Certaines villes sont considérées comme des « trous » (du moins, par les adolescents blasés qui y grandissent). Et certains de ces « trous » peuvent devenir, avec le temps, des destinations prisées… Réflexion sur les mystères du tourisme.

Au début des années 2000, à Farnham, les jeunes avaient deux options : le club vidéo ou le Subway. Il y avait bien un skatepark, mais c’était pour les cool. Et il y avait les parcs pour la drogue, évidemment. Disons quatre options, donc.

Dans ma petite ville, on était moins de 8000 et le temps pouvait être long. À Bedford, où habitait mon père, il y avait encore moins à faire. Une rivière polluée, un gym avec une salle de ping-pong et une bibliothèque. On avait fait le tour en un avant-midi.

Si j’ai beaucoup aimé ma jeunesse, c’est davantage grâce aux sous-sols de mes amies qu’à l’offre de mes municipalités. Je n’éprouvais malheureusement aucune admiration pour leurs doux paysages ou leurs artisans locaux.

Vous pouvez donc imaginer ma surprise lorsqu’une copine m’a récemment appris avoir un chalet à… Farnham. De toutes les villes, pourquoi celle-là ? Parce que la nature, les champs, la beauté, m’a-t-elle dit ! La beauté ?

Elle aurait pu s’être cogné la tête et souffrir d’une perte momentanée de jugement, mais cette amie était en pleine santé et ne représentait pas un cas isolé. En 2021, L’actualité publiait « Le pouvoir d’attraction de Farnham », un article au sujet de son « essor fulgurant »… On parle de 26 % d’augmentation de la population en 10 ans.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Un paysage automnal dans la MRC de Brome-Missisquoi

En fait, c’est toute la MRC de Brome-Missisquoi qui se fait attirante : entre 2016 et 2022, elle a connu une hausse de population de 11,1 %, ce qui est bien au-delà de la moyenne provinciale de 4,1 %.

En 2019, on estime y avoir reçu plus d’un million de touristes, m’a-t-on appris au Centre local de développement de Brome-Missisquoi. En 2021, alors que les Québécois voyageaient localement à cause de la pandémie, l’achalandage était tel dans les sentiers pédestres qu’il a causé des petits maux de tête aux gestionnaires…

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

À Farnham se trouve le réputé vignoble québécois Les Pervenches.

Le coin a le vent dans les voiles. Ça se comprend : à Farnham, il y a maintenant une microbrasserie, une fromagerie et des vignobles… (Il y en avait déjà à mon époque, mais le vin québécois n’était pas à la mode, contrairement à aujourd’hui. Si on m’avait dit, il y a 15 ans, que je ferais éventuellement la file pour une bouteille venant des Pervenches, j’aurais recraché mon Sex on the Beach.)

Bedford, lui, est rendu un endroit tout mignon où se balader si on aime susciter l’envie de nos proches avec des photos champêtres. Il y a même un tout nouveau parc récréotouristique.

J’ai des amis montréalais qui s’organisent des escapades à Venise-en-Québec. Mais. qu’est. ce. qui. se. passe ?

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Scène bucolique à Bedford

Frelighsburg, Knowlton, Dunham, je veux bien ! Ils ont toujours attiré leur lot de touristes d’un jour. Mais comment les villes sans intérêt de mon enfance ont-elles fait leur entrée dans ce qu’on considère comme les beautés de chez nous ?

Une dissociation s’opère chez moi quand on me vante les mérites de ma région natale. Je n’arrive pas à me faire à l’idée que les rues où je me suis ennuyée sont celles que court maintenant mon entourage en quête de petits voyages.

Peut-être est-ce parce qu’elles ont beau regorger de vitalité, je m’y verrai toujours en train d’essayer de composer avec les maladresses de l’adolescence. Peut-être que l’appel de la métropole était si grand que je n’ai jamais su m’attacher à mon coin de pays, trop étroit pour mes ambitions (mais assez grand pour celles du groupe Arcade Fire, qui y a acheté une ancienne église pour y exploiter un studio de musique de 2005 à 2013). Peut-être, aussi, que c’est difficile d’apprécier la beauté des champs nourriciers, le son des chutes, la pureté de la lumière ou l’apaisement inhérent à un rythme plus lent quand on a 12 ans…

Certains coins sont possiblement faits pour être aimés à maturité.

Les regarder d’un nouvel œil demande toutefois une certaine ouverture. La ville a beau changer, je refuse de le voir. Si ce qui était plate peut devenir joyau, ça veut dire que ce qui était jeune peut devenir vieux.

Je dors mieux quand j’ai l’impression que rien ne bouge.

Heureusement, certaines choses perdurent. Une des rares activités fédératrices du coin était jadis les parties des Astérix, l’équipe de football de l’école secondaire Jean-Jacques-Bertrand. Il y a quelques semaines, j’ai assisté à l’une d’elles, comme dans le temps… Avec une centaine d’autres personnes, j’ai applaudi mon neveu et ses coéquipiers, tandis qu’ils régnaient sur le terrain. Un repère d’un précieux réconfort.

En les regardant se réjouir après leur victoire, je me suis dit que c’était tant mieux, au fond, si ces adolescents avaient maintenant droit à une vie culturelle, des cafés, de nombreux voisins et des touristes… J’ai grandi dans un bassin de gens restreint qui n’offrait pas une grande diversité. Les horizons de la nouvelle génération seront peut-être assez vastes pour qu’elle arrive à reconnaître la beauté de ce qu’elle a, plutôt que de rêver de fuite.

(En espérant qu’elle n’ait toutefois jamais à faire comme les résidants de Woodstock, au Vermont, qui ont dû bannir les touristes pour éviter que leur charmante région ne soit surexploitée par les influenceurs et visiteurs assoiffés de décors idylliques, ai-je appris dans La Presse… Il y a toujours bien des limites à voir son coin de pays changer.)

Lisez l’article « Feu rouge sur le surtourisme au Vermont »