Elles proviennent de différents horizons. Elles sont touchantes, fortes et sensibles. Impliquées dans leur communauté et dévouées pour leurs proches. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, voici quatre portraits de femmes inspirantes dans la vie de tous les jours.

Savita Taheem

« Je suis fière de moi »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Depuis 2017, Savita Taheem travaille pour l’organisme Afrique au féminin, un centre de femmes situé dans Parc-Extension. D’abord à temps partiel, elle occupe maintenant cet emploi à temps plein.

Quand les femmes du quartier Parc-Extension ont besoin de se faire traduire un document en hindi, en ourdou ou en pendjabi, elles vont voir Savita Taheem. Arrivée à Montréal avec son mari, ses deux enfants, quelques mots d’anglais et aucune connaissance du français, elle parle aujourd’hui cinq langues. Celle qui a été tour à tour mère au foyer, étudiante et bénévole occupe aujourd’hui son premier emploi à temps plein.

Savita Taheem nous accueille dans les bureaux d’Afrique au féminin, un organisme créé par des femmes africaines qui soutient les immigrantes de toutes les origines. À son arrivée au Québec en 2009, celle qui a quitté la ruralité du Pendjab, en Inde, pour se réfugier au Canada, a trouvé chez Afrique au féminin une place en garderie pour son cadet, alors âgé de 2 ans. Aujourd’hui, après quelques détours, elle y travaille maintenant à temps plein en portant diverses casquettes : organisatrice d’activités socioculturelles, traductrice et conseillère.

Quand nous sommes arrivés ici, mon plus vieux a commencé l’école. Moi, j’ai commencé l’école de français. J’ai étudié pendant trois ans. C’était difficile, mais je voulais le faire. Mon mari ne parle pas français. Seulement anglais et pendjabi.

Savita Taheem

Ses nouvelles compétences l’ont amenée à faire du bénévolat à l’école primaire Barclay que fréquentait son fils. « Je faisais la traduction, en pendjabi, pour les parents qui ne parlaient pas français. J’ai fait ça jusqu’en 2018. J’ai tous les certificats de la CSDM. »

Savita Taheem nous tend fièrement un cahier à anneaux blanc à couverture rigide dans lequel on retrouve les documents, glissés individuellement dans une pochette protectrice en plastique, qui retracent son parcours depuis son arrivée au Québec. Il y a ses certificats de bénévolat, délivrés par le centre de services scolaire de Montréal, mais aussi ceux de ses cours de français et d’anglais et un dépliant d’une école qui offre un cours de secrétariat où elle a étudié brièvement. La conciliation études-famille était difficile. « La prof avait déjà fait trois modules et je n’avais même pas fait mon devoir. Il fallait faire à manger, les devoirs avec les enfants… Après une semaine, j’ai dit non. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Savita Taheem

Elle qui ne travaillait pas en Inde est restée à la maison jusqu’à ce que son plus jeune ait 10 ans. « Je n’ai pas travaillé avant pour donner du temps à mes enfants. Quand ils reviennent à la maison après l’école, tout de suite on mange, et après, c’est moi qui faisais les devoirs avec eux. Deux heures chaque jour. Maintenant, ils étudient par eux-mêmes. » Âgé de 20 ans, l’aîné étudie en finances au cégep. Elle n’est pas pressée de le voir partir, répond son sourire lorsqu’on lui demande s’il vit encore à la maison. Quant au cadet, il a 15 ans et est à l’école secondaire.

N’empêche, le confinement a été dur.

Pendant deux mois, je suis restée à la maison. Tous les jours, je parlais au téléphone avec les femmes. C’était un moment difficile. Mais il y a du positif aussi. Ne pas aller au travail, à l’école, nous a permis de rester ensemble. Beaucoup de chicane aussi et beaucoup de cuisine ! Mais, on s’adapte. C’est la même chose pour tout le monde.

Savita Taheem

Elle a vu l’effet de la pandémie sur les femmes qu’elle côtoie. La clientèle de la banque alimentaire exploitée par son organisme a doublé dans les premiers mois. Et il y a eu l’isolement et la violence conjugale, encore très présents.

