La réouverture de la frontière terrestre canado-américaine permettra à de nombreux nouveaux couples d’entreprendre leur toute première escapade hors du pays. Des amoureux connaîtront enfin la nature de leur partenaire, lorsque le dépaysement fait tomber des barrières… Maintenant, à quoi doivent-ils s’attendre ?

Une de mes amies a eu une drôle d’idée, il y a quelques années. Elle discutait avec un homme depuis des semaines, strictement virtuellement. Puis, quand est venu le moment de planifier un premier rendez-vous, ils ont décidé de partir quelques jours en voyage aux États-Unis. Je le répète : sans même ne s’être jamais vus.

Quand elle m’a parlé du projet, je lui ai aussitôt demandé de vérifier auprès de trois sources fiables que l’homme en question n’était pas un psychopathe. Elle a accepté parce qu’elle est raisonnable, puis elle a écrit aux amis Facebook qu’ils avaient en commun. Heureux hasard, l’un d’eux connaissait bien l’ex-copine du gars. Avec lui, on aurait l’heure juste.

Toutes les sources s’entendaient : le jeune homme était tout à fait décent.

Je dois admettre que je demeurais sceptique quant à la viabilité du projet. L’idée d’entamer une relation en terre parfaitement inconnue m’apparaissait terrifiante. Mon amoureux, lui, encourageait plutôt notre amie. À ses yeux, la meilleure manière de savoir si on est compatible avec autrui ou non, c’est de se dépayser. Vaut mieux partir en escapade le plus vite possible. Ça passe ou ça casse.

Intéressante théorie… Le voyage serait-il le test ultime du couple ?

« La vie est une aventure composée de défis et d’imprévus. On peut attendre de découvrir le quotidien à deux ou plonger rapidement pour voir comment on gère les désaccords, la contrariété et la prise de responsabilité… Est-ce qu’on est capables d’avancer ensemble ? Est-ce qu’on se comprend bien ? Est-ce qu’on peut prendre une décision commune et aller de l’avant ? », dit Guillaume Dulude.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Guillaume Dulude, le « neuropsy aventurier »

Guillaume Dulude est docteur en neuropsychologie. Il est aussi auteur (Je suis un chercheur d’or), animateur (Tribal, TV5) et, surtout, aventurier. Je l’ai appelé en me disant qu’un homme qui fait le tour du monde avec son arc à flèches, tout en s’intéressant au comportement humain, saurait commenter la théorie de mon chum.

(J’adore mon emploi.)

Manifestement, il n’est pas en désaccord avec l’idée émise. Pour lui, les voyages permettent d’en savoir plus sur notre compatibilité amoureuse, puisqu’ils demandent de déployer flexibilité, mécanismes d’adaptation et autres critères jugés importants dans une relation à long terme. L’escapade pourrait même favoriser l’intimité…

« Plus la vulnérabilité est forte, plus la relation est au rendez-vous, m’explique Guillaume Dulude. La vulnérabilité, ce n’est pas négatif ni synonyme de souffrance, c’est plutôt la capacité à laisser transparaître des émotions. Ce qu’on veut pour le développement relationnel, c’est qu’il y ait une vulnérabilité qui fluctue de façon réciproque entre deux personnes. Un contexte avec des défis, comme un voyage, va favoriser cette vulnérabilité. Plus tu vis des émotions, plus tu te dévoiles. Et plus tu te dévoiles, plus tu t’attaches. C’est très mathématique ! »

Très bien, mon amie a peut-être bien fait de s’évader avec son prétendant, question de déterminer rapidement si un avenir était possible avec lui. Or, l’idée n’est pas parfaite non plus…

« Quand on apprend à connaître l’autre dans un contexte d’éloignement, on n’a pas accès à son milieu, à sa famille, à ses amis ou à son travail, souligne la sexologue Julie Lemay. On a droit à des informations condensées, mais limitées. »

Effectivement, on découvre rapidement si on est doués pour prendre des décisions à deux, mais on ignore si notre flamme est polie avec sa mère ! C’est un pensez-y-bien.

Ensuite, on n’entretient pas tous un intérêt pour le voyage ou l’imprévu, me rappelle Julie Lemay. Et c’est loin d’être tout le monde qui a un budget qui le permet… « C’est vrai que c’est dans l’adversité qu’on va cimenter une union, mais on peut retrouver cette adversité à Bora-Bora comme à Laval ! »

L’escapade précoce n’est donc pas nécessaire pour créer des liens francs. D’ailleurs, selon Guillaume Dulude, « on peut commencer par une micro-aventure ! Il s’agit de faire une tâche qui pose un défi pour les deux personnes, d’aller vers un peu d’inconnu de façon réciproque ».

Autre notion importante à tenir en compte, selon Julie Lemay : l’escapade inspire l’émerveillement. Le nouveau couple vogue de découverte en découverte, plongé dans une certaine euphorie. Or, qu’en est-il quand la vie est au calme plat ? (Parce qu’elle est souvent au calme plat.)

« J’ai l’impression que s’ennuyer dans un salon, ça peut nous en dire beaucoup sur l’autre, glisse la sexologue en riant. Se connaître à travers les silences et l’ennui, ça peut aussi être très riche ! Comment s’alimente-t-on et se connecte-t-on l’un à l’autre, quand l’extérieur ne nous donne pas de leviers ? »

Quel bon point !

On peut donc profiter de la réouverture de la frontière terrestre canado-américaine pour tester son nouveau couple, mais on peut aussi le faire en rénovant une cuisine, en faisant du go-kart, en jouant à la boulette ou encore en se regardant dans le blanc des yeux loin de toute stimulation.

Il s’agit d’accepter de se montrer vulnérable. À Bora-Bora ou à Laval.

Finalement, le rendez-vous galant de mon amie à l’étranger s’est très bien passé ! Malheureusement, le couple, lui, n’a pas duré bien longtemps…

Il reste que dans les discussions au sujet des premiers rancarts, c’est elle qui suscite le plus d’admiration. Toujours. C’est au moins ça de gagné.