La nutrition ne peut plus être que l’affaire de femmes blanches, minces et souriantes qui mangent des pommes – le cliché de la nutritionniste vue par Google Images. Un groupe de travail sur le racisme en nutrition « a été mis sur pied il y a quelques mois, dans la foulée de la mort de George Floyd et des questions qui en ont découlé », indique Mélanie Champagne, directrice des communications de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec. Portrait de la situation, en sept bouchées.

Augmenter la diversité pour de meilleurs soins

« Ce n’est pas assez de ne pas être raciste, a écrit Nathalie Savoie, alors directrice générale des Diététistes du Canada, à ses membres en 2020. Nous devons tous être antiracistes. Nous devons observer nos privilèges, les reconnaître et [nous] engager à agir pour enrayer le racisme. » Un exemple ? En voyage pour rencontrer des diététistes ou des étudiants, Nathalie Savoie ne s’est jamais fait « questionner ou arrêter sans raison », a-t-elle indiqué. Ce n’est pas toujours le cas de ses collègues noires, par ailleurs peu nombreuses.

Les Diététistes du Canada vont bientôt sonder leurs membres pour savoir combien sont issus de la diversité. L’organisme réclame aussi du gouvernement fédéral des statistiques à ce sujet. « Il est important d’augmenter la diversité au sein des professionnels de la santé, parce que cela fait en sorte que les patients reçoivent de meilleurs soins », résume Barb Ledermann, codirectrice générale par intérim des Diététistes du Canada.

Relation d’aide

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Julia Lévy-Ndejuru, nutritionniste chez Nutrition positive

Au Québec, 14,8 % de la population était immigrée en 2016, selon l’Institut de la statistique du Québec. Si on ajoute les personnes dites de deuxième génération – soit les enfants d’immigrés –, c’est 25 % de la population qui est concernée. Or, le bagage culturel est particulièrement important en nutrition. « Un dentiste va voir les caries dès que le client ouvre sa bouche, illustre Julia Lévy-Ndejuru, nutritionniste. Moi, je dois établir un lien de confiance pour que la personne se sente en sécurité et me parle de son comportement alimentaire. Il y a de la relation d’aide, qui est plus complexe. »

Varier les conseils

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM THE COLORFUL NUTRITIONIST

Sandrine Staco est née au Québec, mais ses parents sont haïtiens d’origine. Elle a créé cette version haïtienne de l’assiette équilibrée.

Les conseils de nutrition – mangez des légumes frais et buvez du lait – ne conviennent pas à tous. Bien des communautés n’ont pas l’habitude des crudités et l’intolérance au lactose est fréquente, notamment chez les autochtones, les Asiatiques et les Afro-Américains. « Beaucoup de personnes pensent que si elles ne mangent pas de la salade, ce n’est pas bon, rapporte Muriel Gnimadi, nutritionniste. Pourtant, dans beaucoup de cultures, on mange davantage les légumes cuits que crus. » Et c’est parfait comme ça.

Un immigrant va souvent changer sa façon de s’habiller pour se fondre dans le décor. C’est par la cuisine qu’il fera vivre sa culture d’origine, fait valoir Sandrine Staco, nutritionniste. « Il est important de reconnaître que l’alimentation, c’est plus que juste des nutriments », souligne-t-elle. Un exemple : l’odeur de la confiture de chadèk (le nom créole du pomelo) lui rappelle sa grand-mère, qui en préparait sur sa cuisinière. « Il faut intégrer des ingrédients locaux, accessibles et abordables, à ce qu’on mangeait avant d’immigrer, suggère Muriel Gnimadi. Ça fait un bon mix ! »

Des préjugés qui privent les Noirs de soins

Des préjugés – comme celui voulant que les Noirs n’aient pas de troubles alimentaires – sont nuisibles. Des médecins américains (blancs dans 89 % des cas) ont lu l’histoire fictive de Mary, une adolescente ayant des habitudes alimentaires perturbées, dans le cadre d’une étude publiée dans Behavior Therapy en 2006. Quand Mary était décrite comme Blanche, les médecins étaient plus de deux fois plus nombreux à détecter ses troubles alimentaires que lorsqu’elle était décrite comme Afro-Américaine. Son histoire était pourtant la même. Conséquence ? Les médecins dirigeaient moins la Mary noire vers de l’aide.

