Notre journaliste se balade dans le Grand Montréal pour parler de gens, d’évènements ou de lieux qui font battre le cœur de leur quartier.

David Rogers a longtemps fait le bonheur du quartier Petit Laurier en organisant un concours de décoration d’œufs de Pâques. Mais cette année, il n’y aura pas de Cococoncours. Plutôt une exposition de toutes les œuvres pascales que l’artisan a accumulées au fil du temps.

Sa femme a vendu l’immeuble de l’avenue Laurier Est où il a son atelier-boutique de cuir – à l’angle de la rue Garnier – et c’est le temps pour lui de passer à autre chose. « J’ai 80 ans et je dois faire une transition pendant que j’ai encore la santé et l’énergie. »

Il a jusqu’en juin pour quitter les lieux. « C’est la fin, dit-il. Je vais m’ennuyer d’être un commerçant. J’adore toutes les rencontres que je fais. Chaque jour, je ne sais pas qui va franchir la porte. »

C’est alors que la sonnette se fait entendre et qu’une jeune femme entre en s’excusant de nous interrompre. « David, je voulais vous dire au revoir, car je quitte Montréal ce soir », lui dit-elle avant de lui faire une accolade.

Professeure à l’UQAM, Blandine Émilien s’est fait confier un mandat en Angleterre. « David, c’est pour moi le patrimoine du quartier. Je prends l’avion ce soir et je ne pouvais pas ne pas arrêter pour le voir. J’en ai les larmes aux yeux », nous explique-t-elle.

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Blandine Émilien dit au revoir à David Rogers.

David Rogers n’est pas connu seulement pour ses œufs de Pâques dans le Petit Laurier. Avant Noël, il avait l’habitude de faire un sapin collectif que tous pouvaient décorer à leur guise. Il a aussi déjà entretenu un petit jardin communautaire de fines herbes rue Garnier. « En retour, je pouvais regarder avec bonheur les gens en profiter à travers la fenêtre. »

Son moment le plus glamour ? En 2011, quand l’actrice Julia Roberts lui a acheté un sac alors qu’elle tournait à Montréal le film Mirror Mirror.

  • Des gens s’émerveillent toute la journée devant la vitrine.

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    Des gens s’émerveillent toute la journée devant la vitrine.

  • Le concours était à la fois pour les enfants et les adultes.

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    Le concours était à la fois pour les enfants et les adultes.

  • Le plus vieil œuf décoré de la collection, celui que David Rogers a soumis à un concours auquel il a participé à San Francisco il y a presque 40 ans.

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    Le plus vieil œuf décoré de la collection, celui que David Rogers a soumis à un concours auquel il a participé à San Francisco il y a presque 40 ans.

  • Les Winnip’Eggs, œuvre de Roxanne Bélanger

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    Les Winnip’Eggs, œuvre de Roxanne Bélanger

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Un esprit libre

David Rogers a commencé à travailler le cuir un peu par hasard à Denver quand un homme lui a proposé de faire des sandales. Ce métier d’artisan allait bien avec son esprit libre qui l’a mené à sept occasions au festival Burning Man dans le désert du Nevada.

« J’ai vécu partout », lance David Rogers, en citant San Francisco, Seattle, Key West, Cape Cod et l’Espagne parmi les lieux où il a vécu.

Montréal aura été la ville où David Rogers aura vécu le plus longtemps, soit presque 25 ans… à cause d’un amour qui a eu plusieurs détours !

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Le cahier où David Rogers a répertorié au fil des années tous les lieux où il a vécu.

David Rogers a rencontré sa future femme québécoise alors qu’il était au volant à San Francisco au début des années 1970. « Elle faisait du pouce près de l’entrée du Golden Gate Bridge, raconte-t-il. C’était dangereux pour elle d’être là et je l’ai fait monter dans mon camion. »

Pendant trois ans, David et sa dulcinée québécoise ont maintenu une relation à distance. En 1976, lui s’est installé à Montréal, mais après quatre ans, elle, étudiante en médecine, a préféré se séparer. « J’avais le cœur brisé », raconte David Rogers qui était retourné vivre aux États-Unis.

Vingt ans plus tard, l’Américain, alors dans la fin cinquantaine, devait assister à un mariage dans l’État de New York. « Je me souviens de mettre plein de sous dans une cabine téléphonique pour retrouver une femme qui s’appelle Diane Milot à Laval. »

Cette fois-ci était la bonne. Enfin presque… Il a fallu un an avant que le couple décide de quel côté de la frontière canado-américaine s’établir. Diane Milot a finalement décidé d’acheter l’immeuble situé au 1397, avenue Laurier Est pour que son mari puisse y tenir boutique.

« Nous sommes toujours mariés », souligne ce dernier.

David Rogers a partagé pendant longtemps le rez-de-chaussée avec la joaillière Marianne Séguin (avec qui il organisait le Cococoncours), maintenant à Trois-Pistoles. Sa femme, avec qui il vit à Laval, a décidé de vendre, car elle ne voulait plus avoir les responsabilités d’être propriétaire.

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David Rogers va s’ennuyer de sa vitrine qui donne sur la rue.

Une vie commerçante fragile

Le loyer du 1397, avenue Laurier Est sera six fois plus élevé que ne l’étaient les revenus mensuels de David Rogers, qui s’inquiète de l’avenir des petits commerces de quartier du Petit Laurier. « Beaucoup de choses ont changé depuis deux ans », note-t-il, citant la fermeture de la boulangerie Le Fromentier et de Gaïa Céramique après plus de 25 ans de service.

Selon le maroquinier, c’est le meilleur endroit en ville. « It’s a lovely lovely neighborhood », répète-t-il en anglais.

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David Rogers organisait le Cococoncours avec la joaillière Marianne Séguin.

L’octogénaire, qui a perdu ses cinq frères et sœurs plus jeunes que lui, considère que Montréal est « une ville-sœur » de San Francisco avec un gros bonus : « l’assurance maladie ».

La suite

Appel à tous : David Rogers aimerait faire don de sa collection de 150 œufs de Pâques (exposée jusqu’au 8 avril dans sa vitrine, de 11 h à 19 h), que ce soit à un musée ou une bibliothèque. Il annonce aussi la tenue d’une vente d’atelier et une vente-débarras. « Je dois me départir de beaucoup de choses, mais je vais garder ma machine à coudre. »

Il a l’intention de continuer à travailler le cuir, mais reste à voir comment il mettra en vente ses créations.

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David Rogers a 80 ans.

S’il doit faire le deuil de ne plus avoir pignon sur rue avec sa propre « shop », il s’estime heureux d’avoir pu mener une vie indépendante d’artisan. « J’ai toujours été self-employed et j’ai toujours pu faire ce que je voulais. J’en suis reconnaissant. »