Ce pourrait être un salon. Ou peut-être un café. Ici, un canapé. Là, une terrasse ensoleillée. Le hall d’entrée d’un hôtel, peut-être ? Un spa ? Mais où diable sommes-nous ?
Dans un bureau ! Repensé, tout simplement. Post-pandémie oblige, de nombreuses boîtes ont en effet réimaginé, rénové, voire littéralement reconstruit leurs locaux. Objectif : répondre aux besoins des travailleurs désormais hybrides d’aujourd’hui, et surtout de demain.
Tranquillement, depuis quelques semaines – et dans les mois à venir –, les travailleurs reviennent. Finis, les cubicules fermés, attitrés. Place aux grandes aires ouvertes, aux petits salons privés ou aux vastes salles de réunion multifonctions, bols de fruits inclus. Sans oublier tous ces fauteuils colorés, ces plantes et autres espaces illuminés pour des rencontres qu’on souhaite spontanées. Et incarnées.
Un milieu de vie
À l’agence de publicité lg2, une magnifique machine à café trône à la réception. Pour cause : le réceptionniste est également barista.
Ça ne s’invente pas. À l’étage du nouveau siège social de la rue Molson, outre les différents salons et la vaste salle à manger, on trouve en prime une salle silencieuse, qui ressemble à s’y méprendre aux salles de relaxation de votre spa préféré. Pensez divans confortables, gros coussins et vue imprenable. Ah oui, même le diffuseur d’huiles essentielles semble ici étrangement à sa place.
Il faut dire que la pandémie a forcé l’agence à complètement revoir ses plans. « On a jeté nos plans initiaux ! », confie même Marc Fortin, associé et chef du produit. Pas le choix : le télétravail, aussi brutal fût-il, a été drôlement efficace. Et évidemment apprécié par bon nombre d’employés. « Il n’était pas envisageable d’obliger nos employés à revenir », dit-il. D’où le questionnement :
Pourquoi les gens vont-ils revenir ? Pas parce qu’ils sont obligés, mais parce qu’ils en ont envie. Et besoin. Comment, nous, on crée un espace qui répond à ce besoin ?
Marc Fortin, associé et chef du produit, lg2 Montréal
La réponse : le bureau, désormais, est moins un espace fonctionnel qu’un « milieu de vie ». Avec divers lieux pour permettre autant de tâches variées : rencontres hybrides, remue-méninges ou bon vieux travail en solo. Sans oublier les 5 à 7…
« Moi, j’habite proche, j’aime venir ici, je me sens plus efficace, mais ce n’est pas vrai pour tout le monde, poursuit Marc Fortin. Ça varie d’une personne à l’autre, et c’est ça, notre modèle hybride ! »
Comme pour la plupart des bureaux du genre, les débuts et fins de semaine sont plus tranquilles (avec 15 à 25 % en présentiel), avec un pic notable les jeudis (parfois jusqu’à 60 % du personnel s’y pointe), tout particulièrement quand il y a un évènement (une formation, l’accueil de nouveaux employés ou évidemment un 5 à 7).
« Moi, je suis la fille qui ne se rend vraiment pas souvent au bureau », indique Martina Djogo, directrice de contenu chez lg2 et mère de deux jeunes enfants, croisée un vendredi matin effectivement bien tranquille. « Pourtant, les relations avec les gens, c’est vraiment important, ça contribue à ton bien-être. Alors je m’impose de venir deux fois. Même si ça me complique la vie, ça m’apporte beaucoup. Je suis moins dans le travail, travail, travail… »
Scénario semblable à l’agence de relations publiques Tact Intelligence-conseil, qui a agrandi ses espaces de la rue McGill en fonction de cette fameuse « nouvelle réalité ». Désormais : moins de bureaux fermés, mais plutôt plusieurs grandes salles de réunion, des banquettes et des cubicules pour un brin de confidentialité, sans oublier la belle cuisine (et la terrasse ensoleillée l’été !) pour se rassembler. Le tout offert, à nouveau, sans obligation, dans une optique de flexibilité.
« Et de liberté », glisse Manon Genest, fondatrice et directrice générale du bureau de Montréal.
Nous, on permet aussi aux employés de travailler de l’étranger. L’idée, c’est de donner plus d’espace pour que le travail ne définisse pas toute ta vie. Offrir une relation différente avec le travail.
Manon Genest, fondatrice et directrice générale du bureau de Montréal de Tact Intelligence-conseil
Tendance bien-être
Parlant de « relation différente », à l’agence Tank Worldwide (qui compte, tenez-vous bien, parmi ses employés une VP bien-être, en vacances lors de notre passage !), sise au cœur de la Cité du multimédia, on a également profité de la pandémie pour complètement repenser la disposition, la fonction, et surtout le design de l’espace intérieur. Oubliez les bureaux cordés. Ici, désormais, le cœur de l’espace est occupé par un gros bar rose et bleu en forme de fleur. Objectif : des rencontres, des dîners et encore des 5 à 7.
