Une fois par mois, La Presse, inspirée par le Questionnaire de Socrate du magazine Philosophie, interroge une personnalité sur les grandes questions de la vie. Ce dimanche, l’auteur, comédien et codirecteur artistique du Nouveau Théâtre Expérimental, Alexis Martin (qui joue dans Les mecs sur ICI Tou.tv), répond à nos questions.

Qui suis-je ?

Un projet. Qui cherche à se dire.

Sommes-nous libres ?

Notre prison, c’est la langue : un labyrinthe dopé par des siècles de logorrhée.

Que retenez-vous de votre éducation ?

L’amour des mots. La méfiance envers les mots.

Un penseur/philosophe qui vous accompagne depuis un bon bout de temps ?

Georges Bataille. C’est pour moi (et bien d’autres !) un des penseurs français les plus importants et les plus originaux du XXsiècle. Il a, dans ses écrits, annoncé, supputé, lancé des réflexions sur notre rapport au Cosmos, au travail, à la Nature, à l’érotisme, au sacré qui sont aujourd’hui brûlantes d’actualité. Le Nouveau Théâtre Expérimental va d’ailleurs produire à l’automne, au théâtre Espace Libre, ma prochaine pièce Une conjuration. Elle met en scène le peintre André Masson et Georges Bataille. Il y est question du monde du travail et de son aliénation, de l’art, du fascisme, du nationalisme et du bavardage qui nous détourne de ce qui aveugle et vaut la peine d’être contemplé… Je joue dans la production aux côtés de Maxim Gaudette et Catherine de Léan, sous la direction du codirecteur du NTE, Daniel Brière.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Alexis Martin et Daniel Brière et sont codirecteurs artistiques du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE) à Montréal

La chose la plus surprenante que vous avez faite par amour ?

Escalader une façade pour atteindre un balcon, vêtu d’une combinaison en lycra fuchsia. Nous avions tous les deux 16 ans, il faisait chaud, une brise tiède balayait mon visage, comme une main attentive et aimante.

Votre démon ?

Le vin des nuits d’été me va bien. Celui des nuits sombres, des hivers glacés, me menace plus, m’inquiète.

Une belle mort, selon vous ?

Une puck dans le front un soir de finale de la Coupe Stanley au Centre Bell à Montréal.

Le lieu (ou l’état d’esprit) parfait ?

Le fleuve Saint-Laurent, dans tous ses états.

Une qualité que vous n’aurez jamais ?

La patience entêtante des ornithologues.

Un rêve (ou un cauchemar) récurrent ?

Les wagons du métro de Montréal n’ont plus de parois…

Qu’est-ce qui vous rend le plus fier dans votre carrière ?

Les rencontres avec des artistes baveux, surtout ceux qui avaient raison de l’être. Et il n’y en a pas beaucoup.

Quel autre métier auriez-vous voulu faire dans la vie ?

Journaliste politique, plus précisément correspondant à l’étranger, en Inde et en Asie du Sud-Est… J’ai une admiration sans bornes pour Neil Sheehan (1936-2021) du New York Times (A Bright Shining Lie ; The Pentagon Papers), par exemple. Il a couvert la guerre du Viêtnam. Il a fait partie de cette génération de reporters américains qui ont changé le journalisme à jamais, en arpentant les terrains, en prêtant une oreille sociologique ou documentaire aux parties engagées dans les conflits ; en osant réclamer pour le journalisme moderne un statut plus exigeant, pugnace, face aux pouvoirs.

Ce qui vous fâche dans la vie ?

Pourquoi n’a-t-on pas un plan national de lutte contre la pauvreté ? Pourquoi ne déclare-t-on pas la guerre à la pauvreté ? Comme celle (malheureusement empêchée par le Capital et la guerre au Viêtnam) du président Johnson aux États-Unis dans les années 1960 ? Il faut lire la biographie de l’auteur Robert Caro sur Lyndon B. Johnson (plus de 3000 pages en quatre volumes !). Il y a là beaucoup pour inspirer une nouvelle génération de politiciens.

Finissez la phrase : Si Dieu existe…

Je le mettrais en contact avec Claude Dubois.

Consultez la page de la pièce Une conjuration