Ils vivaient pour la plupart chez leurs parents ; ils vivent aujourd’hui en communauté, dans une grande maison baignée de lumière, entourés d’éducateurs et de préposés passionnés. Un an jour pour jour après son ouverture, la Maison Véro & Louis, un milieu de vie pour les adultes autistes, a ouvert ses portes à La Presse. Récit de cette journée.
6 h 45
Il est 6 h 45 et le calme règne dans la Maison Véro & Louis, à Varennes, sur la Rive-Sud de Montréal. Le soleil du matin se diffuse doucement dans la grande salle à manger, où Alexandre Robert prépare son lunch pour l’école. Les surveillants de nuit terminent leur ménage. La nuit a été tranquille. Soudain, Marie-France Quintin, 31 ans, surgit dans le passage, en pyjama. « Qu’est-ce que je mets, Caroline ? », demande-t-elle. « Des pantalons trois quarts avec une veste », lui suggère la préposée Caroline Viola. Marie-France acquiesce et remonte à l’étage, où sont situées sa chambre et celles des 15 autres résidants.
7 h 30
Voilà exactement un an que la Maison Véro & Louis a ouvert, offrant un service qui n’existait pas avant : une maison permanente pour les adultes autistes, où ils sont non seulement hébergés, mais aussi soutenus dans leurs apprentissages et le développement de leur potentiel.
8 h 20
En semaine, une partie des « colocs » ont des activités à l’extérieur. Trois vont à l’école (comme Alexandra, sur la photo), trois autres vont dans des centres d’activité de jour et deux travaillent. Marie-France emballe des bonbons dans une manufacture de Boucherville et Alexandre Legault travaille pour un fabricant de produits nettoyants. Comme ils ont du soutien, leur travail est bénévole.
Aujourd’hui, c’est jour de congé pour Marie-France, qui fait son lavage tous les mercredis matin. Après avoir aidé deux résidants moins autonomes à se doucher, Caroline Viola vient voir si tout se passe bien avec elle. Marie-France lui récite son horaire des prochains jours. « Jeudi, je travaille. Vendredi, je vais chez la coiffeuse et au McDo avec papa. Aujourd’hui, papa arrive à 3 h pour venir marcher. Qui va lui ouvrir la porte ? » « Chacun a ses particularités. On les décode », confie Caroline, qui souligne que Marie-France est « chronométrée à la minute ».
« Depuis le début, on a tout inventé. On a essayé beaucoup de choses, on s’est réajustés, on s’est habitués », dit la préposée Annie Philippe.
9 h
L’éducateur Stéphane Dagenais accueille les résidants qui passeront la journée à la Maison dans la salle d’activité. À l’aide de photos, il leur explique la programmation de la journée. L’imprévisibilité est un facteur de stress important pour les autistes. « On fait quoi, après la collation ? », leur demande Stéphane. « Se reposer ! », lance le grand Olivier Rolland, qui a visiblement besoin de sommeil ce matin. En septembre, quelques adultes autistes de l’extérieur se joindront à eux pendant la journée pour profiter de la programmation éducative. Des projets d’agrandissement sont déjà sur la table.
13 h
Après le dîner, le groupe marche en direction du Centre jardin Varennes, à 500 m. François (nom fictif pour préserver son anonymat), le résidant qui clôt la file, est plus lent : il essaie de chasser du trottoir le moindre caillou qu’il croise. Avant de venir vivre à la Maison Véro & Louis, François résidait depuis 10 ans dans une résidence à assistance continue (RAC), un hébergement de transition pour stabiliser les usagers. Il n’avait pourtant plus de trouble de comportement. Il passait ses journées à se balancer. « Aujourd’hui, il fait des cours de Zumba, communique avec la cuisinière avec des pictogrammes, se déguise à l’Halloween… N’est-ce pas un grand succès ? », demande Katty Taillon, directrice générale de la Fondation Véro & Louis.
16 h
En fin d’après-midi, Olivier a droit à une super sortie : une balade dans la décapotable de l’éducatrice Johanne Choquet. En collaboration avec des chercheurs en psychoéducation de l’Université de Sherbrooke, l’équipe pilote un projet de soutien aux comportements positifs. Lorsqu’ils présentent les comportements attendus, les résidants reçoivent des billes et des coupons qui leur permettent de s’offrir des cadeaux et des sorties spéciales.
La Fondation Véro & Louis a déboursé 6,7 millions pour construire la maison. Les coûts d’exploitation s’élèvent à 2 millions par année, assumés en bonne partie par le ministère de la Santé et des Service sociaux. La Fondation souhaite voir apparaître d’autres maisons du genre, avec l’aide de partenaires financiers locaux et avec un soutien accru de l’État. En avons-nous collectivement les moyens ? Katty Taillon, de la Fondation, nous renvoie à une autre question. « Combien ça coûte de ne pas faire des maisons ? Combien ça coûte, les hospitalisations parce que les gens se désorganisent, les parents qui arrêtent de travailler ou qui tombent en dépression ? »
17 h 15
La Maison compte deux salles à manger, celle du fond étant réservée aux résidants plus sensibles au bruit et à ceux qui ont des restrictions alimentaires. La cuisinière Myriam Lapointe connaît les goûts et les particularités de ses clients par cœur. L’une mange moins de féculents, l’autre déteste lorsque les aliments se touchent dans l’assiette… « Ils n’ont jamais rien à redire contre la nourriture, dit-elle. Jamais, jamais. »
20 h
C’est l’heure de la routine du soir. Certains colocs ont besoin de beaucoup de soutien, d’autres sont indépendants. Johanne Choquet rase Alexandre, une opération que cette bachelière en travail social n’avait jamais faite avant de travailler ici. « J’ai assez peur de te faire mal ! », dit-elle à un Alexandre ricaneur, qui, lui, n’a pas peur de tout.
21 h
Après avoir écouté les dessins animés à la télévision et fait un casse-tête, Luce fait jouer la musique d’Alexandra Stréliski et ferme doucement la porte. « Bonne nuit, faites de beaux rêves », dit Luce, qui a attendu 12 ans sur la liste d’attente avant de trouver un hébergement. « Quand j’ai commencé à travailler ici, je me suis sentie triste, confie Johanne Choquet. Triste pour tous ceux qui n’ont pas la chance de vivre ici, dans un milieu comme celui-ci. »