« Il y a beaucoup de détresse. Quand j’ai commencé mon travail, j’ai pleuré aussi. Tout le temps. Quand elles pleuraient, je pleurais. Madame Rose [sa patronne] m’a dit : ce n’est pas ton job de pleurer. Il faut écouter et apporter des solutions. Maintenant, je suis forte ! »

Elle a beaucoup appris depuis son premier porte-à-porte pour rejoindre les femmes du quartier. « J’ai vécu beaucoup de choses, positives, négatives. Mais je suis fière de moi aussi. Maintenant, mes enfants ont grandi, ils étudient, prennent de bonnes décisions pour eux-mêmes. » Et près de 235 femmes sont membres du groupe d’entraide qu’elle a créé sur WhatsApp.

Sabine Steis

Vivre au rythme de sa mère

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Sabine Steis est proche aidante pour sa mère, Helga Stüwe-Steis, 87 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer.

Deux étages séparent l’appartement de Sabine Steis de celui de sa mère. Il y a 10 ans, Helga Stüwe-Steis a reçu un diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Proche aidante depuis, malmenée par la pandémie, sa fille a réduit la distance qui les séparait en déménageant dans sa résidence pour personnes âgées autonomes. « Pour les années qu’il lui reste, je veux lui donner une belle qualité de vie. »

Depuis 10 ans, le quotidien de Sabine Steis est intrinsèquement lié à celui de sa mère de 87 ans. Son bonheur aussi. « Ce que je trouve difficile, c’est que son quotidien m’appartient, confie-t-elle. J’ai son quotidien entre les mains. Ce qui me rend heureuse, c’est quand ma mère est heureuse. Si elle n’est pas bien, je trouve ça difficile. La tristesse ressort. »

Comme souvent avec l’alzheimer, la maladie s’est d’abord manifestée par de petits oublis et des Post-it collés en guise de rappel. Inquiètes pour la sécurité de leur mère, qui vivait seule depuis le décès de leur père, Sabine Steis et ses sœurs lui ont trouvé un appartement dans une résidence où elle vit depuis avec son inséparable chat. Pendant des années, la femme de 65 ans visitait sa mère deux ou trois fois par semaine et l’appelait quotidiennement, plusieurs fois par jour, pour lui rappeler de se doucher, de changer ses vêtements et d’aller manger, puisque sa perte de la mémoire à court terme nuit à son autonomie.

Puis la pandémie est arrivée. Avec l’interdiction des visites dans les résidences pour personnes âgées, Sabine Steis s’est retrouvée à devoir assister sa mère à distance. « Je l’appelais pour qu’elle descende le recyclage au sous-sol et je la rappelais 10 minutes plus tard pour savoir si c’était fait. Je l’appelais à 12 h 25 pour lui dire de descendre dîner et de ne pas oublier son masque. Elle oubliait son masque. Tout ce que je fais maintenant, je le faisais par téléphone. Et comme elle entend mal, c’était difficile pour moi émotivement. Pour elle aussi. » S’est ajoutée à cela la peur qu’elle attrape la COVID-19 et celle qu’elle se blesse et doive se rendre à l’hôpital.

Même si les portes de la résidence se sont plus tard rouvertes aux visiteurs, elle a décidé d’y déménager ses pénates pour être en mesure d’assister sa mère au quotidien, de l’amener à la salle à manger, de lui sortir des vêtements propres. Sans elle, sa mère ne pourrait pas vivre dans une résidence pour personnes autonomes.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Helga Stüwe-Steis et sa fille Sabine ont une grande complicité.

Tout le monde me dit : “Mon Dieu, tu es fine avec ta mère.” C’est ma mère. Je voudrais être soignée comme je la soigne. Elle a vécu la misère, la guerre. Mes parents ont travaillé fort toute leur vie. Elle mérite d’être bien.

Sabine Steis

« On n’est pas toujours collées ensemble », précise Helga Stüwe-Steis, qui nous a reçus dans son appartement d’où on aperçoit le mont Royal au loin. Celle qui a grandi en Allemagne et a vécu la Seconde Guerre mondiale avant d’aller rejoindre un soldat français de qui elle était tombée amoureuse prend plaisir à raconter ce coup de foudre. « Mon beau parachutiste », répétera-t-elle à maintes reprises. Leur amour aura duré 50 ans, jusqu’à son décès. « Il serait heureux de voir notre famille aujourd’hui », dit-elle à sa fille.