« Quand j’ai commencé comme nutritionniste, j’ai remarqué que parmi les gens qui venaient vers moi, il y avait très peu de diversité, se rappelle Julia Lévy-Ndejuru. J’ai fait des efforts pour aller toucher des gens qui me ressemblent plus, pour les aider. Parce que je sais que dans nos communautés, les préoccupations par rapport au poids sont peut-être moins discutées, mais elles sont extrêmement présentes. Aller chercher de l’aide et trouver de l’empathie, c’est toutefois plus difficile. »

Racisme et grossophobie

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Muriel Gnimadi, nutritionniste chez Manger en harmonie

Malheureusement, racisme et grossophobie s’additionnent. Des personnes racisées peuvent cumuler différentes formes de discrimination, ce qui augmente les préjudices subis – un concept appelé l’intersectionnalité.

« Une femme, une femme noire, surtout une immigrante, si elle vit dans un corps gros, c’est sûr que dans la société dans laquelle on vit, elle va subir de la discrimination, dit Muriel Gnimadi. Par rapport à l’accès à certains emplois, à l’évolution dans un emploi, à la désirabilité en matière de partenaires amoureux, il y a de fortes chances que ça soit plus compliqué. Mais ça n’empêche pas que ce soit possible. »

IMC trompeur

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM THE COLORFUL NUTRITIONIST

Les conseils de Sandrine Staco pour bien évaluer l’état de santé d’une personne, en ne se limitant pas à son poids.

Pour éviter de classer à tort certaines personnes comme obèses et en mauvaise santé, il faut déjà voir au-delà du fameux IMC. L’indice de masse corporelle – ou IMC – est un simple calcul entre la taille et le poids. « Ç’a été créé après une analyse d’hommes européens, indique Sandrine Staco. Il y avait juste des hommes et juste des Européens. Est-ce que ça peut s’appliquer à tout le monde, dans toutes les cultures ? » À IMC égal, « les risques pour la santé pourraient être inférieurs » chez les Noirs, reconnaît Santé Canada dans ses Lignes directrices canadiennes pour la classification du poids chez les adultes. « Beaucoup de facteurs peuvent mieux nous aider à juger de l’état de santé des gens », estime Sandrine Staco.

Formation offerte

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM MANGER EN HARMONIE

« Quand l’ensemble de ton fil d’actualité ressemble à la même personne (une femme blanche, mince, sans handicap et, mon Dieu, tellement heureuse), c’est difficile de ne pas internaliser ces normes », fait valoir la nutritionniste Marilou Morin, de Manger en harmonie, sur Instagram.

Il est évidemment hors de question – et non souhaitable – d’exiger que les professionnels de la santé soient tous de la même origine que leurs patients. « Si une nutritionniste québécoise a une bonne sensibilité culturelle, que c’est une personne curieuse et à l’écoute, même si elle travaille dans un milieu diversifié, ça va très bien se passer », assure Muriel Gnimadi.

De la formation est offerte aux nutritionnistes qui veulent servir une population diversifiée, notamment par les Diététistes du Canada. « L’éducation et la formation continue des diététistes, c’est essentiel pour fournir des soins culturellement sécuritaires et antioppressifs », indique Barb Ledermann. « C’est important de réfléchir à nos biais, de se questionner, puis de se former auprès de personnes racisées, estime la nutritionniste Marilou Morin, qui est une femme blanche. Il faut les inclure dans la discussion. Pas parce qu’on est les “White Saviors” ; parce que ça leur revient, au même titre que ça nous revient. »

Lisez l’étude parue dans Behavior Therapy (en anglais) Lisez la lettre de Nathalie Savoie