« Il faut absolument que tu découvres ça, c’est tellement ton genre ! »

Mon amie Marie me connaît bien. On faisait une marche quand elle m’a sommée de rejoindre le groupe Facebook « Host A Sister », qui réunit plus de 400 000 femmes de partout dans le monde. Le concept est simple : il s’agit d’un réseau de solidarité. Ou peut-être devrais-je plutôt parler de sororité ? Dans tous les cas, des femmes y offrent gracieusement leur hospitalité. (Et c’est à mon tour de vous dire : « Il faut absolument que vous découvriez ça ! »)

Échange de maisons, hébergement, visite guidée, recherche de partenaire de voyage, partage de conseils précieux, tout est possible… Pourvu que ce soit gratuit !

Ici, des femmes ouvrent leur porte et d’autres demandent à être reçues, mais toutes sont unies par une soif de rencontres.

Par exemple, mon amie Marie a offert une chambre à une étudiante du Mexique qui espère participer à un colloque à Montréal, mais pour qui le budget est un souci. Elle est aussi en train de réfléchir à une escapade à Amsterdam, là où une jeune professionnelle souhaite accueillir des voyageuses, à condition qu’elles aiment les chats.

Qui n’aime pas les chats ?

Quand on rejoint le groupe « Host A Sister », on accepte d’en suivre les règles. Parmi elles : interdiction de partager le contenu publié par les membres. Je respecte ça, donc je n’entrerai pas dans les détails, mais laissez-moi vous dire que j’en ai eu pour des heures de lecture heureuse…

PHOTO ALEKSANDARNAKIC, GETTY IMAGES

Les membres du groupe Facebook « Host A Sister » offrent gracieusement leur hospitalité.

C’est touchant de voir des femmes tendre la main avec bonté et des voyageuses planifier leur trajet en fonction des consœurs prêtes à les accueillir. D’ailleurs, plusieurs publient leur « histoire à succès », soit le récit du temps de qualité passé ensemble ou même d’une amitié qui perdure.

Et la communauté est étonnamment variée ! On y croise autant des duos mères-filles que des copines avec leurs sacs à dos, des retraitées, des voyageuses solos, des couples de femmes ou des couples hétéros… Parce que les hommes ne sont pas interdits, c’est simplement qu’il s’agit d’un réseau géré par ou pour les femmes. Qu’importe qui les accompagne.

Cette manière de parcourir le monde change la donne. Alors que les prix explosent, on propose ici des séjours plus accessibles et, surtout, solidaires. Du périple humain.

La question qui se pose, maintenant, c’est : est-ce que tout ça ne serait pas possible aussi pour une communauté mixte ? Quel est l’avantage pour les femmes de voyager entre elles ?

C’est une question légitime pour laquelle j’aurais personnellement plusieurs réponses à offrir (la plus importante étant : une compréhension accrue de la réalité de l’autre), mais je ne suis pas une experte, alors à quoi bon essayer de deviner ?

Anticipant les doutes que vous pourriez avoir en découvrant les groupes tels que « Host A Sister » — il en existe d’autres, notamment pour femmes qui voyagent seules et les nomades numériques –, j’ai passé un coup de fil à Emilie Marcil, autrice de Femmes et tourisme de l’entre-soi (Presses de l’Université du Québec, 2022).

La professionnelle de recherche à l’ITHQ s’intéresse depuis longtemps au tourisme au féminin. Dans le cadre de son mémoire de maîtrise, elle a rencontré plusieurs aventurières qui optent pour des voyages de groupes entre femmes. Au départ, elle croyait que celles-ci se sentaient probablement plus en sécurité lorsqu’elles étaient épaulées par leurs pairs… Mais elle a vite réalisé que leur intérêt était ailleurs. Ce qu’elles aiment, c’est plutôt les liens d’amitié qui se créent.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Emilie Marcil, professionnelle de recherche à l’ITHQ

Lorsqu’elles sont ensemble, il y a quelque chose qui se passe ! Une communication qui ne vient pas toujours si naturellement dans un groupe mixte…

Emilie Marcil, autrice de Femmes et tourisme de l’entre-soi

D’ailleurs, la chercheuse a été étonnée de voir à quel point les femmes qui voyagent avec des consœurs ont tendance à le refaire. Elles créent des cellules qui se tiennent et se retrouvent régulièrement : « Le plaisir de faire des choses ensemble ressort énormément des entrevues menées. »

Il y a aussi cette idée de ne pas être dans le regard de l’autre, m’explique Emilie Marcil. (Sans surprise !)

« Parfois, quand on est avec des hommes, on sent qu’il faut être gentille ou répondre à la demande sociale d’être belle. Il y a une libération qui vient, lorsqu’on est entre femmes. Sans oublier toute la question du pouvoir. Naturellement, ça se peut que les hommes prennent le canot pendant que les femmes ouvrent les sacs et commencent à préparer le souper… Là, tout rôle est possible. Il y a une autonomie, une prise de décision et une démonstration de force qui sont appréciées et ensuite recherchées par les voyageuses. »

L’idée n’a rien de nouveau ; les femmes voyagent entre elles depuis longtemps. Ce qui est plus récent, c’est la commercialisation de ce type de tourisme. Les voyages de groupe pour femmes sont aujourd’hui communs dans le monde anglophone. Or, ils se font plus rares chez nous… En sondant des agences qui conçoivent des escapades de groupe, Emilie Marcil a pu entendre des clichés tels que : « Des voyages de shopping ? J’organise pas ça ! » ou encore : « La chicane serait toujours pognée ! »

Pourtant, les témoignages qu’on peut lire sur « Host A Sister » comme ceux recueillis par la professionnelle de recherche nous parlent plutôt d’une liberté accrue et de rencontres significatives.

Ce qui se dresse, à l’abri des préjugés, c’est le portrait d’une sororité sans frontière. Et je m’en réjouis.