Au fil des ans, Mme Steis a dû faire le deuil de la femme qu’elle avait connue. Une femme curieuse, cultivée qui a même écrit un livre sur sa vie à Berlin. « Des fois, elle me serre dans ses bras, je reviens dans mon appartement et j’ai le cœur gros. Je me dis : “Qu’est-ce qu’elle est devenue ?” La seule chose que je ne pourrai pas supporter, mais je n’aurai pas le choix non plus, c’est quand elle ne nous reconnaîtra plus. Je ne veux pas que ça arrive. Ça va être difficile de passer à travers de ça. »

Lors de notre premier contact, téléphonique, Sabine Steis était en Floride, en visite chez une amie. De premières vacances depuis longtemps pour elle, qui a pu compter sur sa sœur pour prendre le relais auprès de sa mère. « Je ne pourrais pas partir un mois, je serais trop inquiète. » Sa mère, elle, n’y a vu que du feu. « Quand je suis revenue, elle m’a dit : “Tu as bien un beau chandail !” »

Aïcha El Amri

Le don du temps

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Aïcha El Amri, bénévole dans trois organismes de Côte-des-Neiges

Pendant la pandémie, La Presse s’est rendue à deux reprises dans les locaux de la cafétéria communautaire Multicaf, dans le quartier Côte-des-Neiges. Chaque fois, la bénévole Aïcha El Amri était là, de bonne humeur, souriante derrière son masque, à préparer des sacs de denrées ou à éplucher des légumes.

Nous avons voulu en savoir plus sur elle. Qui est Aïcha El Amri ?

Assise dans un minuscule bureau de l’organisme Multicaf, Aïcha accueille notre question avec ces yeux rieurs qui la caractérise.

« Je suis une maman de deux enfants, un garçon et une fille, 16 ans et 14 ans », dit-elle d’emblée. On le comprendra rapidement : son rôle de mère est celui qui la rend le plus fière, celui qui surpasse tous les autres, SA priorité.

D’origine marocaine, arrivée au Canada en 2005 à l’âge de 19 ans, Aïcha a eu ses enfants jeune. « C’est bien. On dirait qu’on a grandi ensemble ! dit-elle en riant. On en a bien profité. On a joué, on a fait des activités, des sorties… » Elle les a gardés à la maison jusqu’à ce qu’ils entrent à l’école.

Dès lors, Aïcha s’est retrouvée avec du temps libre dans la journée. Elle s’est inscrite à des cours pour améliorer son français. Et lorsque l’enseignante à l’école avait besoin d’aide pour des sorties et des activités, elle répondait présente. « On a tous besoin de sortir de la maison, de faire de nouveaux contacts, de s’intégrer, aussi », dit la résidante de Côte-des-Neiges.

Puis, en 2015, Aïcha a commencé à faire la distribution alimentaire organisée une fois par semaine par l’organisme SIARI. Elle a aussi donné un coup de main pour d’autres activités, comme la distribution de fournitures scolaires et de paniers de Noël. « Je me suis fait connaître d’autres organismes du quartier, et j’ai noué des amitiés », dit Aïcha, qui donne du temps à trois organismes tout en travaillant quelques heures pour le SIARI.

La priorité : aider

Pendant la COVID-19, les besoins étaient énormes dans Côte-des-Neiges. Aïcha a beaucoup travaillé. Il lui est arrivé de revenir à la maison après le retour de l’école de ses enfants, ce qui n’est pas dans ses habitudes.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Pendant la pandémie, Aïcha El Amri a beaucoup travaillé, comme lors du passage de La Presse en avril 2020.

C’était comme une responsabilité. Notre frigo était rempli, le repas était préparé, mon mari était avec les enfants. Et il y avait d’autres personnes qui attendaient leurs repas congelés, leurs fruits, leurs légumes… Selon mes calculs, la priorité, c’était d’aider les gens.

Aïcha El Amri

Aïcha en convient : son horaire est celui d’une femme qui travaille à temps plein. On lui fait valoir que, toutes ces heures de bénévolat, elle pourrait aussi les consacrer à un travail rémunéré.

« C’est ce que se dit mon fils en faisant le calcul ! dit Aïcha en riant. En fait, c’est un plaisir pour moi. Oui, on fait du bénévolat pour aider les autres, mais en réalité, ça nous aide aussi nous-mêmes. Ça me fait du bien. Je me sens connectée à moi-même, à mes valeurs. » Elle n’a pas vu sa famille du Maroc depuis cinq ans à cause de la pandémie, « mais ma famille, je la vois chaque jour », dit-elle.

Sa fille de 14 ans, Fatima, a commencé à faire du bénévolat à l’école, ce qui rend sa mère très fière. Fatima a confié à Aïcha qu’elle aimerait un jour aller aider dans des pays où il y a des crises humanitaires.

