Dans un grand cubicule vitré, des enfants au menton lové sur un alto s’échauffent avant une classe de maître donnée par une altiste professionnelle. À l’extérieur, alors que les vitraux réfléchissent une belle lumière ensoleillée de fin de journée, le marché solidaire bat son plein avec des gens du quartier qui viennent acheter fruits et légumes.
C’est bien animé pour un lundi soir dans l’ancienne église anglicane de Pointe-Saint-Charles, où l’organisme Partageons l’espoir, fondé en 1989, est enraciné depuis 2004.
« Nos deux gros axes sont la sécurité alimentaire et l’éducation », souligne la directrice générale de l’organisme, Stéphanie Taillon, qui peut compter sur 40 employés et une cinquantaine de bénévoles.
« La demande a triplé pour la banque alimentaire par rapport à avant la pandémie. Nous aidons environ 2700 personnes par mois », ajoute celle qui ne voudrait pas avoir à créer une liste d’attente comme doivent le faire d’autres organismes et qui a cosigné une lettre ouverte récemment pour sonner l’alarme sur la hausse des besoins.
Lisez la lettre ouverteLe marché solidaire, lui, fonctionne selon le modèle « payez ce que vous pouvez ». Il y a trois prix : « un prix suggéré, un prix coûtant et un prix entraide », détaille la responsable Riley Kan.
Pour les jeunes
Depuis 2010, Partageons l’espoir offre un programme de tutorat en collaboration avec trois écoles primaires. L’organisme est aussi réputé pour son programme de musique inspiré de celui d’El Sistema, créé au Venezuela et selon lequel la musique est un droit, pas un privilège. C’est de ce programme qu’est issu nul autre que Rafael Payare, chef d’orchestre de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM).
Le prix à payer est basé sur le revenu des familles (à partir de seulement 30 $ pour les frais d’inscription). Grâce à un partenariat avec l’Orchestre de l’Agora – dont le chef fondateur est Nicolas Ellis –, les jeunes peuvent assister à des concerts et avoir des classes de maître. « C’est l’approche communautaire de rendre la musique accessible à tous. Il n’y a aucun cours privé : tout se fait en groupe », précise Stéphanie Taillon.
« On ne fait pas qu’enseigner la musique. C’est plus global : c’est d’apprendre à être en collectivité, à s’écouter, à attendre, à s’entraider », ajoute Camille Mireault-Lancette, professeure d’alto.
Le lundi soir de notre visite, les élèves de Camille ne sont pas divisés en petits groupes comme à l’habitude, mais assis tous ensemble pour assister à une classe de maître donnée par l’altiste Amina Myriam Tébini.
Elle et Camille Mireault-Lancette, toutes deux pigistes, ont déjà joué ensemble avec l’Orchestre Métropolitain. « Je redonne ce que moi j’ai reçu à leur âge à l’école Pierre-Laporte », dit Camille Mireault-Lancette. « Je viens du système public, donc dès que j’ai l’occasion de redonner, je le fais », renchérit Amina Myriam Tébini, qui a commencé les cours privés seulement à l’âge de 15 ans, et qui a fait ses premières classes musicales aux écoles Le Plateau et Joseph-François-Perrault.
Amina ne s’en est pas vantée, mais elle est titulaire d’une maîtrise de la Yale School of Music. Elle a joué au Royal Albert Hall, à Londres, à Carnegie Hall, mais aussi avec... Céline Dion !
Bâtir la confiance
C’était attendrissant et inspirant de la voir avec les enfants : leur dire de garder leur petit doigt bien rond sur l’archet (« le travail d’une vie »). De se regarder dans le miroir pour améliorer la tenue du poignet. D’avoir plus confiance. De rassurer un élève dont l’alto est désaccordé. De jouer de façon plus dramatique parce que « Bach ne l’a pas eu facile ».
À la fin, Amina Myriam Tébini et les jeunes se sont félicités d’être les « underdogs » qui ont choisi l’alto. « C’est plus original que le violon », a souligné Emilia.
Henri a usé de l’image d’« un enfant qui marche dans la pluie » pour décrire une articulation – soit la manière dont on attaque la corde avec son archet – pendant les danses populaires roumaines de Bartók.
C’était beau de voir les personnalités, les forces et les insécurités des enfants qui jouaient en duo à tour de rôle. Amina Myriam Tébini leur a confié qu’elle se remettait d’un long processus d’audition avec l’OSM. À 37 ans, elle fait toujours partie de la relève, a-t-elle blagué. « Ce n’est pas toujours facile. »
Mais il n’y a rien de tel que de jouer dans un orchestre et de savourer le pouvoir du nombre. « J’aime tellement faire partie d’un groupe et ne plus entendre mon son à moi », a-t-elle confié aux enfants.
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