Noémie Pomerleau-Cloutier a été avalée par le projet.

Le deuil, l’autrice le connaît bien. Son premier recueil de poésie, Brasser le varech, nous plonge dans les remous engendrés par la mort de son père. Comme toute personne ayant perdu un être cher le sait, le deuil est une présence qui ne nous abandonne jamais complètement. Cet étrange compagnon revient de temps en temps – quand il ne nous hante pas à temps plein –, pourtant, on parle assez peu de cette relation complexe.

« Il y a tellement de douleur dans le monde, mais tellement peu d’espace pour [l’exprimer]. » Se désolant de l’isolement engendré par la peine, Noémie Pomerleau-Cloutier a choisi de créer un interstice avec Ouvrage secret, un livre qui paraitra à l'automne 2025 aux éditions La Peuplade.

IMAGE TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM OUVRAGESECRET

Une des premières broderies terminées.

Le pari est audacieux : l’artiste s’inspire de quarante témoignages de femmes et personnes non binaires endeuillées pour écrire autant de poèmes. Puis, elle choisit un ver de chacun des poèmes pour en faire le cœur d’une broderie.

Pourquoi 40 témoignages ? Parce que plusieurs cultures vouent traditionnellement ce nombre de jours au deuil.

Pourquoi des femmes et des personnes non binaires ? Noémie Pomerleau-Cloutier estime que « ce sont ces personnes qui prennent soin, en général ». Bien sûr, des hommes savent être là pour autrui, mais les femmes ont été socialisées de manière à opter pour des professions liées au soin ou encore à s’occuper davantage des enfants et des parents vieillissants. Noémie a d’ailleurs été professeure en francisation et formatrice en alphabétisation populaire avant de se lancer dans l’écriture… Et il a été ardu de dissocier l’artiste de l’intervenante quand est venu le temps de plonger dans les récits reçus.

La mort d’une sœur, d’un animal de compagnie, d’un enfant, d’un idéal, d’un couple, de l’innocence, de la personne qu’on aurait voulu être… Les pertes qui lui ont été confiées s’inscrivent dans un large spectre de souffrances auquel Noémie n’est certainement pas imperméable.

PHOTO KARENE ISABELLE PHOTOGRAPHY, FOURNIE PAR NOÉMIE POMERLEAU-CLOUTIER

Noémie Pomerleau-Cloutier

Et que vient faire la broderie là-dedans ? Noémie Pomerleau-Cloutier a commencé à s’y intéresser en 2018, alors qu’elle vivait un épuisement professionnel. Elle cherchait une activité qui l’aiderait à recentrer son attention et à diminuer son niveau d’anxiété. À ralentir. Celle qui a vu sa grand-mère faire des catalognes et sa mère repriser nombre de vêtements a opté pour la broderie. Elle a vite constaté qu’en s’occupant les mains, elle pouvait se vider la tête. Plus encore : que le textile permettait l’expression de bien des émotions.

À cet effet, Noémie a été happée par une scène du film Portrait de la jeune fille en feu. On y voit une bonne qui brode tout en discutant d’un sujet extrêmement sensible avec d’autres femmes. « J’ai réalisé que les espaces d’aiguilles, c’est à ça qu’ils servent ! »

Quand elle retrouve son cercle de fermières, Noémie Pomerleau-Cloutier travaille le textile, mais ce faisant, elle écoute les histoires de consœurs de 30 à 80 ans. Ce sont des espaces de confidences. La broderie était donc un médium parfait pour accompagner les poèmes d’Ouvrage secret, d’autant plus que comme l’écriture et le deuil, elle demande du temps.

Beaucoup de temps.

En fait, chaque œuvre d’Ouvrage secret exige entre trois jours et trois semaines de travail. L’artiste de 46 ans planche présentement sur la dixième broderie de la série et incorpore des souvenirs des participantes à chacune d’elles. Parfois, des gens lui envoient des pièces de tissu ayant appartenu à l’être aimé ou encore des photos d’eux. Sinon, Noémie part à la recherche de matériaux recyclés qui feront écho aux témoignages reçus. Une femme lui a par exemple confié avoir beaucoup pleuré dans une robe de chambre en velours mauve. L’autrice a fouillé jusqu’à dénicher des bas en polar usagés d’une texture et d’une couleur parfaites pour en intégrer des fragments à sa broderie.

Ça fait beaucoup de délicatesse.

« J’essaie d’aborder les gens avec le plus de gentillesse possible, me répond Noémie Pomerleau-Cloutier. Le monde est déjà assez laid, on n’a pas besoin d’en rajouter. Des fois en littérature, ça peut passer pour de la mièvrerie ou de la complaisance. « C’est sûr que ça va être plein de bons sentiments, ce livre ! » Oui, c’est plein de bons sentiments, mais c’est aussi l’affaire la plus violente que j’ai jamais faite. »

Plonger dans la perte des autres, c’est nécessairement rouvrir ses propres plaies. Si Noémie a été avalée par son Ouvrage secret, elle avance toutefois avec une nouvelle certitude : « On est liés. Tout le monde. Par nos bobos, nos mécanismes de défense et notre résilience. »

Tant qu’à marcher dans la même douleur, aussi bien prendre le temps de s’observer blessure à blessure.

Voyez les broderies d’Ouvrage secret