C’est bien, lui a dit Aïcha, mais le bénévolat, c’est aussi simple. Pas besoin d’aller au bout du monde ni même de donner des heures à des organismes du quartier. « C’est sourire au voisin, tenir la porte à une personne qui veut rentrer, être gentille avec tes copines, respecter ton professeur… Les petits gestes ont une grande valeur. »

Corinne Assaf

« Je suis forte pour mes enfants »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Corinne Assaf et sa fille Emma-Rose Akl, 6 ans

Sur le palier de l’escalier menant au deuxième étage, Emma-Rose Akl, 6 ans, vient dire bonjour. C’est sa maman qui le lui a demandé. La petite s’exécute, un sourire espiègle aux lèvres, avant de remonter l’escalier en vitesse pour retourner à ses occupations.

« Aujourd’hui, elle va bien », fait remarquer sa mère, Corinne Assaf, en s’installant sur le sofa, masquée, à 2 m de la représentante de La Presse, mais prête à nous raconter son histoire.

La famille de Laval ne prend aucun risque. Si Emma-Rose attrape le moindre rhume, c’est l’hospitalisation.

Un défi énorme

Corinne Assaf, 42 ans, est mère de trois enfants de 13, 11 et 6 ans. Elle est aussi directrice dans un établissement bancaire. Comme bien des mamans, et comme bien des gestionnaires, elle a pédalé fort pendant la pandémie pour maintenir un semblant de normalité autour d’elle.

Corinne en avait déjà beaucoup sur les épaules, donc, quand un autre défi – énorme – s’est présenté sur la route de la famille Akl-Assaf.

L’été dernier, Emma-Rose a commencé à se plaindre de douleurs au dos. Corinne a consulté deux fois la pédiatre de ses enfants, mais cette dernière n’y voyait rien d’alarmant. « Quand elle a commencé l’école, elle n’arrivait pas à marcher lorsqu’elle revenait à la maison », se souvient sa mère.

Déterminés à comprendre ce qui se passait avec Emma-Rose, d’ordinaire si joyeuse et si énergique, ses parents l’ont conduite à deux reprises aux urgences, en septembre. La deuxième fois, les médecins de l’Hôpital de Montréal pour enfants l’ont hospitalisée pour pousser les analyses.

Le diagnostic est tombé six jours plus tard : Emma-Rose est atteinte d’une leucémie. Pour la famille, ç’a été le choc.

Je me suis tellement sentie impuissante. Malgré toute ma volonté, je n’ai pas pu la protéger…

Corinne Assaf

Onze jours plus tard, le père de Corinne s’est éteint. Un deuxième choc. « Je n’ai pas encore eu le temps de faire ce deuil, dit-elle. Ma priorité, c’était ma fille. Plus rien n’existait à part mes enfants. »

Le premier mois, passé à l’hôpital, les parents d’Emma-Rose se sont relayés à son chevet durant la journée. Mais la nuit, c’est sa maman que la petite réclamait, et Corinne était là, à ses côtés.

« Quand j’ai su que son type de leucémie est celui avec le meilleur taux de guérison, j’ai pu respirer un peu, raconte-t-elle. On sait ce que c’est et on va l’affronter ensemble, en famille. »

Cancer et pandémie

S’occuper d’une enfant immunodéprimée en pleine pandémie de COVID-19 signifie multiplier les visites à l’hôpital pour aller la faire tester 48 heures avant chaque traitement. Et ça signifie, bien sûr, garder ses distances de tout le monde pour protéger la petite. Et fêter Noël seuls, sans même les grands-parents.

Ça signifie aussi de veiller aux apprentissages d’Emma-Rose, qui ne pourra retourner à l’école qu’en septembre prochain. À son école de quartier, son enseignante lui offre un suivi personnalisé trois fois par semaine et l’accueille dans sa classe par visioconférence. Corinne est là, en soutien.

Quand Emma-Rose lui demande pourquoi tout cela lui arrive à elle, sa mère lui répond que c’est parce que c’est elle, la plus forte (ce que la petite répète évidemment à son frère et à sa sœur).

Emma-Rose a de qui tenir, fait-on valoir à Corinne.

« Tout le monde me dit que je suis vraiment forte. Je suis forte pour mes enfants, mais à l’intérieur de moi, je ne me sens pas toujours forte, confie Corinne, actuellement en arrêt de travail. Quand ça t’arrive, tu n’as pas le choix de continuer, tu n’as pas le choix de rester positif. »

« Mais il faut prendre soin de soi, insiste-t-elle. Sinon, on ne peut pas être là pour prendre soin des gens autour de soi. »