« On veut que les gens viennent ici parce qu’ils en ont envie, et non parce qu’ils y sont obligés, indique Jill Mastroianni, cheffe marketing de l’agence. Il faut que ce soit excitant ! »
Ici aussi, la pandémie a démontré que les employés pouvaient être tout aussi efficaces de leur sous-sol, leur chalet ou leur bureau.
Oui, c’est un gros changement. […] Mais tout le monde le vit. […] C’est comme ça, ça va rester. […] On ne retournera pas en arrière, mais on avance de l’avant !
Jill Mastroianni, cheffe marketing de l’agence Tank Worldwide
Le designer Jean-Pierre Viau confirme avoir voulu proposer un lieu de travail « joyeux », sorte de « camouflage de vacances », couleurs pastel à l’appui. Pour donner aux employés le goût de « flâner », plutôt que de « puncher », quoi. « Un endroit où l’on sent moins la pression, les horaires, ou le 9 à 5. »
Cette tendance « bien-être » se confirme d’ailleurs partout. Sur le blogue d’Ivanhoé Cambridge, propriétaire de bon nombre de tours de bureaux au pays (dont Place Ville Marie), on précise aussi vouloir favoriser « l’épanouissement de la main-d’œuvre ». Concrètement, explique François Lacoursière, vice-président principal, Innovation, « l’idée, c’est de penser à l’individu : qu’est-ce qui lui convient le mieux ? », que ce soit comme employé (des espaces confortables, éclairés ?), mais aussi comme personne (une offre gastronomique, peut-être ?). « Si les gens quittent le bureau et qu’ils sont vidés, on n’aura pas réussi. Idéalement, il faut que ce soit énergisant. »
Et en pratique ?
Tout cela est fascinant en théorie, mais en pratique, ces espaces hybrides et multifonctions vont-ils vraiment changer nos vies ? En un mot, le bonheur est-il dans le bureau pastel ?
Le gain principal, c’est le télétravail, c’est ça qui est nouveau. Beaucoup plus qu’un décor différent. Les entreprises ont toujours changé leur décor. […] L’objectif, c’est que les employés soient plus productifs !
Diane-Gabrielle Tremblay, sociologue, spécialiste en gestion des ressources humaines et professeure à la TELUQ
Aujourd’hui, si 40 % de tous les travailleurs peuvent théoriquement travailler à la fois de chez eux ou en présentiel, « on pourrait imaginer que ce modèle hybride va être la norme, croit-elle. C’est une tendance lourde, parce que les salariés le veulent, et avec la pénurie de main-d’œuvre, ils peuvent se déplacer ! » (lire : aller voir ailleurs si les bureaux sont plus verts).
De là à dire que nous serons collectivement tous plus heureux dans ce nouveau monde hybride, il y a un pas. Et plusieurs questions en suspens.
« La grande question, c’est la confiance, avance la chercheuse. Le harcèlement administratif n’est pas terminé. Oui, pour plusieurs, ce sera une manière d’être plus heureux, grâce à cette flexibilité qui est la demande numéro un de tous les salariés. Mais des gestionnaires restent des gestionnaires. Certains sont très bien, d’autres… plus contrôlants. »
Guide de survie pour récalcitrants
Vous étiez très bien chez vous, et le projet hybride vous préoccupe ? C’est fort possible. L’humain, on le sait, n’aime pas trop le changement. Quelques conseils pour vous guider dans cette « nouvelle normalité » de la part de Nicolas Chevrier, psychologue du travail et des organisations, directeur clinique chez Séquoia.
Acceptez l’inconfort
C’est inévitable. Il y aura quelques malaises, des éléments légèrement irritants, qu’ils soient physiques, humains, organisationnels. Et, forcément, des accrocs. Peut-être serez-vous fatigués par les déplacements renouvelés, ce portable et tous ces documents à traîner, et la nouvelle routine à apprivoiser. « Un peu comme un premier jour d’école, résume l’expert. Il faut s’attendre à un certain inconfort. […] Mais comme on est des êtres humains, on va s’adapter, et c’est ça, l’important ! »
Anticipez la nouveauté
Outre l’inconfort, il faut aussi s’attendre à des changements. Non, vos bureaux ne seront pas tels que vous les avez laissés. Il y aura sans doute de nouveaux visages. Des nouveaux codes de sécurité à mémoriser. Et de nouveaux codes de vie tout court à adopter. Les journées ne se dérouleront pas exactement comme avant. Révisez vos « attentes », conseille le psychologue. « Il ne faut pas croire que ce sera du pareil au même. »
Révisez vos attentes, bis
Dans un article éclairant publié dernièrement dans le Washington Post (« Hating Hybrid Work ? Here’s How to Make It Less Painful »), on conseille en outre aux travailleurs de réduire leurs attentes en matière de… travail. Fini le temps où l’on passait allègrement d’un Zoom à l’autre, des journées complètes. Place aux rencontres en chair et en os, avec une certaine efficacité perdue, certes, mais la synergie retrouvée. Pensez-y. (Et n’oubliez pas de prendre des pauses, aussi !)
