Une fois par mois, La Presse, inspirée par le Questionnaire de Socrate du magazine Philosophie, interroge une personnalité sur les grandes questions de la vie. Ce dimanche, l’un des artistes les plus doués de la scène humoristique au Québec, André Sauvé, répond à nos questions.

Qui suis-je ?

Ah ! là, là ! En fait, le problème avec cette question, c’est qu’elle est toujours posée au singulier. Nous sommes faits de plusieurs compartiments qui parfois, entre eux, ne font pas toujours l’unanimité. Ainsi, une réponse à cette question peut très bien, en la transposant dans un contexte différent, en être l’opposé. Il vaut mieux se demander à soi-même : « Qui sommes-nous ? » Ce pluriel, bien que singulier, me semble plus juste.

Sommes-nous libres ?

Je crois profondément que nous sommes libres, mais pas selon l’idée que l’on s’en fait. On confond souvent la liberté avec l’affranchissement de toutes contraintes, ce qui, à la base, est un leurre. Je crois que nous sommes libres dans la manière de composer avec ces contraintes, dont la plus fondamentale est celle de la vie elle-même. Nous sommes contraints de naviguer sur un bateau que nous savons voué à couler, mais libre dans la façon dont on choisit de faire la croisière.

Que retenez-vous de votre éducation ?

Je dirais la permission. Nous étions cinq enfants à la maison et il n’y avait pas, de la part de mes parents, de limites quant au jeu ou au déconnage. Cette non-censure est sans aucun doute ce qui m’a permis, sur scène, de ne pas avoir à me battre pour incarner la folie. C’est une grande liberté de pouvoir exprimer cette folie. C’est peut-être même le meilleur antidote pour ne pas y sombrer.

Votre démon ?

L’impatience. Tout est toujours trop long. J’envie ceux qui sont patients pour l’apaisement que cette qualité semble apporter. Ma prière de tous les jours : Mon Dieu, donnez-moi de la patience… mais faites vite ! !

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

André Sauvé

Le lieu parfait pour créer ou rêver ?

La campagne, la nature. C’est, je crois, le seul environnement qui m’apaise et me réconcilie. Pour moi, créer nécessite ce retrait. J’écris principalement sur l’humain et pour cela, je dois m’en distancier. Si on veut peindre une montagne, on doit s’en éloigner.

Un avantage d’être égoïste ?

En fait, c’est un bon mobilisateur. Pour mener à terme un projet, il permet de rester centré, de garder le cap. L’ego est nécessaire. Il faut tout un ego pour monter sur scène et croire que ce que l’on y dit a le mérite d’être entendu par une salle entière. L’ego, donc, est un moteur. Le défi est de lui rappeler que dans la maison, il n’est pas le propriétaire, mais l’invité. Bonne chance !

Une qualité que vous n’aurez jamais ?

La maîtrise d’un instrument de musique. Toute l’acuité que mes oreilles ont pour apprécier la musique, mes doigts en sont totalement dépourvus pour la reproduire. Autant j’aime la musique et j’en ai besoin, autant je deviens manchot devant l’objet. Mon deuil : m’asseoir devant un piano et exprimer en sons ce que je ne parviens pas à traduire en mots. Ce sera pour une autre vie.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

André Sauvé

Un rêve (ou cauchemar) récurrent ?

Parfois, je raconte à quelqu’un, dans un rêve, le rêve précédent que je viens de faire. Puis, je réalise tout en racontant ce rêve que je suis encore dans un rêve. Et là, généralement, je me réveille en me demandant, pour quelques secondes, si je ne rêve pas d’être réveillé.

Quel autre métier auriez-vous voulu faire ?

Ce serait du côté des artisans. Ceux qui ont fait de leur vie la maîtrise d’une matière. Que ce soit le fer, le bois, la terre, le cuir, la pierre, le verre. Ceux qui, de cette matière, connaissent les qualités, les limites. Qui savent là où elle obéit, là où elle est réfractaire. J’ai toujours envié ces métiers manuels, traditionnels, et surtout l’ambiance d’un atelier. Luthier serait pas mal.

Ce qui vous indigne dans la vie ?

Le temps que nécessite l’acquisition du savoir. Que toutes les années pendant lesquelles s’accumule l’expérience, les capacités physiques que nous avons à l’appliquer suivent, quant à elles, une courbe inverse. En d’autres mots, quand on peut, on ne sait pas, et quand on sait, on ne peut plus. Hum… Par contre, de tous les âges que j’ai eus, celui que j’ai actuellement [58 ans] est de loin mon préféré ; la raison étant que les deux courbes me semblent à la croisée des chemins. Sachant que l’une poursuivra son ascension et l’autre, sa descente. Si j’avais un bouton pour arrêter le temps, ça serait maintenant. Mais bon…

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

André Sauvé

Complétez la phrase : si Dieu existe…

… gardez votre facture !