On parle beaucoup d’anxiété depuis le début de la pandémie, mais peut-être pas assez d’amour de soi. Comment retrouver l’envie de se réconforter et de se faire plaisir sans culpabilité et souci de performance ? Peut-être simplement par une visite chez le coiffeur ! Mais aussi en expérimentant le flow et en se permettant de procrastiner. Conseils et témoignages inspirants.

« Si les salons de coiffure sont pleins, ce n’est pas juste pour les cheveux, lance Catherine Morissette. Nous sommes plus près de la santé que de la beauté. »

En janvier 2021, la propriétaire du salon Petit Paris coiffure, situé à Chicoutimi-Nord, a lancé une pétition – signée par quelque 3000 signataires – pour convaincre le gouvernement de considérer les salons de coiffure comme des services essentiels.

Cet hiver, les salons de coiffure n’ont pas fermé et ils sont bondés. Il faut parfois s’y prendre des semaines à l’avance pour obtenir un rendez-vous. « Au-delà d’aller se faire couper les cheveux, les gens y vont pour l’ambiance et pour leur estime de soi... », fait valoir Catherine Morissette.

PHOTO ROCKET LAVOIE, LE PROGRÈS

Catherine Morissette

Quand tu reviens du salon de coiffure, tu es belle et tu sens bon. Et tu as jasé avec du monde. Certains qui pensent comme toi et d’autres qui ne pensent pas comme toi, mais qui te donnent une autre perspective.

Catherine Morissette, propriétaire du salon Petit Paris coiffure

Parlant de perspective, celle qui est coiffeuse depuis 38 ans – et ancienne mairesse de Saint-David-de-Falardeau – constate à quel point les gens manquent de recul par rapport à eux-mêmes. « Tu sais, quand tu es ado et que tu as un bouton dans le visage, tu arrives à l’école la tête basse et tes amis te disent : “Ah je n’avais même pas remarqué.” Bien, c’est la même affaire avec la coloration... Les gens arrivent ici en panique à cause de leur repousse alors qu’il n’y a rien là. »

« Quand tu passes la journée à te regarder sur Zoom, c’est certain que tu te trouves moins joli. »

Le toucher

« Fais-moi ce que tu veux, je veux juste relaxer. »

Les esthéticiennes du salon La Loge, à Montréal, entendent souvent cette phrase depuis le début de la pandémie.

« Les gens ont besoin de prendre soin d’eux, d’avoir un moment pour eux. Il y a une forte demande pour les soins du visage. C’est moins dans l’esthétique physique et plus sur le plan du bien-être », observe la copropriétaire Karine Chartier.

Des clients veulent aussi juste changer d’air et de décor. Et briser l’isolement... « Ceux qui vivent seuls, juste se faire toucher leur fait du bien. Je vois parfois des petites larmes couler... »

PHOTO FOURNIE PAR LE SALON LA LOGE

Karine Chartier

Avoir une proximité avec quelqu’un, ça fait du bien.

Karine Chartier, copropriétaire du salon La Loge

Karine Chartier a sous sa loupe des gens qui ne disent pas un mot pendant leur soin. Ils veulent du silence (loin de leur conjoint et de leurs enfants), alors que d’autres ont beaucoup de jasette. « Des personnes parlent tout au long du soin et disent : “Je m’excuse.” »

Comme Catherine Morissette, Karine Chartier voit l’effet Zoom. Nombreux sont ceux qui se plaignent d’avoir l’air « tant fatigués ».

Des conseils et de l’écoute

Say Sombann, chargé du rayon des cosmétiques du Pharmaprix du quartier portugais, constate les effets du stress sur les clients. Il n’a jamais vu autant de problèmes de peau. « Des boutons qui sortent de nulle part. Des démangeaisons. Je n’ai jamais vu cela ! »

« Le point positif est que les gens prennent conscience qu’ils doivent prendre soin d’eux, dit le cosméticien. J’aime faire des suivis avec ma clientèle. C’est un peu un rôle de psychologue. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Say Sombann travaille au rayon des cosmétiques 
du Pharmaprix du Village.

Say Sombann ne saurait mieux résumer ce que peut représenter une visite dans le rayon des cosmétiques d’une pharmacie. « Un petit bonheur en ces temps difficiles. »

S’il s’ennuie de pouvoir maquiller ses clients, Say Sombann aime toujours autant son travail. Pourquoi ? « Toute la lumière que je vois dans les yeux... »

Prendre soi de soi : une habitude

Rija Renaud est cofondateur de la Clinique Bhavana, qui offre notamment des soins de massothérapie et d’acupuncture dans le quartier Villeray. Il est aussi un témoin privilégié de l’humeur générale de la population. « On voit clairement que les gens sont sous pression. Les soins du corps sont une soupape pour bien du monde. »

Rija Renaud se réjouit que la pandémie ait rapproché « les santés mentale et physique ». « Il faut apprendre à reconnaître les signes que notre corps nous envoie. Être à l’écoute de soi. »

« Prendre soin de soi, c’est une pratique. Même une hygiène de vie », fait-il valoir.

