Dans une classe au quatrième étage du collège de Rosemont, tous les élèves ont le nez dans leur téléphone. Le jeu qu’ils s’apprêtent à faire n’a pourtant rien de solitaire. C’est même tout le contraire.

Dans leur téléphone, la même application est ouverte : Nomie. Et cette application vient de leur attribuer au hasard un numéro de groupe pour former des sous-groupes de trois à quatre élèves. Joshua Benitez Quintanilla, Madina Derrar et Luz Maria Aguiar s’installent autour d’un même îlot. Le jeu peut commencer.

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L’enseignante Sonia Hudon, au collège de Rosemont, et les élèves Madina Derrar et Joshua Benitez Quintanilla

Une question s’affiche dans leur écran : « Qui a dit : mon endroit préféré au monde ressemble au Paraguay » ? « Luz », répondent Joshua et Madina sans hésiter. Luz sourit. « C’est mon pays d’origine. J’ai grandi là-bas. J’avais 16 ans quand je suis arrivée ici. »

Qui a le signe astrologique Lion ? demande Nomie. Cette fois, c’est Joshua, qui doit ensuite trouver un trait de personnalité qui devrait selon lui se retrouver dans la description de son signe. « La force mentale, répond Josh. Et j’aime être le centre d’attraction, j’aime le gold », dit-il, taquin, en montrant ses bijoux. Dalila pouffe de rire, Josh et Luz aussi. Dans la classe, des sourires illuminent les visages de ces grands enfants. L’ambiance est résolument joyeuse.

Pendant une quinzaine de minutes, Nomie leur posera ainsi des questions en se basant sur la fiche de présentation que chaque élève a remplie avant le début de la session. Les élèves feront un jeu de Nomie environ cinq fois pendant la session, pour nouer des liens, petit à petit.

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Joshua Benitez Quintanilla

La première fois, ce n’était pas comme ça, les gens étaient plus gênés. Maintenant, la glace est brisée.

Joshua Benitez Quintanilla

« Habituellement, il y a des activités brise-glace au début de chaque session, mais Nomie, c’est une manière plus organisée de le faire, observe Madina. Personne n’aime vraiment ça, être seul, manger tout seul, ne pas savoir où s’asseoir. Et au début du cégep, c’est inévitable. »

Apprendre à se connaître

L’application web Nomie a été créée par Sonia Hudon, enseignante de techniques administratives au collège de Rosemont. Dans le cadre de son projet de maîtrise en éducation, elle devait mettre sur pied un projet d’innovation pour aider les étudiants dans leurs apprentissages. Son plan était d’abord de créer un outil pour aider les enseignants à apprendre le nom de leurs (nombreux) élèves. Des études ont démontré que c’était la première chose à faire pour augmenter le sentiment d’engagement des élèves en classe.

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Avant la session, les élèves doivent remplir une fiche de présentation.

Mais les étudiants que Sonia Hudon a consultés au fil du développement du projet lui ont parlé d’un autre problème. « Ils nous ont dit : ‟Oui, c’est important que nos profs nous connaissent, mais nous, entre nous, on se connaît même pas » », raconte-t-elle.

L’enseignante nous tend une feuille de papier sur laquelle sont imprimées des phrases prononcées par des élèves dans les groupes de discussion, au printemps. « Je me sens vraiment seule et je ne sais pas comment me faire des amies. » « Tout le monde veut des interactions sociales, mais on a peur. On sort tout de suite notre cellulaire pour ne pas avoir à parler. Mais dans les faits, tout le monde veut se parler. »

Ça s’entend dans la voix de Sonia Hudon : ces propos l’ont touchée. « Depuis la pandémie, c’est pire que pire, dit-elle. Les étudiants, pendant la pause, se réfugient dans leur cellulaire, parce qu’ils ne savent pas quoi faire. Il tombe parfois un silence total. »

Le fils de Sonia, Alex Bussing, est le programmeur web de Nomie. Il a 23 ans. « Quand on est au primaire, on connaît tout le monde, on est content d’aller à l’école, mais au cégep, ça devient un peu dur », dit Alex, qui souligne qu’au cégep, les élèves sont des adultes, mais ils sont encore bien jeunes.

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Sonia Hudon et son fils Alex Bussing

Il y a des étudiants qui n’ont pas de contacts avec les autres et ça peut mener à des échecs, des dépressions.

Alex Bussing, programmeur web de Nomie

Le taux d’abandons au cégep dépasse les 30 %, souligne Sonia Hudon. « C’est multifactoriel, mais c’est sûr que si tu n’as pas d’amis, ça ne te tente pas vraiment d’aller au cégep. »

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Camila Rosado Diaz, à gauche, et Exavie Bintona, au centre

Dans la classe, même si le jeu est terminé, Camila Rosado Diaz et Exavie Bintona continuent à discuter. Nomie leur a permis de se trouver des points en commun : elles préfèrent toutes deux la ville à la campagne. « Quand on vient d’un autre pays comme moi, on a plus de mal à se faire des amis », observe Exavie.

C’est l’heure de la pause, mais Exavie et Camila ont encore des choses à se raconter.

Consultez le site de Nomie

Nomie en bref

Nomie vient d’être commercialisée. À l’heure actuelle, cinq enseignants l’utilisent au Québec. De nouveaux jeux sont en développement. Sonia Hudon et son fils espèrent que l’application sera un jour utilisée dans tous les cégeps. « C’est sur que c’est nouveau, c’est un changement d’habitude, dit Sonia Hudon, mais les étudiants aiment ça. » L’abonnement annuel coûte 200 $ par année, par enseignant – un autre défi. « Le gouvernement a un plan d’action numérique, mais les cégeps n’ont pas de budget pour les outils numériques », souligne Sonia Hudon.