Parce qu’il existe plus d’un modèle de famille, les cartons d’identification accrochés aux berceaux des nouveau-nés, au CHUM, vont changer. Une petite avancée, soit, mais qui représente beaucoup pour Eugénie Lépine-Blondeau et Judith Séguin, nouvellement mamans. En voici l’histoire, empreinte d’écoute et de respect.

L’animatrice et chroniqueuse Eugénie Lépine-Blondeau et sa conjointe, Judith Séguin, ont accueilli leur premier enfant, Miro, au début du mois de mai. Les infirmières qui les ont accompagnées ont fait preuve d’une « bienveillance suprême » pendant toute la durée de l’accouchement, qui n’a pas été de tout repos. Le couple tient d’emblée à le préciser.

Les premiers pas d’Eugénie Lépine-Blondeau et de Judith Séguin dans le monde de la parentalité ont néanmoins été parsemés de petits pincements au cœur. Eugénie et Judith – comme bien d’autres couples issus de la diversité – ont réalisé à quel point les formulaires au Québec sont hétéronormatifs, plus de 20 ans pourtant après la reconnaissance juridique de l’homoparentalité. À la clinique de fertilité, dans un hôpital pour enfants, dans le carnet de vaccination…

Même sur le carton d’identification accroché au berceau de leur enfant, au CHUM, il était écrit « mère : Eugénie, père : Judith ».

C’était après quatre jours intenses au CHUM, on était un peu fatiguées aussi, mais c’était notre première interaction en tant que famille. Ça m’a fait un pincement au cœur, surtout pour Miro.

Judith Séguin, lors d’une visioconférence vendredi

Le 17 mai, lors de la Journée internationale contre la transphobie et l’homophobie, Eugénie Lépine-Blondeau a pris la parole sur les réseaux sociaux pour dénoncer les microagressions et les grandes agressions qui sont encore perpétrées contre les communautés d’ici et ailleurs. Dans plusieurs pays, a-t-elle rappelé, sa famille n’aurait pas le droit d’exister. Tout en soulignant l’accueil exceptionnel de l’équipe du CHUM, Eugénie a évoqué l’étiquette au berceau de Miro et le commentaire d’une infirmière qui a dit à Judith qu’elle allait devoir « adopter » Miro (avant de s’informer et de corriger le tir).

« Pour être honnête, je n’avais pas d’intention d’être dénonciatrice ; au contraire, c’était une intention militante, comme chaque année », explique Eugénie Lépine-Blondeau, 34 ans. Elle avait envie de parler des avancées qu’il reste à faire. Ces formulaires envoient un message d’exclusion qui a créé un inconfort chez les nouvelles mamans. Et les a rendues tristes, aussi.

Aller vers l’avant

La publication d’Eugénie sur Instagram a fait du bruit (plusieurs parents ont fait part d’expériences similaires dans d’autres hôpitaux)… et elle a fini par être portée à l’attention de Nadège Staco, jusqu’à récemment infirmière-cheffe au centre des naissances du CHUM (elle vient d’être nommée coordonnatrice par intérim). « Sur le coup, ça m’a tellement fait mal de savoir qu’une de mes patientes a vécu ça », confie Mme Staco, présente à la visioconférence.

L’inclusion lui est chère. Son équipe essaie de modifier le nom donné au centre des naissances du CHUM – l’Unité mère-enfant – qui exclut d’emblée les pères et les personnes non binaires. Récemment, l’équipe du CHUM a aussi rencontré une personne non binaire, avant son accouchement, pour s’informer de ses besoins. « Pour le carton de bébé, ça m’a complètement échappé », résume Nadège Staco, qui a aussi pris conscience des couleurs genrées des cartons – bleu pour les garçons, rose pour les filles.

Il y a assez de stress quand on devient parent. Essayons d’apaiser au mieux ce stress-là.

Nadège Staco, coordonnatrice par intérim au centre des naissances du CHUM

Nadège Staco a appelé Eugénie et Judith, jeudi, pour leur dire qu’elles avaient été entendues et écoutées. Elle jongle avec deux options : retirer le carton (qui n’a plus vraiment d’utilité dans cette ère post-pouponnière) ou le rendre plus inclusif, en inscrivant « parents » au lieu de père et mère. Eugénie propose un carton neutre, qu’on pourrait remplir à la main.

Dans le contexte actuel, où on constate une libération d’une parole haineuse et ignorante envers les communautés LGBTQ+, « craignez-vous les contrecoups de votre décision ? », demande Eugénie Lépine-Blondeau à Nadège Staco. « Il y aura toujours des commentaires désobligeants, mais ça ne m’empêche pas d’aller vers l’avant », dit Nadège Staco, qui souhaite aussi amener la réflexion aux gestionnaires des autres hôpitaux accoucheurs lors d’une prochaine rencontre.

Des progrès, mais…

C’est en 2002 que les familles homoparentales ont obtenu une reconnaissance juridique au Québec, et depuis, la Coalition des familles LGBT+ réclame que les formulaires reflètent ces changements inscrits au Code civil. « On apprécie les gestes d’inclusion », dit la codirectrice de l’organisme, Mona Greenbaum, qui souligne que d’autres hôpitaux et des commissions scolaires l’ont fait dans le passé. Mais selon elle, le mot d’ordre doit venir d’en haut. « Il faut une directive claire du gouvernement pour que chaque institution publique ait le devoir légal d’adapter ses formulaires pour correspondre aux familles homoparentales et aussi au fait qu’on reconnaît les personnes non binaires dans le Code civil », dit-elle. Il y a quelques années, la ministre Sonia LeBel lui a dit qu’il y avait au Québec 35 000 formulaires à adapter.

En savoir plus
  • 0,6 %
    Selon le recensement de 2021, parmi les couples avec enfants au Québec, 5240 sont du même genre, transgenres ou non binaires, soit 0,6 % du total. La Coalition des familles LGBT+ estime plutôt qu’environ 50 000 enfants au Québec vivent dans une famille homoparentale.