Le marché Jean-Talon change, mais des visages restent. Voici quatre personnages qui, par leur fidélité, leur authenticité et leur gentillesse, contribuent à faire le marché Jean-Talon.

Jacques et Patrick Rémillard

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Patrick Rémillard et son père Jacques, de la Ferme Jacques et Diane

Jacques Rémillard a 72 ans, mais derrière son étal débordant de légumes, il déploie l’énergie d’un jeune homme dans la force de l’âge.

En ce petit vendredi matin du mois d’octobre, un client n’attend pas l’autre au kiosque de la Ferme Jacques et Diane. Cristina Anton, d’origine roumaine, vient faire la provision de carottes et de livèche. Khadija Iran repart avec un bouquet de marjolaine pour faire le thé. Diane Cécil achète des légumes pour son bouilli, et Josée Lalancette, des variétés d’oignons qu’elle ne trouve pas ailleurs.

Ici, les clients font la file printemps, été et automne, attirés par la variété des légumes, par la générosité des portions, et par la gentillesse de Jacques, de sa femme Diane et de leur fils Patrick, 38 ans. « Chaque pays a ses légumes, dit Jacques, producteur maraîcher de Saint-Michel, en Montérégie. Quand les gens nous disent qu’ils aiment un légume, on essaie de le trouver. »

Au fil des décennies, en restant à l’écoute de sa clientèle, le trio a découvert (et fait connaître !) une variété de légumes, des tomates de toutes sortes au persil racine en passant par les artichauts de Jérusalem. Au passage de La Presse, c’était le festival des légumes-racines : navets blancs, jaunes et roses, rabioles, radis melon d’eau, radis mauves, carottes multicolores. Avec son petit couteau, Jacques faisait goûter aux clients.

Ce qui le passionne tant ? « Essayer quelque chose de nouveau », dit le septuagénaire au regard brillant. « Des cipollini, tu connais ça ? », demande Jacques, en nous tendant un sac de petits oignons italiens. Avec lui, impossible, mais impossible de repartir les mains vides.

Lino Birri

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Lino Birri, confondateur de Birri

Avec sa moustache blanche, ses yeux bleus perçants et son emblématique salopette verte, Lino Birri est un monument au marché Jean-Talon. Il dégage une joie de vivre (il sourit toujours), mais aussi une forme de sagesse, une autorité tranquille.

Voilà près de 50 ans que Lino et son grand frère Bruno se sont lancés en affaires au marché Jean-Talon en y vendant des légumes de qualité cultivés par des producteurs et des agriculteurs locaux. Et c’est depuis 1989 que leur entreprise, Birri, accueille les particuliers (et de nombreux restaurateurs) à son adresse actuelle.

Mais l’histoire des frères Birri au marché Jean-Talon a commencé encore plus tôt que cela, lorsque Lino avait 9 ans et Bruno, 10 ou 11. Pour aider à subvenir aux besoins de la famille, les frères Birri vendaient des légumes pour un producteur du marché. Ils vivaient à deux pas de là, dans un appartement de la rue Drolet. Le dimanche, lorsque les producteurs étaient retournés aux champs, le marché devenait leur terrain de jeu.

Lorsqu’ils ont ouvert leur propre commerce, les frères Birri se sont mis à offrir des produits qui plaisaient à leur clientèle italienne : de la bette à carde, de la roquette, des piments rouges, des fleurs de courgette… « La première fois qu’on a mis des aubergines sur le marché, quel scandale ! », raconte le souriant Lino Birri, qui a contribué à faire découvrir bien des légumes aux Québécois au fil des décennies.

Birri, c’est Lino et Bruno, bien sûr, mais ce sont aussi de fidèles employés qui reviennent année après année, portant fièrement la fameuse salopette verte. Le secret pour les garder ? « C’est d’être heureux dans ce qu’on fait, d’être bien à notre place », dit simplement Lino.

Isabelle Lacroix

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Isabelle Lacroix, propriétaire des Serres Louis-Philippe Lacroix

Pour les Lacroix, le marché Jean-Talon, c’est une affaire de famille.

Il y a eu Paul, le père, qui vendait sa production au marché Jean-Talon dès les années 1950. Aujourd’hui, non pas un, non pas deux, mais bien six de ses enfants ont repris la terre familiale du quartier Fabreville, à Laval. Et certains de leurs visages sont bien connus au marché Jean-Talon… dont celui d’Isabelle.

Isabelle Lacroix, c’est la souriante blonde qui vend des fleurs multicolores et des légumes de saison au kiosque des Serres Louis-Philippe Lacroix, fidèle au poste six jours par semaine, de mai à octobre.

« Dans les années 1970, je venais avec mon père, qui avait l’emplacement », raconte Isabelle Lacroix. À l’époque, dit-elle, le marché ouvrait trois jours par semaine. « On produisait surtout du maïs, et aussi des tomates, des choux. Un peu ce que les gens mangeaient à cette époque-là. La production a pas mal changé depuis. »

Isabelle et son frère Louis-Philippe sont connus pour leurs pots de fleurs (dont leurs jolis chrysanthèmes d’automne), leurs fines herbes en pot et leur variété de laitues en été.

Ça s’entend quand on lui parle : le marché Jean-Talon, Isabelle Lacroix le porte dans son cœur. « J’adore le marché Jean-Talon, résume-t-elle. L’atmosphère, les gens qui nous entourent, la clientèle. Regardez, je suis en congé aujourd’hui. Où suis-je ? Ici. »

Daniel Brais et Judith Canaff

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Judith Canaff et Daniel Brais, de la Ferme des Moissons

Avec sa veste noire et ses petites lunettes, Daniel Brais, 56 ans, pourrait très bien passer pour un employé de bureau. Il l’a d’ailleurs été pendant quelques années, après son baccalauréat en administration à HEC Montréal.

Mais l’appel de l’horticulture s’est fait sentir pour Daniel, qui a passé les étés de son enfance entre la ferme et le marché. À la fin de la vingtaine, tanné de travailler à l’intérieur, il a acheté la terre de ses parents, en Montérégie, avec sa femme Judith Canaff.

Leur entreprise, la Ferme des Moissons, se spécialise dans l’ail. Le couple récolte diverses variétés à partir de la mi-juin et jusqu’en septembre. « Un ail d’été va être plus doux, plus délicat. Un ail à collet dur va être plus robuste, plus costaud. Un ail qu’on appelle ail d’hiver — celui qu’on tresse – va être explosif en saveur et en souplesse », explique Daniel, qui parle de l’ail comme un sommelier parle du vin.

S’il existe aujourd’hui de grands producteurs d’ail au Québec, la Ferme des Moissons peut toujours compter sur sa fidèle clientèle, que Daniel Brais chérit.

« Le marché, c’est comme un petit village, dit-il. C’est la clientèle, c’est interagir avec les gens, c’est aimer et vanter nos produits. Et c’est aussi recevoir les compliments des gens qui sont contents. Avec les heures qu’on fait, si on n’a pas la passion, on va être malheureux. Il faut garder la passion. »