairement dans les épiceries et les magasins d’alimentation naturelle, ce qu’elle préconise d’ailleurs. Une huile comestible a plus de chances, selon elle, d’être de bonne qualité et d’être présentée dans un contenant adéquat, avec une date de péremption, si elle est vendue comme produit alimentaire. « Il ne faut pas se compliquer la vie », dit-elle en prônant un minimalisme sensé.

Les doutes récurrents sur l’innocuité des produits cosmétiques et des ingrédients qu’ils contiennent ont soulevé des questionnements sur la cosmétique traditionnelle. « Je pense que les cosmétiques solides s’inscrivent aussi dans un changement de mentalités. On magasine autrement, on mange autrement, on cuisine davantage. Je crois qu’on sera de plus en plus intéressés à fabriquer nos cosmétiques nous-mêmes avec des ingrédients frais et locaux. On est rendus à voir nos produits de beauté autrement. Ça répond à une nécessité environnementale et de santé. »

Barre de massage hydratante au beurre de karité

PHOTO FOURNIE PAR SYLVIE FORTIN

Tous les ingrédients nécessaires à la fabrication d’une barre de massage hydratante au beurre de karité

À étendre sur le corps après le bain, pour hydrater et nourrir la peau

Ingrédients (pour une barre de 100 g)

65 g (65 %) de beurre de karité bio

25 g (25 %) de cire d’abeille locale

10 g (10 %) d’huile de canola bio (ou de chanvre)

Préparation

1. Dans un bol en inox, faire fondre à feu doux le beurre de karité avec la cire d’abeille. Ajouter l’huile de canola et mélanger.

2. Verser dans un moule à savon ou un contenant alimentaire récupéré de 100 g. Réfrigérer environ 1 heure. Démouler et laisser durcir 24 heures à l’abri de la lumière avant la première utilisation.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

Cosmétiques solides, de Sylvie Fortin

Cosmétiques solides. Sylvie Fortin. Les éditions La Presse. 178 pages.