Écouter de la musique en faisant le ménage ? Évidemment. En faisant l’amour ? C’est bien meilleur. En joggant ? Montez le volume ! Mais écouter de la musique en accouchant ? Les bonnes pièces peuvent jouer un rôle important dans la gestion du stress, voire de la douleur, assurent celles qui accompagnent les mères dans ce moment transformateur de leur vie.

C’est plus fort qu’elle, ça la submerge. Chaque fois que les notes cristallines du Prélude d’Alexandra Stréliski résonnent, les yeux d’Émilie Perreault s’embuent. Normal : c’est cette musique qui emplissait la chambre, et son cœur, lors de l’arrivée parmi nous de son fils, il y a maintenant huit ans. « Bon, la vérité, c’est qu’il n’est peut-être pas sorti pendant cette pièce-là », précise l’animatrice en riant. « Quand tu pousses, t’es un peu moins attentive à ce qui joue. Mais elle était dans ma liste de lecture, ça, c’est sûr. »

Dresser la liste des pièces qu’elles souhaitent entendre dans les moments qui précéderont la venue de leur nouvelle personne préférée est un des devoirs que la doula et infirmière auxiliaire en périnatalité Julie Amic soumet aux femmes qu’elle accompagne, une fois le troisième trimestre entamé. La musique, selon elle, joue un « énorme rôle » dans la gestion du stress et de la douleur indissociables d’un accouchement.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Julie Amic, doula et infirmière auxiliaire en périnatalité

Mais il faut que ce soit des chansons qui viennent te chercher émotivement, qui te ramènent dans un endroit en toi qui t’apaise, à un état qui est synonyme de bonheur.

Julie Amic

Afin d’imprégner sa liste de lecture de cet état de plénitude, il peut ainsi être utile, et surtout agréable, de la faire tourner lors des doux moments qui ponctuent une grossesse, comme celui de l’aménagement de la chambre de bébé. « Plus la musique est associée à des souvenirs d’amour, souligne la doula, elle-même maman, plus la musique va avoir le pouvoir de ramener la mère à cette sensation d’apaisement. »

Pianoscope, le premier album d’Alexandra Stréliski, avait bercé Émilie Perreault durant toute sa grossesse. « Pour moi, c’est clair que la musique devrait faire partie du concept global de santé », plaide l’autrice de l’essai Service essentiel (Éditions Cardinal). « La musique ne va pas remplacer l’épidurale, on s’entend, mais elle peut te placer dans de bonnes dispositions, t’aider à te sentir en territoires connus. »

Comme l’océan

L’impact que peut avoir la bande-son de cette journée inoubliable serait donc tributaire de la relation préalable unissant une femme aux chansons qui la composent. « Si dans d’autres sphères de notre quotidien, la musique nous a permis d’accéder à cet état d’ouverture, de lâcher prise, si elle nous aide à habiter notre corps, plutôt qu’à réfléchir, elle peut potentiellement nous y ramener durant l’accouchement », précise la professeure au département sage-femme de l’Université du Québec à Trois-Rivières Mélanie Martin.

Bien que la plupart des mères sélectionnent des morceaux calmes, la sage-femme a déjà assisté à un accouchement se déroulant au son des guitares acérées d’un gros rock et à un autre durant lequel le père jouait de son djembé.

Il faut que la musique fasse résonner quelque chose de connu pour qu’elle puisse contribuer à ce que la femme se sente dans sa pleine capacité.

La professeure Mélanie Martin

Ce sont ces mélodies et ces sons familiers qui auront le plus le potentiel de favoriser la sécrétion, salvatrice, d’endorphines. « Dans le jeu des hormones qui sont présentes durant l’accouchement », explique la professeure, « l’adrénaline est un antagoniste de l’endorphine. Dès qu’il y a de l’adrénaline, les contractions deviennent plus douloureuses et tout se met à rouler carré ».

Voilà pourquoi, sans en faire une règle absolue, Julie Amic suggère habituellement à ses clientes d’éviter les musiques trop rythmées. Si des chansons aux pulsations plus rapides invitent au mouvement, et que le mouvement peut favoriser certaines étapes du travail, elles permettent plus rarement d’atteindre l’état proche de la transe vers lequel elle tente de guider les femmes.

Même constat pour les chansons dans lesquelles le texte occupe une place prépondérante. « Il faut que la femme déconnecte de son cerveau analytique », dit celle qui suggère aussi le recours à de la musique méditative ou à des méditations guidées. « Je compare souvent les contractions à des vagues : il faut aller au rythme de l’océan quand on bouge le bassin. »

Le cocon de bonheur

Au-delà du rôle qu’elle joue chez la mère, la musique peut aussi densifier la richesse émotive d’un accouchement, un moment déjà très chargé sur ce plan. Julie Amic se souviendra toujours de ce nouveau-né ayant vécu ses premières secondes de vie au son de la version piano-voix d’Haley Reinhart de Can’t Help Falling in Love, un incontournable des listes de lecture qu’elle élabore pour ces occasions. « Je m’amuse à dire que les bébés choisissent la chanson qu’ils souhaitent pour leur naissance. »

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

L’animatrice Émilie Perreault

« Une chambre d’hôpital, c’est tellement froid, c’est dur de créer une bulle qui va t’aider à faire face à la douleur », observe Émilie Perreault, chez qui la musique avait justement permis d’installer cette ambiance et, plus étonnamment, à décrisper l’anesthésiste, qui s’était pointé à son chevet avec une grosse journée dans le corps et dans le visage.

C’était un moment étrange, parce que celui qui me faisait une piqûre était plus stressé que moi, mais il m’avait dit : “On est tellement bien ici, je passerais la journée dans cette chambre.” La musique avait eu un effet anesthésiant sur l’anesthésiste.

Émilie Perreault

Julie Amic confirme que la musique est généralement bien accueillie par le personnel médical. « Au-delà de la trame sonore, j’invite les mamans à se créer une vibe, avec des lumières, des photos de leurs autres enfants ou de l’échographie, qui vont leur rappeler pourquoi elles traversent tout ça. L’idée, c’est d’oublier que tu es dans une chambre d’hôpital et amplifier ce sentiment de petit cocon de bonheur. »

Écoutez Douce naissance, une liste de lecture élaborée pour l’accouchement par Julie Amic