« C’est un muscle, renchérit Karine Chartier, copropriétaire du salon La Loge. On peut perdre la motivation. »

« C’est bien beau, être en mou, mais il faut mettre les jeans de temps en temps », ajoute à la blague Catherine Morissette, propriétaire du salon Petit Paris coiffure, qui est très valorisée par son travail.

La coiffeuse coupe des cheveux, mais elle redonne aussi envie à des gens de prendre soin d’eux. « Tu sais, la personne qui arrive avec une petite baboune et qui ne veut pas un grand changement... Mais une fois que tu as fait ses cheveux, elle repart le nez plus haut deux pouces en l’air. Vous dire la satisfaction que cela me donne. Et souvent, j’entends : “Bon, bien, il me manque juste à aller m’acheter un beau morceau de linge !” »

À chacun son bien-être

Chaque personne a des besoins uniques pour se sentir bien. Encore faut-il savoir les établir. Trois femmes nous donnent des pistes pour s’accorder une pause.

Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

PHOTO BERNARD BREAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

« Ça va si je vous jase en marchant ? »

Depuis 30 ans, Sonia Lupien sort au moins deux fois par jour pour faire une marche de 30 minutes.

La directrice du Centre d’études sur le stress humain se souvient d’un homme qui lui a dit que ce serait impossible de faire comme elle vu son horaire chargé. « Je lui avais répondu : il y a une différence entre avoir du temps et prendre du temps. Quand on prend le temps, on augmente le sentiment de contrôle sur notre agenda et la moitié de la job est faite. »

Marche, jogging, méditation, tricot, cuisine, « il n’y a pas de méthode universelle pour combattre le stress », souligne Sonia Lupien.

Il faut faire attention à ce qu’elle appelle « l’effet ambassadeur » : « Votre belle-sœur revient d’un atelier de méditation et cela a tellement marché pour elle qu’elle est convaincue que ça va marcher pour d’autres. »

« On ne peut pas obliger un cerveau à faire ce que cela ne lui tente pas. »

Son conseil ?

Suivez votre intuition. Votre cerveau sait ce dont il a besoin [...] Souvent, les gens cherchent à l’extérieur d’eux des solutions pour se détresser alors que c’est à l’intérieur d’eux.

Sonia Lupien

Sonia Lupien invite aussi les gens à ne pas étouffer leur stress. « Le hamster [dans notre tête] est notre meilleur ami. Il a détecté une menace et il faut négocier avec elle », illustre l’autrice du livre Par amour du stress.

Quand on appréhende trop le stress, il s’accumule et finit par nous paralyser. On peut alors être moins enclin à prendre soin de soi... et à se faire du bien !

Elle vante aussi un concept dont on parle de plus en plus, soit celui de « l’autocompassion ». « C’est se donner un fichu break. » L’estime de soi, c’est l’idée qu’on a de sa valeur, alors que l’autocompassion, c’est d’avoir de l’empathie envers soi-même. « De l’humilité », ajoute-t-elle.

Récemment, la chercheuse en neurosciences a donné une chronique fort intéressante au micro de Pénélope McQuade sur les ondes d’ICI Première. Elle parlait du fameux flow, soit cet état où « on se concentre à 100 % sur une tâche à laquelle il y a un but, ce qui va nous donner un sentiment de progrès », explique-t-elle.

Quand on atteint le flow – « l’engagement cognitif » en français –, il y a une perte de conscience de soi et du temps qui passe avec « un grand sentiment de contrôle », ce qui amène « un repos mental ».

ÉCOUTEZ l’entrevue avec Pénélope McQuade

Marie-Ève Dompierre, céramiste

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Marie-Ève Dompierre expérimente le flow quand elle fait de la céramique.

La céramiste Marie-Ève Dompierre expérimente souvent le flow. « Je tombe dans un état de focus intense et quand je lève les yeux, il est trois heures plus tard. »

« Je me retrouve dans cet état-là avec des gestes qui sont devenus automatiques, alors que mes étudiants le sont en se concentrant sur chaque geste, souligne-t-elle. Mes journées passent en un clin d’œil. »

Adam Grant, le psychologue vedette américain à qui l’on doit le célèbre texte du New York Times sur la langueur (languishing), vante aussi les vertus du flow dans son TED Talk (qui a été au deuxième rang des plus écoutés en 2021).