Lisez l’article du Washington Post (en anglais)Osez le dire
Vous n’êtes pas seul à devoir vous adapter. Toute votre organisation aussi. Alors si ça coince quelque part, dites-le. « Il ne faut pas se gêner pour donner du feedback, reprend Nicolas Chevrier, et partir de l’idée que nos organisations veulent que ça marche ! »
Appréciez vos collègues
Vous ne les avez pas vraiment vus (hormis en gros plan sur un écran) pendant plus de deux ans, c’est le moment de rattraper le temps perdu. Et de reconnecter au passage. En dînant ou en vous entraînant ensemble, au choix. « Les contacts sociaux sont importants pour se sentir plus engagés dans une organisation ! » Et c’est ça, la vie, aussi.
Organisez-vous
Ce ne sera pas forcément évident, mais dans la mesure du possible, ne prévoyez pas (que) des rencontres virtuelles durant vos journées en présentiel. Misez plutôt sur la collaboration, les échanges et les autres travaux de groupe. Question, bien évidemment, de tirer le maximum de cette « hybridité ». Et faites-vous confiance. La pandémie l’a démontré : « Ne sous-estimez pas ici vos capacités d’adaptation, conclut le psychologue. On a les capacités pour retrouver le bonheur et l’équilibre à travers tout ça. »
Qu’en pensent-ils ?
Ils ont adopté ce nouveau mode de vie. Voici ce qu’ils en disent.
Qualité de vie
Je viens une semaine sur deux parce que j’ai ma fille une semaine sur deux. Je peux aller chercher ma fille à 15 h 30. […] Ça me permet cette qualité de vie là : moins de temps dans les transports, plus de flexibilité, je peux faire du yoga à 10 h le matin et c’est OK, j’ai une qualité de vie dans mon quartier, je suis présente pour les journées pédagogiques, j’assure une présence à la maison et j’ai l’opportunité de connecter avec des collègues.
Josée Daoust, directrice principale, expérience employée, chez Tank Worldwide
Liberté
C’est un gros changement de vie du côté plus personnel. Le fait d’être à la maison, d’avoir une vie familiale, et le mariage de ces deux vies se fait quand même bien. Je viens au bureau deux jours, pour les interactions avec les gens, et j’apprécie aussi mes 15 minutes d’auto tranquille tout seul ! […] Oui, c’est un peu de planification, mais pour plus de liberté. Toutes mes affaires rentrent dans mon sac à dos, à la maison aussi je n’ai pas vraiment de bureau. […] Avant, on avait plein de magazines, aujourd’hui, tout est numérique. Ça rend le travail hybride beaucoup plus accessible.
Marty Martinez, chef de la création chez Tank Worldwide
Conciliation
Pendant la pandémie, j’ai découvert le travail à la maison. Ça n’était pas dans ma culture. Mais j’ai découvert à quel point c’est efficace : les plus grosses journées, je suis déjà à la maison, je n’ai pas besoin de partir en rush du bureau. […] Je peux faire une petite brassée de lavage le mercredi. […] Parfois, le lundi matin, je reste à la maison, si ç’a été tough et qu’on n’a pas eu une bonne nuit. Ça enlève vraiment de la pression. […] Et puis ici, c’est rendu un milieu de vie plus qu’un bureau. Ça me donne une vie sociale, voir les collègues !
Pascale Gagnon, directrice chez Tact conseil (et sa chienne Bertha)
Bien-être
J’ai deux jeunes enfants. […] Et je suis revenue de congé de maternité en télétravail, super stressée. Comment une agence, où tout le monde se réunit, peut fonctionner à distance ? Finalement, ça marche vraiment bien et ça facilite vraiment la vie. Surtout pour les gens qui ont des enfants, c’est vraiment plus facile. […] Pourtant les relations avec les gens, c’est vraiment important, ça contribue à ton bien-être. Alors moi, je m’impose de venir au bureau.
Martina Djogo, directrice de contenu chez lg2