Regardez le TED Talk d’Adam Grant (en anglais)

Marie-Ève Dompierre a étudié en photographie et en arts avant de découvrir la céramique par hasard. « Un ami donnait un cours d’initiation comme moi je donne aujourd’hui, raconte-t-elle. Ç’a été un coup de foudre instantané. Je pensais juste à ça. Je devais être à la recherche de l’état de bien-être que cela me procure. »

Quand je fais de la céramique, je ne pense à rien d’autre.

Marie-Ève Dompierre

« Les soucis s’éloignent. C’est vraiment être dans l’instant présent », ajoute-t-elle.

Cet hiver, la demande est très forte pour les cours qu’offre Marie-Ève Dompierre dans son atelier de la rue Jarry, dans Parc-Extension. « Les gens sont à la maison devant leur ordi. Je sens qu’ils ont un grand besoin de se réaliser. C’est presque une thérapie. Pour certains, c’est la seule sortie de la semaine. »

Anxieuse de nature, Marie-Ève Dompierre s’apaise quand elle a « les mains dans la terre ». Elle vante aussi les vertus de « créer quelque chose d’utile ». « Cela apporte une grande satisfaction. »

Marie-Ève Dompierre amène un autre point important sur le bien-être. Lequel ? La gratification d’en donner aux autres comme elle le fait dans ses cours.

Daphné B., traductrice et autrice de l’essai Maquillée

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Dans son livre Maquillée, Daphné B. aborde l’industrie des cosmétiques, dont elle est friande, en ayant un point de vue critique.

Pour Daphné B., se maquiller est un rituel qui lui fait du bien. C’est une façon de choisir ce dont elle veut avoir l’air et de se recentrer.

Dans son essai Maquillée, l’autrice dénonce certaines pratiques de l’industrie du maquillage, mais elle fait surtout l’éloge de ce geste que l’on fait pour soi.

En pandémie, les soins de la peau ont par ailleurs gagné en popularité. Comme Daphné B. l’a expliqué dans l’une de ses infolettres (où elle intellectualise avec brio le maquillage), ce n’est pas étranger au climat anxiogène et à l’avenir incertain. « Les soins de la peau, c’est un rituel en plusieurs étapes, ce qui est réconfortant [...] Ça permet de rétablir notre horloge et il marque le passage du temps. Le matin, le soir... »

Comme Marie-Ève Dompierre, Daphné B. atteint souvent le flow. Pas avec le maquillage, mais avec ses deux passions que sont la lecture et l’écriture. « Le maquillage est plutôt ma source de procrastination de choix... », précise-t-elle.

Naviguer sur des sites d’achats, regarder des tutoriels sur YouTube : pour elle, c’est du plaisir et même une façon de se détendre. « La procrastination est importante dans la création, fait-elle valoir. Dans les moments où on se fait plaisir, quand on perd du temps, qu’on vagabonde, qu’on se laisse aller... les idées viennent et des liens se font. »

Après tout, si Daphné B. n’avait pas procrastiné en ligne sur des sites de maquillage, elle n’aurait sans doute pas écrit Maquillée !

Prendre soin de soi ne veut pas dire la même chose pour chaque personne. Si pour toi c’est le maquillage, why not coconut, mais si pour toi c’est un café et 15 minutes de silence, bien c’est ça !

Daphné B.

Daphné B. fait de la rédaction pour la maison St-Raphaël, une maison de soins palliatifs et un centre de jour pour les malades et leurs proches. Elle remarque que de nombreux proches aidants sont tellement dévoués qu’ils ne peuvent même pas trouver ce qui leur ferait plaisir. « L’idée de prendre soin de soi, c’est aussi de définir ce qu’on voudrait et ce qui nous ferait du bien, expose-t-elle. Des fois, ce n’est pas nécessairement évident... Déterminer ses besoins, c’est prendre soin de soi. »

L’autrice a récemment signé un texte sur le site web de la maison de soins palliatifs pour souligner l’ouverture d’un salon de beauté pour les personnes en fin de vie. « Si un plaisir indéniable réside dans les soins du corps et la coquetterie, il ne faut surtout pas se le refuser, écrit-elle. Les bienfaits d’une coupe de cheveux ou d’une manucure ne se limitent pas à l’aspect cosmétique. Parce qu’ils nous demandent de marquer une pause dans nos activités, ils nous ramènent aussi à l’instant présent. »